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« ÉDUCATION ET LGBTI+ Propositions d’activités pédagogiques pour le collège »

[Mlle Cunégonde] vit clairement la raison suffisante du docteur [Pangloss],
les effets et les causes, et s’en retourna tout agitée, toute pensive, toute
remplie du désir d’être savante…
(Voltaire, Candide)

Comment doit s’y prendre le professeur de collège qui souhaiterait faire « connaître les préfixes d’origine grecque ou latine et en comprendre l’importance dans le vocabulaire français »? Eh bien en soumettant à ses élèves l’exercice suivant, pardi:

Recherche l’étymologie et la signification des préfixes « hétéro », « homo », « trans », « cis », « inter » et « bi ».

Il ne s’agit pas du tout d’une mauvaise plaisanterie: ce petit exercice de philologie très appliquée se trouve tel quel dans un document édité par un service de l’Éducation nationale, et cette audacieuse « proposition d’activité pédagogique pour le collège » est justifiée très opportunément par « l’objectif et compétence visée » de découverte des racines gréco-latines de la langue française. Au risque de faire croire aux collégiens que les Grecs et les Romains ne pensaient qu’à ça… Les élèves qui suivront une telle leçon parviendront-ils à se concentrer sur les seuls mécanismes de la dérivation lexicale? Ou bien, malgré le haut degré d’abstraction des préfixes, le cours de grammaire historique ne dérivera-t-il pas rapidement vers une de ces leçons de choses qui sont plutôt dans l’esprit de maître Pangloss que dans celui de Ferdinand Buisson?

Cet exemple est le premier exercice que donne la brochure « ÉDUCATION ET LGBTI+ Propositions d’activités pédagogiques pour le collège », publiée en 2020 par le MUNAÉ sous l’égide de CANOPÉ (c’est à dire qu’il s’agit d’un document émanant des services du Ministère de l’Éducation nationale). Ce document accompagne une exposition itinérante « Éducation et LGBTI+« , financée par la DILCRAH, élaborée par le Musée national de l’Éducation (MUNAÉ) en partenariat avec le Centre LGBTI Normandie , le Refuge et l’association Laisse Bien Ta Gaieté (LBTG) qui « espèr[e] que cette expo participera à éveiller les consciences et à ouvrir les esprits » (http://laissebientagaiete.e-monsite.com/blog/education-et-lgbti-un-peu-d-histoire-pour-lutter-contre-les-discriminations.html). L’exposition est présentée dans les établissements secondaires à l’occasion d’actions de formation et de médiation menées par le Centre LGBTI Normandie et le MUNAÉ.

Dans ce document, donc, les différentes matières enseignées au collège sont toutes passées proprement à la moulinette LGBTI+, sans aucune crainte d’atteindre des sommets d’absurdité.

Le souci de la langue française et de son histoire n’est pas mené beaucoup plus loin, car l’exercice qui succède à la découverte des racines gréco-latines est un jeu de mots croisés (p. 2) où le collégien doit deviner les mots répondant par exemple aux définitions suivantes: « action de dévoiler l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne sans son accord » (en 6 lettres), ou bien « discours et identités refusant les catégories binaires de genre et de sexualité » (en 5 lettres). Si l’apprenti cruciverbiste a très bien suivi la leçon de ses professeurs et de ses professeures ou de ses professeuses, il griffonnera sans hésiter sur sa grille « OUTING » et « QUEER » (nous avons triché: les réponses sont données à la page 3 pour le pauvre enseignant qui ne serait pas encore assez au point sur ces sujets – cher collègue, nous vous conseillons dans ce cas de vous inscrire aux formations continues, plutôt pointues, que dispense également le Réseau Canopée, ainsi vous saurez tout tout tout, comme le dit la chanson). On ne nous éclairera pas sur les racines gréco-latines des termes outing ou queer, mais le document assure les enseignants qu’il s’agit là d’un exercice permettant de « comprendre la diversité des identités LGBTI+ », ce qui ouvrira sans aucun doute une brillante carrière au collégien et à la collégienne, et de « maîtriser le vocabulaire lié aux identités de genre », ce qui est certainement très utile pour se faire comprendre dans de nombreux pays, s’il ou elle sera amené et amenée à voyager quand il ou elle sera grand ou grande.

Un autre exercice (p. 3) permet de comprendre quel est le but assigné au cours d’Éducation morale et civique (EMC) par les rédacteurs du document. Voici d’abord l’exercice d’éducation morale et civique:

MUNAÉ, Centre Normandie LGBTI, LBTG, Refuge et DILCRAH : recherche ce que sont ces différentes instances ou associations et présente leurs rôles respectifs.

Et à présent les « objectifs et compétences visés »:

Connaître les instances et associations de lutte contre les discriminations et leurs rôles respectifs/découvrir le MUNAE et son engagement dans cette lutte.
– Faire une recherche pour s’informer et comprendre l’exposition.
– Être un citoyen éclairé conscient du rôle des associations et capable de faire appel à elles.

Premier objectif: identifier l’organisme financeur (la DILCRAH), le Musée qui est à l’origine de l’exposition itinérante, et les trois associations LGBT partenaires.
Second objectif: l’élève doit faire le lien entre l’exposition qui a atterri dans son collège et les « instances et associations » précitées.
Jusque-là, rien de très palpitant… Mais c’est le troisième « objectif ou compétence visé » qui retient l’attention. Un « citoyen éclairé conscient du rôle des associations », voilà qui prête à sourire (surtout que les citoyens même les moins éclairés, quel que soit leur degré de conscience, financent par leurs impôts toutes ces associations, détail qui sera sans doute épargné aux collégiens ainsi qu’aux collégiennes). Le terme « association » désigne évidemment dans ce contexte les associations LGBTI+ et elles seules. Or, la compétence visée est que l’élève devienne « capable de faire appel à elles ». « Elles », c’est à dire les associations LGBTI+. Voilà le but ultime de l’éducation civique et morale dans l’optique de ce document. Ce n’est pas du tout un hasard, puisque l’exposition a été construite avec et par ces associations, qui tissent ainsi leur toile, en trouvant d’un même coup une raison d’être, des financements et des « clients ».

Qui dit éducation civique, dit connaissance des symboles de la nation, et donc du drapeau. Pas d’éducation civique sans évocation du drapeau! Voilà comment notre document présente la chose:

a. RECHERCHE – DOCUMENTATION et EMC [Éducation morale et civique]: à quelle occasion le drapeau LGBTI+ a-t-il été conçu? D’après toi, pourquoi l’arc-en-ciel a-t-il été choisi?
b. ORAL (éventuellement arts plastiques): Et toi, si tu devais imaginer un drapeau qui prenne en compte toutes les identités LGBTI+, comment serait-il ? Dessine-le pour le présenter aux autres élèves et décris-le en expliquant tes choix.

Et après ça, si les collégiens mais aussi les collégiennes en redemandent, le document propose à l’enseignant des « prolongements possibles »:

– LECTURE de l’incipit de Pour en finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis (autobiographie – homophobie – harcèlement scolaire – violence physique et verbale).
– ANALYSE DE L’IMAGE – CINÉMA : scène d’arrivée du personnage du professeur d’université en pleine transition dans Laurence Anyways de Xavier Dolan (2012) ou bande annonce du film.

Est-ce bien raisonnable de donner à lire au collège Pour en finir avec Eddy Bellegueule, livre dont l’auteur affirme qu’il « parle moins, je crois, de la sexualité, de la découverte de la sexualité, que de l’impossibilité de la sexualité »? Est-il souhaitable et même possible d’aborder avec un public de collégiens une telle « impossibilité de la sexualité »?

Cours de français, à présent! Le document suggère un excellent sujet de rédaction (p. 8), qui n’a évidemment aucune visée manipulatoire (cf. l’objectif du cours d’EMC: fabriquer un citoyen « capable de faire appel » aux associations LGBTI+ ayant conçu l’exposition):

ÉCRITURE (sujet d’imagination) et TICE : Camille est en 3e. Après un outing, elle/il subit de violentes discriminations aussi bien de la part de ses camarades que de certains adultes du collège. Ayant peur de se confier à ses proches, elle/il décide d’écrire un courriel à une association LGBTIQ+ pour raconter ce qu’elle/il vit et demander de l’aide et des conseils pour faire face à cette situation. Imagine ce courriel.

On appréciera la mention ajoutée entre parenthèses: « Possibilité d’introduire dans ce travail l’écriture inclusive, qui peut mener à une réflexion sur l’orthographe… », ce qui contrevient à la circulaire ministérielle du 5 mai 2021 selon laquelle:

Dans le cadre de l’enseignement, la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques est de rigueur. […] En premier lieu, il convient de proscrire le recours à l’écriture dite « inclusive »

On ne voit d’ailleurs pas tellement comment l’introduction de l’écriture inclusive peut mener à une réflexion sur l’orthographe, ou plutôt on voit trop bien comment cela peut déboucher sur quelques poncifs anti-linguistiques éculés. Il serait hélas préférable d’amener à une « réflexion sur l’orthographe » (et plus largement sur la langue) des élèves qui maîtrisent déjà l’orthographe.

Nous laisserons les plus curieux de nos lecteurs parcourir les autres préconisations (assez prévisibles) du document en ce qui concerne les cours d’histoire, de sciences ou d’arts plastiques, et ne signalerons plus que quelques perles. Par exemple, un exercice consiste à repérer les « stéréotypes » dans une planche didactique de 1967 intitulée « À la noce » (p. 8). Voici le début du corrigé de cet exercice:

Les stéréotypes à repérer sont: les couples hétérosexuels…

Avis à ceux qui n’ont toujours pas compris en quoi consistent ces fameux « stéréotypes » que combattent nos nouveaux Don Quichotte! Un « couple hétérosexuel », c’est « un stéréotype »! Voilà ce qu’ont en tête les différentes « instances et associations » qui organisent cette exposition et promeuvent ces « activités pédagogiques », quand elles prétendent « lutter contre les stéréotypes de genre à l’école »…

Un questionnaire d’Histoire (p. 8-9) permet de mesurer le degré d’érudition des élèves de collège sur l’abolition du « crime de sodomie », sur Arcadie, Gai Pied, Race d’ep ou le FHAR… Mais l’érudition a ses limites: on évoquera la face présentable de Guy Hocquenghem sans aborder « l’autre face » [https://blogs.mediapart.fr/michelle-guerci/blog/090920/lautre-face-de-guy-hocquenghem] de ce prosélyte de la cause pédophile, militant d’une révolution sexuelle sous domination masculine. Quel est l’intérêt des associations à ne pas évoquer ces derniers aspects?

Retour en classe de français, dans un chapitre consacré au thème « Littérature et invisibilisation – LGBTI+ et littérature jeunesse » (p. 9-11). Premier exercice:

ANALYSE critique de l’IMAGE et du TEXTE : une page de manuel (VERLAINE) .
– Comment Verlaine est-il représenté sur cette page de manuel? Que penses-tu de ce choix?
– En quoi le passage «Avec Rimbaud, les anciennes tentations reprennent: homosexualité, ivresse» est-il problématique?
– Réécris ce passage de la biographie pour supprimer son caractère discriminatoire. Tu peux, au préalable, faire une recherche sur Verlaine et Rimbaud.
PROLONGEMENT POSSIBLE (DOCUMENTATION): au CDI, rechercher dans des manuels de français la manière dont la relation de Verlaine et Rimbaud est présentée (idem sur internet).

Finalement, ce qui est le plus intéressant dans une œuvre littéraire, c’est bien la vie de son auteur: retour à Sainte-Beuve. Les collégiens ne sauront rien sur la poésie si ce n’est, par le menu détail, les pratiques sexuelles des poètes. Le second exercice permet dans cet esprit d’envisager une hybridation pédagogique du Lagarde et Michard et du Kâma-Sûtra:

RECHERCHE (DOCUMENTATION) et ÉCRITURE: À ton tour, rédige un court passage de présentation de certaines figures homosexuelles célèbres de la littérature que l’on pourrait publier dans un manuel scolaire: Verlaine, Rimbaud, Gide, Colette ou Pierre Loti.
Tu citeras au moins cinq événements importants ayant marqué leur vie et cinq titres d’œuvres.

Les œuvres sont réduites à des titres, et la leçon de littérature porte désormais sur les événements ayant marqué la vie des auteurs! Retour à l’obsession bourgeoise du XIXe siècle sur les mœurs de l’artiste: c’est exactement le même contresens sur l’art, même s’il apparaît dans une forme inversée.

Les élèves sont ensuite invités (p. 11) à devenir à leur tour prosélytes, auprès d’enfants plus jeunes:

Possibilité d’un PROJET LECTURE INTER-DEGRÈS [sic] ou INTER-CLASSES:
Des élèves de collège préparent la lecture d’albums évoquant la question de l’homoparentalité et en proposent la lecture à des élèves d’école primaire (CM2/6e?) ou d’une autre classe de l’établissement pour ouvrir le débat sur ce thème (il est conseillé de faire appel à une association pour encadrer le projet et les discussions qu’il peut amener).

On appréciera le judicieux « conseil » de « faire appel à une association »: il s’agit non seulement de cadrer les débats, mais aussi de développer l’activité et donc les financements des associations partenaires.

Passons directement au dernier exercice (p. 15), qui permet aux associations de proposer l’air de rien leurs services pour « une action de plus grande envergure », en suggérant aux collégiens de les recommander auprès du Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) et du Conseil d’administration de leur établissement:

Et si l’on rendait le collège plus inclusif? (E.M.C. – Possibilité d’une action de plus grande envergure avec le CESC).
Après une discussion menée à partir du dernier panneau de l’exposition, on demande aux élèves de proposer des aménagements ou actions qui permettraient une approche moins binaire des personnes au collège.
N.B. Les propositions des élèves peuvent être ensuite soumises au CESC et/ou au CA de l’établissement.
=> OBJECTIFS ET COMPÉTENCES VISÉS par ces activités:
– Connaître les associations LGBTI+ et leurs différents engagements.
– S’informer sur l’histoire de la lutte contre les discriminations.
– S’impliquer dans la lutte contre l’homophobie et la transphobie.
– Argumenter, défendre un point de vue.
– Devenir un citoyen éclairé.
– S’engager au sein de son établissement scolaire.

La « manipulation » de l’élève déborde ici le cadre pédagogique: conditionné par l’exposition et les discussions qu’elle permet de susciter, le collégien est mis en situation de « proposer » (verbe qui connote l’autonomie et la liberté) tout ce qu' »on [lui] demande » de proposer… Quand « on demande aux élèves de proposer des aménagements ou actions qui permettraient une approche moins binaire des personnes au collège », cela signifie qu’au terme de l’exposition et du programme pédagogique qui l’accompagne, les associations transforment les collégiens en porte-parole de leurs propres revendications. Il ne s’agit plus du tout à ce stade de lutter contre des discriminations, mais de transformer en profondeur le cadre scolaire et ainsi que les contenus des programmes, afin qu’ils deviennent conformes à de nouvelles normes édictées par des acteurs extérieurs au service public d’éducation. Il s’agit donc d’une ingérence inacceptable de la part de ces associations qui postulent l’existence d’une « binarité » fondatrice des mécanismes de « domination », et devant donc être éradiquée de la culture et de la société.

L’ idéologie trans qui tente d’infiltrer l’école par le truchement de cette exposition et des documents pédagogiques qui l’accompagnent s’oppose pourtant frontalement aux missions de l’École de la République. L’opposition est explicite dans le « webinaire » mis en ligne par CANOPÉ pour présenter aux professeurs cette exposition consacrée à la lutte contre les LGBTiphobies et pour leur faire découvrir « comment aborder en classe les questions d’homophobie et de transphobie à travers des ressources patrimoniales historiques et vous outille[r] pour développer l’esprit critique, la bienveillance et la citoyenneté des élèves ». Voici la diapositive qui commente le 2d tableau de l’exposition [https://youtu.be/MPvkUXVh6_M?t=961], on y lit que l' »héritage laïque » est « potentiellement LGBTIphobe ».

De là à conclure que la laïcité doit être déconstruite par les élèves au nom de l’inclusion, il n’y a qu’un pas, qui a déjà été franchi par certains Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation.

Nous laisserons le mot de la fin au directeur-adjoint du MUNAÉ qui commente cette démarche pédagogique dans le « webinaire » censé servir de mode d’emploi aux professeurs:

Il s’agit évidemment d’une forme de militance.
[Source: https://youtu.be/MPvkUXVh6_M?t=926]

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