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Florence Bergeaud-Blackler : « Face à l’islamisme, le monde de la recherche ne brille pas par son courage »

Florence Bergeaud-Blackler : « Face à l’islamisme, le monde de la recherche ne brille pas par son courage »

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  Anthropologue et chargée de recherche au CNRS, Florence Bergeaud-Blackler a publié en janvier dernier Le Frérisme et ses réseaux (Odile Jacob). Une enquête minutieuse sur l’extension de ce mouvement issu de l’internationalisation des Frères musulmans, dont elle décrypte le projet à la fois intellectuel et politico-religieux : l’instauration d’une société islamique mondiale. Ce travail lui vaut injures et menaces de mort. Face aux attaques, le CNRS a tardé à lui apporter son soutien public. Il ne l’a fait que quelques jours après la mise en ligne, le 30 mars, sur le site du Point, de la tribune d’un collectif d’universitaires et de personnalités appelant à défendre la liberté académique. Pour L’Express, Florence Bergeaud-Blackler, qui vit aujourd’hui sous protection policière, revient sur la réception troublée de son livre.L’Express : Vous attendiez-vous aux attaques et aux menaces qui ont suivi la parution de votre enquête ?Florence Bergeaud-Blackler : Je m’attendais à des réactions mais pas à des menaces de mort. Il est vrai qu’aujourd’hui les agressions verbales sont légion sur les réseaux sociaux, et que notre niveau de résignation face à la violence s’élève, ce qui donne un sentiment d’impunité aux auteurs anonymes ou pseudonymes. Dans mon cas, il y a un lien entre ces menaces très graves et la volonté de certains de me discréditer au sein des mondes académique et médiatique. Le but est de me réduire au silence ou a minima de me rendre inaudible.Le politologue François Burgat, l’un de vos détracteurs les plus farouches, vous accuse d’ »anti-islamisme primaire », d’ »islamophobie d’atmosphère »…Les propos de ce directeur de recherche au CNRS, aujourd’hui retraité, aussi violents, infamants et donc dangereux qu’ils soient, ne sont pas surprenants. En tentant de m’assimiler à Drumont ou Vacher de Lapouge, deux antisémites historiques, en diffusant ces accusations dans ses réseaux professionnels, M. Burgat ne s’en prend pas seulement à moi, il nourrit la théorie de l’islamophobie d’Etat qui veut faire de l’islamophobie (à l’égard des musulmans) un équivalent de l’antisémitisme (à l’égard des juifs). Le milieu frériste, dont il semble se faire le porte-parole, veut convaincre que les musulmans d’aujourd’hui sont persécutés comme les juifs avant-guerre, l’enjeu sous-jacent étant, comme je l’explique dans mon livre, d’obtenir la reconnaissance de la nation musulmane (l’umma) à l’instar des juifs qui ont eu « droit », selon eux, à la reconnaissance de l’Etat juif (Israël).Les accusations extravagantes dont je suis l’objet ont aussi pour but de me diaboliser. Qui veut lire ou simplement ouvrir un livre d’un auteur présenté comme « proto-nazi » ? La diabolisation fonctionne très bien dans le monde académique, particulièrement sensible aux questions de réputation.Après les injures et les menaces de mort dont vous avez été la cible, le CNRS a tardé à vous apporter son soutien. Comment expliquez-vous cette lenteur : peur des représailles ? Raisons idéologiques ?Il faudrait contacter les instances du CNRS, mais, à mon avis, il y a plusieurs raisons. Le CNRS laisse les chercheurs totalement libres de définir leurs champs et objets de recherche, liberté que je salue d’ailleurs au début de mon livre. Par principe, il intervient le moins possible.Il y a aussi des raisons idéologiques qui sont celles de certains de ses cadres qui considèrent que l’islamogauchisme est une théorie d’extrême droite, tout comme le fait d’affirmer que des Frères musulmans travaillent en Europe. Il y a aussi ceux qui ont peur. Le monde de la recherche ne brille pas par son courage, il faut bien le reconnaître.“Les musulmans qui refusent l’emprise des fréristes représentent le plus grand danger pour ces derniers”Avez-vous reçu beaucoup de soutien de la part de musulmans, au-delà de celui de l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi ?Oui, de nombreux soutiens de la part de musulmans, de pratique, de tradition ou d’origine. L’imam Chalghoumi m’a soutenue publiquement, mais d’autres ne veulent pas subir le même sort que lui, régulièrement agressé et placé sous protection policière depuis des années, on peut les comprendre.Les musulmans qui refusent l’emprise des fréristes représentent le plus grand danger pour ces derniers, car ils se sont affranchis des pressions. Ils sont traités de traîtres ou d’apostats, un qualificatif qui peut entraîner des menaces de mort et des exécutions. Personne n’a oublié Salman Rushdie, à nouveau attaqué l’été dernier. La fatwa qui le vise semble indélébile. Pourtant, une partie de la solution à l’hégémonie frériste vient de ceux qui sont sortis de la religion, et il faut absolument les protéger.Face au frérisme, peut-on identifier un point de bascule, un moment où nous aurions cédé par lâcheté ou par ignorance ?Le premier moment de bascule est celui de 1989, l’affaire dite des « foulards de Creil », quand une poignée de collégiennes arrivent voilées à l’école déclenchant une affaire d’Etat. Même si le problème semble alors limité, on s’interroge aussitôt, on pressent l’enjeu républicain du débat : faut-il l’interdire et prendre le risque d’exclure les filles de la scolarité ? Qu’en sera-t-il de l’Education nationale, pilier de la laïcité, si certains s’en excluent au nom de leur foi ? L’Etat ne tranche pas, c’est le roi d’une puissance étrangère, le Maroc, qui règle l’affaire en demandant aux parents des jeunes filles qu’elles ôtent leur foulard, ce qu’elles font. Il faudra attendre quinze ans pour que, suite à la commission Stasi, la loi du 15 mars 2004 vienne encadrer le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse.Les Frères ont « encaissé » cette loi, si j’ose dire, mais ils ont toujours pensé qu’ils en viendraient à bout avec le temps. Les pressions qui s’exercent via les réseaux sociaux pour faire entrer les pratiques vestimentaires, alimentaires et le temps religieux (les prières, le jeûne) dans l’école sont en train de leur donner raison. Sans une loi de consolidation de celle de 2004, ce travail de sape se poursuivra, car les enseignants ne peuvent pas servir de bouclier à cette avancée. N’oublions pas que l’islamisme est perçu comme un danger pour la République par plus des trois quarts des Français (77 %), que, sur certains sujets jugés sensibles par les musulmans, 52 % des profs en moyenne estiment s’autocensurer (contre 43 % fin 2020), autocensure encore plus forte en zone d’éducation prioritaire (65 %, en hausse de 18 points depuis 2020).A vous lire, l’Union européenne est aujourd’hui l’un des principaux vecteurs du frérisme… Pourquoi ?Je consacre plusieurs chapitres à « l’euro-islam », une formule reprise par Tariq Ramadan, qui consiste à produire un islam compatible avec les valeurs de la Charte [des droits fondamentaux] de l’UE, non pas en adaptant l’islam à l’Europe, mais en changeant positivement le regard porté sur lui par les Européens. La « racialisation » des musulmans opérée à la fois par les Frères et les islamo-gauchistes est un des moyens d’y parvenir. L’Europe, qui baissait les barrières face aux demandes religieuses, les soulève pour laisser passer les revendications « antiracistes » de minorités ex-colonisées à qui les générations d’aujourd’hui devraient réparation pour les crimes commis par leurs ancêtres. Les institutions de l’UE financent et légitiment ces groupes religieux qui se font passer pour d’éternelles victimes d’une islamophobie structurelle, alors que celle-ci n’a jamais été démontrée sérieusement, comme je l’explique dans mon livre.Il y a en Europe des Etats vigilants qui tirent la sonnette d’alarme, comme la France et l’Autriche, mais la majorité des pays de l’UE ignorent le problème, soit qu’ils ne se sentent pas concernés, soit qu’ils ne veulent pas l’être. Et cela d’autant plus que les Frères se présentent à eux comme un remède aux excès de l’islam et à la violence djihadiste. Depuis des années, les institutions européennes financent par centaines de millions d’euros des organisations fréristes ou liées aux frérisme au nom de la lutte antiraciste ou de la lutte contre la haine antimusulmane.Comment jugez-vous la position d’Emmanuel Macron sur ces questions ? Sa référence aux « séparatismes », dans son discours des Mureaux, en octobre 2020, est-elle une manière de dissimuler la singularité du fondamentalisme musulman ?La position du président Macron est illisible, donc ininterprétable. Il est celui qui tient le ferme discours des Mureaux mais qui fait nommer un ministre de l’Education aveugle aux questions d’entrisme islamiste et soutien du wokisme, lequel est la porte « inclusive » par laquelle le frérisme entre dans tous les secteurs de la société. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qu’on ne peut suspecter de sympathie avec l’islamisme, se montre ferme, mais, dans les faits, la mesure phare de la loi dite de séparatisme, visant à interdire des associations menaçant les valeurs de la République, n’est ni efficace ni dissuasive. Le CCIF [Collectif contre l’islamophobie en France], visé par une mesure de dissolution, n’a eu qu’à prendre le train et ouvrir une boîte aux lettres à Bruxelles, déposer des statuts d’ASBL [association à but non lucratif en Belgique]. Je pense que cela doit coûter moins d’un jour de travail et un aller-retour première classe en Thalys d’une heure quarante… Certes la mesure compte, mais il faut être conséquent, si une mesure importante d’un Etat est mise en pièces par un Etat ami et voisin, il faut aller plus loin et travailler sur le sujet avec nos partenaires européens.“La position d’Emmanuel Macron est illisible”En 2021, Frédérique Vidal, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, annonçait lancer une enquête sur l' »islamo-gauchisme » à l’université, qui n’a finalement pas eu lieu. Le regrettez-vous ?Je n’ai pas compris le sens et l’intérêt de cette annonce devant l’Assemblée nationale de la part de Mme Vidal. Elle disait vouloir lancer une enquête sur un phénomène qu’elle avait déjà qualifié comme « relev[ant] du militantisme et de l’opinion ». Il n’y a pas besoin d’enquêtes, les faits et les preuves sont déjà là, l’islamogauchisme est une alliance objective à la description de laquelle je consacre deux chapitres : un sur les liens instrumentaux entre les Frères et les partis de gauche, un autre sur l’ »islamisation de la connaissance », discipline inventée par les Frères à partir des théories déconstructionnistes.L’annonce de la ministre a produit une levée de boucliers chez ceux qui n’y ont vu qu’une manœuvre politique à propos d’un phénomène qui leur échappe car ils ne l’étudient pas. C’est contre ces quelques ignorants du monde académique que je dois aujourd’hui défendre mon livre : je produis des arguments, ils me répondent par des anathèmes. Pourquoi réfléchir quand il est si facile de faire taire en diabolisant ?Dans un entretien au Point, en janvier, vous affirmiez : « L’idée que le frérisme soit de gauche est une tromperie puisque, par exemple, le marché halal, instrument de son expansion, est profondément compatible avec le libéralisme. » Comment expliquer alors la complaisance d’une partie de la gauche pour la propagande frériste ?Le marché halal global est, comme je l’ai montré dans mon livre publié au Seuil en 2017 [Le Marché halal ou l’invention d’une tradition], une invention relativement récente issue d’une rencontre entre néo-libéralisme et néo-fondamentalisme musulman. Ma démonstration a été plutôt bien reçue à sa sortie par les critiques et commentateurs, à droite comme à gauche. Certains milieux qui considèrent les musulmans comme des victimes du capitalisme occidental ont été un peu déroutés. Alors ils ont interprété la thèse de mon livre – qu’ils n’ont le plus souvent pas lu – comme une instrumentalisation du business halal par les puissances néolibérales. Or je ne dis pas ça. L’instrumentalisation du marché halal est réciproque et, in fine, je la vois plutôt favorable à l’extension du frérisme, qui diffuse ses normes alimentaire, vestimentaire, économique, et s’offre les services d’un marché avide de ventes massives de hidjabs de running, de dentifrice halal ou de séjour en mode charia.Dans un entretien au Figaro, vous présentez le nouveau Premier ministre écossais, Humza Yousaf, comme à la fois « pro-LGBT et proche des Frères musulmans ». Comment comprendre cet apparent paradoxe ?Il n’a pas de paradoxe, mais plutôt une forme d’ambiguïté. Le leader du Parti national écossais, Humza Yousaf, a pris des positions très libérales en matière de mœurs, pro-LGBT, favorables au transactivisme [terme péjoratif désignant une idéologie radicale favorable à la transidentité], qui contrastent avec son passé de militant auprès d’organisations conservatrices, pour ne pas dire islamistes. En même temps, il n’avait que très peu de chances de remporter l’investiture de son parti s’il n’avait pas choisi de jouer l’alliance des minorités. Le frérisme favorise, au moins provisoirement, leur alliance, la déconstruction, le décolonialisme, la lutte antiraciste.Immédiatement après son élection et sa prise de fonction, le Premier ministre écossais a tweeté des photos de lui en train de prier debout dans son bureau très classique de la Bute House. Cette image a produit des effets dans le monde musulman qu’il est difficile de décrire auprès des non-musulmans. Il y avait un sentiment de fierté. Mais aussi, et c’est plus inquiétant, le ressentiment des pays ex-colonisés, dont certains sont pris d’un désir de revanche, s’est trouvé ainsi flatté.L’image a été considérée comme un signe de conquête. Le Premier ministre ne peut pas ignorer la portée de son geste, il faut donc croire qu’il l’assume. 

Anthropologue et chargée de recherche au CNRS, Florence Bergeaud-Blackler a publié en janvier dernier Le Frérisme et ses réseaux (Odile Jacob). Une enquête minutieuse sur l’extension de ce mouvement issu de l’internationalisation des Frères musulmans, dont elle décrypte le projet à la fois intellectuel et politico-religieux : l’instauration d’une société islamique mondiale. Ce travail lui vaut injures et menaces de mort. Face aux attaques, le CNRS a tardé à lui apporter son soutien public. Il ne l’a fait que quelques jours après la mise en ligne, le 30 mars, sur le site du Point, de la tribune d’un collectif d’universitaires et de personnalités appelant à défendre la liberté académique. Pour L’Express, Florence Bergeaud-Blackler, qui vit aujourd’hui sous protection policière, revient sur la réception troublée de son livre.

L’Express : Vous attendiez-vous aux attaques et aux menaces qui ont suivi la parution de votre enquête ?

Florence Bergeaud-Blackler : Je m’attendais à des réactions mais pas à des menaces de mort. Il est vrai qu’aujourd’hui les agressions verbales sont légion sur les réseaux sociaux, et que notre niveau de résignation face à la violence s’élève, ce qui donne un sentiment d’impunité aux auteurs anonymes ou pseudonymes. Dans mon cas, il y a un lien entre ces menaces très graves et la volonté de certains de me discréditer au sein des mondes académique et médiatique. Le but est de me réduire au silence ou a minima de me rendre inaudible.

Le politologue François Burgat, l’un de vos détracteurs les plus farouches, vous accuse d’ »anti-islamisme primaire », d’ »islamophobie d’atmosphère »…

Les propos de ce directeur de recherche au CNRS, aujourd’hui retraité, aussi violents, infamants et donc dangereux qu’ils soient, ne sont pas surprenants. En tentant de m’assimiler à Drumont ou Vacher de Lapouge, deux antisémites historiques, en diffusant ces accusations dans ses réseaux professionnels, M. Burgat ne s’en prend pas seulement à moi, il nourrit la théorie de l’islamophobie d’Etat qui veut faire de l’islamophobie (à l’égard des musulmans) un équivalent de l’antisémitisme (à l’égard des juifs). Le milieu frériste, dont il semble se faire le porte-parole, veut convaincre que les musulmans d’aujourd’hui sont persécutés comme les juifs avant-guerre, l’enjeu sous-jacent étant, comme je l’explique dans mon livre, d’obtenir la reconnaissance de la nation musulmane (l’umma) à l’instar des juifs qui ont eu « droit », selon eux, à la reconnaissance de l’Etat juif (Israël).

Les accusations extravagantes dont je suis l’objet ont aussi pour but de me diaboliser. Qui veut lire ou simplement ouvrir un livre d’un auteur présenté comme « proto-nazi » ? La diabolisation fonctionne très bien dans le monde académique, particulièrement sensible aux questions de réputation.

Après les injures et les menaces de mort dont vous avez été la cible, le CNRS a tardé à vous apporter son soutien. Comment expliquez-vous cette lenteur : peur des représailles ? Raisons idéologiques ?

Il faudrait contacter les instances du CNRS, mais, à mon avis, il y a plusieurs raisons. Le CNRS laisse les chercheurs totalement libres de définir leurs champs et objets de recherche, liberté que je salue d’ailleurs au début de mon livre. Par principe, il intervient le moins possible.

Il y a aussi des raisons idéologiques qui sont celles de certains de ses cadres qui considèrent que l’islamogauchisme est une théorie d’extrême droite, tout comme le fait d’affirmer que des Frères musulmans travaillent en Europe. Il y a aussi ceux qui ont peur. Le monde de la recherche ne brille pas par son courage, il faut bien le reconnaître.

“Les musulmans qui refusent l’emprise des fréristes représentent le plus grand danger pour ces derniers”

Avez-vous reçu beaucoup de soutien de la part de musulmans, au-delà de celui de l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi ?

Oui, de nombreux soutiens de la part de musulmans, de pratique, de tradition ou d’origine. L’imam Chalghoumi m’a soutenue publiquement, mais d’autres ne veulent pas subir le même sort que lui, régulièrement agressé et placé sous protection policière depuis des années, on peut les comprendre.

Les musulmans qui refusent l’emprise des fréristes représentent le plus grand danger pour ces derniers, car ils se sont affranchis des pressions. Ils sont traités de traîtres ou d’apostats, un qualificatif qui peut entraîner des menaces de mort et des exécutions. Personne n’a oublié Salman Rushdie, à nouveau attaqué l’été dernier. La fatwa qui le vise semble indélébile. Pourtant, une partie de la solution à l’hégémonie frériste vient de ceux qui sont sortis de la religion, et il faut absolument les protéger.

Face au frérisme, peut-on identifier un point de bascule, un moment où nous aurions cédé par lâcheté ou par ignorance ?

Le premier moment de bascule est celui de 1989, l’affaire dite des « foulards de Creil », quand une poignée de collégiennes arrivent voilées à l’école déclenchant une affaire d’Etat. Même si le problème semble alors limité, on s’interroge aussitôt, on pressent l’enjeu républicain du débat : faut-il l’interdire et prendre le risque d’exclure les filles de la scolarité ? Qu’en sera-t-il de l’Education nationale, pilier de la laïcité, si certains s’en excluent au nom de leur foi ? L’Etat ne tranche pas, c’est le roi d’une puissance étrangère, le Maroc, qui règle l’affaire en demandant aux parents des jeunes filles qu’elles ôtent leur foulard, ce qu’elles font. Il faudra attendre quinze ans pour que, suite à la commission Stasi, la loi du 15 mars 2004 vienne encadrer le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse.

Les Frères ont « encaissé » cette loi, si j’ose dire, mais ils ont toujours pensé qu’ils en viendraient à bout avec le temps. Les pressions qui s’exercent via les réseaux sociaux pour faire entrer les pratiques vestimentaires, alimentaires et le temps religieux (les prières, le jeûne) dans l’école sont en train de leur donner raison. Sans une loi de consolidation de celle de 2004, ce travail de sape se poursuivra, car les enseignants ne peuvent pas servir de bouclier à cette avancée. N’oublions pas que l’islamisme est perçu comme un danger pour la République par plus des trois quarts des Français (77 %), que, sur certains sujets jugés sensibles par les musulmans, 52 % des profs en moyenne estiment s’autocensurer (contre 43 % fin 2020), autocensure encore plus forte en zone d’éducation prioritaire (65 %, en hausse de 18 points depuis 2020).

A vous lire, l’Union européenne est aujourd’hui l’un des principaux vecteurs du frérisme… Pourquoi ?

Je consacre plusieurs chapitres à « l’euro-islam », une formule reprise par Tariq Ramadan, qui consiste à produire un islam compatible avec les valeurs de la Charte [des droits fondamentaux] de l’UE, non pas en adaptant l’islam à l’Europe, mais en changeant positivement le regard porté sur lui par les Européens. La « racialisation » des musulmans opérée à la fois par les Frères et les islamo-gauchistes est un des moyens d’y parvenir. L’Europe, qui baissait les barrières face aux demandes religieuses, les soulève pour laisser passer les revendications « antiracistes » de minorités ex-colonisées à qui les générations d’aujourd’hui devraient réparation pour les crimes commis par leurs ancêtres. Les institutions de l’UE financent et légitiment ces groupes religieux qui se font passer pour d’éternelles victimes d’une islamophobie structurelle, alors que celle-ci n’a jamais été démontrée sérieusement, comme je l’explique dans mon livre.

Il y a en Europe des Etats vigilants qui tirent la sonnette d’alarme, comme la France et l’Autriche, mais la majorité des pays de l’UE ignorent le problème, soit qu’ils ne se sentent pas concernés, soit qu’ils ne veulent pas l’être. Et cela d’autant plus que les Frères se présentent à eux comme un remède aux excès de l’islam et à la violence djihadiste. Depuis des années, les institutions européennes financent par centaines de millions d’euros des organisations fréristes ou liées aux frérisme au nom de la lutte antiraciste ou de la lutte contre la haine antimusulmane.

Comment jugez-vous la position d’Emmanuel Macron sur ces questions ? Sa référence aux « séparatismes », dans son discours des Mureaux, en octobre 2020, est-elle une manière de dissimuler la singularité du fondamentalisme musulman ?

La position du président Macron est illisible, donc ininterprétable. Il est celui qui tient le ferme discours des Mureaux mais qui fait nommer un ministre de l’Education aveugle aux questions d’entrisme islamiste et soutien du wokisme, lequel est la porte « inclusive » par laquelle le frérisme entre dans tous les secteurs de la société. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qu’on ne peut suspecter de sympathie avec l’islamisme, se montre ferme, mais, dans les faits, la mesure phare de la loi dite de séparatisme, visant à interdire des associations menaçant les valeurs de la République, n’est ni efficace ni dissuasive. Le CCIF [Collectif contre l’islamophobie en France], visé par une mesure de dissolution, n’a eu qu’à prendre le train et ouvrir une boîte aux lettres à Bruxelles, déposer des statuts d’ASBL [association à but non lucratif en Belgique]. Je pense que cela doit coûter moins d’un jour de travail et un aller-retour première classe en Thalys d’une heure quarante… Certes la mesure compte, mais il faut être conséquent, si une mesure importante d’un Etat est mise en pièces par un Etat ami et voisin, il faut aller plus loin et travailler sur le sujet avec nos partenaires européens.

“La position d’Emmanuel Macron est illisible”

En 2021, Frédérique Vidal, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, annonçait lancer une enquête sur l' »islamo-gauchisme » à l’université, qui n’a finalement pas eu lieu. Le regrettez-vous ?

Je n’ai pas compris le sens et l’intérêt de cette annonce devant l’Assemblée nationale de la part de Mme Vidal. Elle disait vouloir lancer une enquête sur un phénomène qu’elle avait déjà qualifié comme « relev[ant] du militantisme et de l’opinion ». Il n’y a pas besoin d’enquêtes, les faits et les preuves sont déjà là, l’islamogauchisme est une alliance objective à la description de laquelle je consacre deux chapitres : un sur les liens instrumentaux entre les Frères et les partis de gauche, un autre sur l’ »islamisation de la connaissance », discipline inventée par les Frères à partir des théories déconstructionnistes.

L’annonce de la ministre a produit une levée de boucliers chez ceux qui n’y ont vu qu’une manœuvre politique à propos d’un phénomène qui leur échappe car ils ne l’étudient pas. C’est contre ces quelques ignorants du monde académique que je dois aujourd’hui défendre mon livre : je produis des arguments, ils me répondent par des anathèmes. Pourquoi réfléchir quand il est si facile de faire taire en diabolisant ?

Dans un entretien au Point, en janvier, vous affirmiez : « L’idée que le frérisme soit de gauche est une tromperie puisque, par exemple, le marché halal, instrument de son expansion, est profondément compatible avec le libéralisme. » Comment expliquer alors la complaisance d’une partie de la gauche pour la propagande frériste ?

Le marché halal global est, comme je l’ai montré dans mon livre publié au Seuil en 2017 [Le Marché halal ou l’invention d’une tradition], une invention relativement récente issue d’une rencontre entre néo-libéralisme et néo-fondamentalisme musulman. Ma démonstration a été plutôt bien reçue à sa sortie par les critiques et commentateurs, à droite comme à gauche. Certains milieux qui considèrent les musulmans comme des victimes du capitalisme occidental ont été un peu déroutés. Alors ils ont interprété la thèse de mon livre – qu’ils n’ont le plus souvent pas lu – comme une instrumentalisation du business halal par les puissances néolibérales. Or je ne dis pas ça. L’instrumentalisation du marché halal est réciproque et, in fine, je la vois plutôt favorable à l’extension du frérisme, qui diffuse ses normes alimentaire, vestimentaire, économique, et s’offre les services d’un marché avide de ventes massives de hidjabs de running, de dentifrice halal ou de séjour en mode charia.

Dans un entretien au Figaro, vous présentez le nouveau Premier ministre écossais, Humza Yousaf, comme à la fois « pro-LGBT et proche des Frères musulmans ». Comment comprendre cet apparent paradoxe ?

Il n’a pas de paradoxe, mais plutôt une forme d’ambiguïté. Le leader du Parti national écossais, Humza Yousaf, a pris des positions très libérales en matière de mœurs, pro-LGBT, favorables au transactivisme [terme péjoratif désignant une idéologie radicale favorable à la transidentité], qui contrastent avec son passé de militant auprès d’organisations conservatrices, pour ne pas dire islamistes. En même temps, il n’avait que très peu de chances de remporter l’investiture de son parti s’il n’avait pas choisi de jouer l’alliance des minorités. Le frérisme favorise, au moins provisoirement, leur alliance, la déconstruction, le décolonialisme, la lutte antiraciste.

Immédiatement après son élection et sa prise de fonction, le Premier ministre écossais a tweeté des photos de lui en train de prier debout dans son bureau très classique de la Bute House. Cette image a produit des effets dans le monde musulman qu’il est difficile de décrire auprès des non-musulmans. Il y avait un sentiment de fierté. Mais aussi, et c’est plus inquiétant, le ressentiment des pays ex-colonisés, dont certains sont pris d’un désir de revanche, s’est trouvé ainsi flatté.

L’image a été considérée comme un signe de conquête. Le Premier ministre ne peut pas ignorer la portée de son geste, il faut donc croire qu’il l’assume.

 

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