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François Cusset-Nathalie Heinich : désaccords majeurs

François Cusset-Nathalie Heinich : désaccords majeurs

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  Qu’attendez-vous de cet échange ? Nathalie Heinich : J’ai la curiosité de savoir s’il est possible d’échanger de véritables arguments qui ne soient pas des invectives, ce qui est malheureusement la tendance de notre époque. François Cusset : Je suis un peu sceptique sur la possibilité qu’il en sorte quelque chose. Le seul avantage que j’y vois, c’est que la spontanéité de la parole court-circuite les stratégies rhétoriques qui se déploient dans l’espace médiatique, notamment sur le Web, de façon idéologique et polarisée. N. H. : D’après mon expérience, il est peu probable qu’un dialogue de ce type modifie nos positions respectives. Il n’est même pas certain que cela permette une meilleure compréhension mutuelle ! Cependant, il peut être utile d’expliciter nos divergences aux yeux des tiers, pour le public, les lecteurs… F. C. : Lesquels ont eux-mêmes des opinions déjà forgées avant de lire et auront tendance à choisir l’interlocuteur dont ils se sentent le plus proches. N. H. : Là, je serais plus mesurée, il y a aussi des sujets sur lesquels bien des gens hésitent. C’est à ceux-là que j’ai envie de m’adresser. “Qu’il y ait aujourd’hui un déplacement des sensibilités sur les questions du genre ou de la race, c’est certain. Que cela prenne une forme monolithique relève d’une déformation délibérée à des fins politiques”François Cusset En cas de désaccord, une méthode pour avancer consiste à clarifier les termes du débat. En l’occurrence, vous n’avez pas la même compréhension du mot « wokisme ». Pour vous, François Cusset, il ne désigne pas une réalité mais un fantasme. F. C. : En effet, il y a un problème de délimitation de l’objet. À quoi renvoie ce soi-disant wokisme ? Ceux qui emploient le terme, en général pour s’y opposer, ont tendance à y mettre à la fois les études de genre, la pensée décoloniale, les luttes féministes, le mouvement LGBT, parfois aussi l’écologie radicale, voire des revendications venues de l’islam politique. Qu’il y ait aujourd’hui, notamment dans la nouvelle génération, un déplacement des sensibilités sur les questions du genre ou de la race, c’est certain. Que cela prenne une forme monolithique, révèle une idéologie, au singulier, est tout à fait inexact ou, plutôt, relève d’une déformation délibérée à des fins politiques – le suffixe « -isme » dit bien qu’on est dans la dénonciation idéologique. “Derrière la diversité des causes défendues, il y a une unité profonde, ce que j’appelle l’“identitarisme”. Le “wokisme” repose sur l’assignation des individus à des communautés d’appartenance”Nathalie Heinich N. H. : J’ai une réponse à la fois sur le terme et sur le contenu. Sur le terme, je tiens quand même à affirmer que le mot « woke » existe, a un large usage dans la population américaine depuis le mouvement Black Lives Matter et qu’il entre de surcroît en résonance avec la théologie de l’éveil répandue dans le protestantisme américain. Donc, nous n’avons pas affaire à une création de toutes pièces à des fins de stigmatisation… Sur le contenu, j’ajoute que derrière la diversité des causes défendues, il y a une unité profonde. Le trait commun tient à ce que j’appelle l’« identitarisme ». Le wokisme repose sur l’assignation des individus à des communautés d’appartenance qui se définissent par les discriminations subies : femmes, personnes de couleur, homosexuels et trans, Arabes ou Noirs, musulmans, voire obèses ou handicapés… Tout cela est propre à la tradition anglo-américaine du multiculturalisme, qui tend à opposer les êtres en fonction d’appartenances communautarisées. F. C. : Le terme « woke » est en effet lié aux théologies de l’éveil, très actives sur le sol américain à partir du XVIIIe siècle. Mais si le mot woke ou l’expression stay woke ont bien été employés par les Afro-Américains, par beaucoup d’autres aussi, nul ne se revendique du wokisme, terme de polémistes d’extrême droite. Quant à l’identité, ici, c’est un problème, un fardeau, une assignation, pas une idéologie, et un « -isme » de plus. N. H. : Je suis doublement en désaccord. D’abord, on peut avoir d’excellentes raisons de s’opposer à une idéologie comme l’identitarisme, notamment au nom de l’universalisme. De plus, votre réduction de l’adversaire à l’extrême droite est abusive : puisque vous êtes américaniste, vous n’ignorez pas qu’une partie de la gauche intellectuelle américaine et du Parti démocrate se déclarent aujourd’hui anti-woke. Je vous renvoie, par exemple, aux interventions du psychologue Jonathan Haidt ou au livre de la philosophe Susan Neiman, Left Is Not Woke [« La gauche n’est pas le wokisme », non traduit]. Moi-même, je me définis comme une anti-woke de gauche. Le procédé que vous venez d’employer, consistant à disqualifier l’adversaire en l’assimilant à la droite, est typiquement stalinien ! Extrême droite d’un côté, stalinisme de l’autre… On a envie de dire : un partout ! Nathalie Heinich, vous insistez beaucoup sur l’importance de ne pas mélanger la recherche et le militantisme. Mais la neutralité est-elle possible, lorsqu’on est un intellectuel et qu’on intervient dans l’espace public ? N. H. : Ne nous trompons pas d’arène ! La neutralité n’a de sens que dans le monde académique, universitaire. Mais lorsque je signe un pamphlet ou que j’interviens dans un dialogue comme celui-ci, il s’agit d’une prise de parole politique. La distinction des arènes est essentielle. Or, comme à l’époque du stalinisme, ceux que j’appelle les « académo-militants » estiment que la production et la transmission des connaissances doivent être subordonnées à des objectifs politiques. C’est ce que je nomme dans mon livre l’« idéologisme », qui est une dimension du totalitarisme. F. C. : « Stalinien » ! Toujours jeter le bébé avec l’eau du bain, les luttes de libération d’aujourd’hui avec le goulag d’hier… Et puis, excusez ce trait d’humour, mais ce que vous dites de la neutralité me rappelle ce que disait Paul Claudel de la tolérance : « Il y a des maisons pour ça ! » Vous semblez penser qu’une institution comme l’Université, qui jouit d’une autonomie symbolique très relative, serait indemne des rapports de forces traversant la société. C’est impossible ! Des intérêts économiques et politiques imprègnent l’Université – que vous connaissez bien mal ! – et une guerre permanente s’y livre. Aujourd’hui, il y a dans le microcosme des sciences sociales un conflit entre des forces progressistes et réactionnaires, mais aussi, oui, entre la gauche sociale et la gauche culturelle. N. H. : Le sociologue Max Weber évoquait le concept de « neutralité axiologique » afin de décrire la position du savant dans l’enceinte académique, qui n’est pas celle du politique : le savant doit y suspendre son jugement de valeur par rapport aux objets qu’il étudie. Nous avons, bien sûr, les uns et les autres, des enracinements subjectifs, des valeurs, des opinions, mais nous devons les mettre de côté lorsque nous faisons de la recherche et de l’enseignement. Au contraire, la vogue du wokisme incite les étudiants et les chercheurs à mettre en avant leurs subjectivités, leurs identités blessées, ce qui est à l’opposé de l’idéal de rationalité et d’objectivité que nous sommes censés défendre en tant que membres de la communauté scientifique. F. C. : Alors, il faudrait interroger votre possible schizophrénie : comprendre comment Nathalie Heinich, la personne doxique, qui a toute une série d’opinions et d’engagements pour défendre ce qu’elle appelle ses valeurs, pourrait les suspendre pour rejoindre un espace neutralisé, aseptisé, qui serait celui du savoir pur et désintéressé. Non seulement cela me paraît improbable, mais la simple expression d’« universalisme républicain » me semble elle-même travaillée par une contradiction interne, dans la mesure où elle met en œuvre un universalisme particulier, appartenant à la tradition française et qui ne connaît aucun équivalent dans les autres pays. N. H. : Concernant ma neutralité, je vous invite à lire mes ouvrages de sociologie et vous mets au défi d’y trouver la moindre position partisane sur mes objets ! Quant à l’accusation d’ethnocentrisme faite à la position universaliste, j’en ai démontré l’erreur dans l’introduction d’Oser l’universalisme. Contre le communautarisme [Le Bord de l’eau, 2021]. François Cusset, vous soutenez paradoxalement que l’« intersectionnalité » ou l’« intersectionnalisme » pourrait renvoyer à une conception de l’universel non républicaine. Pouvez-vous expliquer cela ? F. C. : J’emploie ce terme ici par provocation… L’intersectionnalité, c’est l’idée que certaines luttes sont reliées entre elles, ou gagneraient à l’être, notamment quatre grandes luttes actuelles : le combat écologique, le combat antiraciste lié à l’histoire des discriminations ethno-religieuses, le combat de genre ou lié à l’égalité des sexes, ainsi que le combat le plus ancien qui sert de cadre extérieur aux autres, le combat contre le système économique et idéologique du capitalisme. Certains militants proposent de relier tactiquement ces causes. Or il me semble que sur les ruines d’une notion d’universel dont on a beaucoup mésusé, puisqu’elle a servi à défendre la domination masculine ou les conquêtes coloniales, on pourrait reconstruire un universel qui resterait ouvert et relierait ces combats. Leur enjeu commun, lui, est assez simple : il consiste à dire que nous avons tous la même terre sous nos pieds et que nous devrions cesser d’y creuser les inégalités. N. H. : Si vous employez un terme aussi compliqué que celui d’intersectionnalité pour dire que les chances de réussite d’une femme noire ou arabe sont moins grandes que celle d’un homme blanc, vous découvrez la Lune ! Plus fondamentalement, vouloir faire de la notion d’intersectionnalité un tremplin vers l’universel me paraît absurde, dans la mesure où elle s’appuie au préalable sur une vision communautarisée du monde. Pour avoir une vision et une visée communes, il faut suspendre les affiliations communautaires au profit d’une référence à une entité plus générale. F. C. : Vous renvoyez tout à ce mot de communauté, que vous diabolisez en vous inscrivant dans la tradition du républicanisme français, moyennant un immense contresens. Lorsqu’on lit des auteurs comme Kimberlé Crenshaw, la juriste qui a inventé le mot intersectionnalité, il y est très clair que l’identité ne s’écrit jamais au singulier, qu’elle n’est pas unique, ni figée, ni une fin en soi. Chacun de nous est tissé d’identités plurielles : sociale, culturelle, sexuelle, de genre, géographique. Et si l’identité est plurielle, relative et changeante, si ce qui était imposé peut être réapproprié, ce qui semblait essence, devenir chantier et coexistence, alors elle fait signe vers un universel en construction. N. H. : La version que vous présentez est de loin la plus intelligente, et je crois comme vous que Kimberlé Crenshaw est plus profonde que pas mal de ceux qui emploient son concept à tort et à travers. Le problème est que, lorsqu’on explique qu’une femme blanche ne peut pas traduire une poétesse noire ou que des militants « antiracistes » font interdire une représentation d’Eschyle à la Sorbonne parce que certains comédiens portent des masques noirs, on en revient à une version essentialiste de l’identité. Par ailleurs, vous avez raison, la France est probablement le pays au monde qui est allé le plus loin dans la décision de construire une définition politique, civique et non communautaire de la citoyenneté. Mais le fait que nous soyons les seuls à défendre cette position ne signifie pas que nous ayons tort contre le reste du monde. F. C. : Très peu de militants, de chercheurs ou d’étudiants essentialisent, comme vous dites. À plusieurs reprises dans vos écrits, vous évoquez la possibilité d’un choix, vous supposez que les gens, surtout dans la jeune génération, seraient désireux d’affirmer leurs appartenances communautaires. Vous ne semblez pas saisir la logique même de l’assignation. En réalité, c’est l’inverse qui se produit : lorsqu’on est musulman ou homosexuel en France, on se voit assigner cette identité de l’extérieur, on est sans arrêt renvoyé à des stéréotypes. Ce que vous appelez « identitarisme », c’est plutôt une tentative pour retourner l’assignation, ne pas se faire enfermer dans une catégorie – Noir, musulman, femme, etc. Une formule revient souvent chez les jeunes, les militants : « Laissez-nous être multiples… » Pas juste différents les uns des autres, version marketing de la diversité à la mode depuis au moins les campagnes « United Colors of Benetton », mais au sens d’une tout autre aspiration : « Laissez-nous négocier nos affiliations contradictoires, en nous et entre nous, laissez-nous tracer notre chemin vers la liberté »… “L’écriture inclusive enferme autoritairement dans une identité sexuée. La volonté d’imposer une novlangue politiquement conforme relève d’une logique caractéristique du totalitarisme”Nathalie Heinich N. H. : Je ne vois vraiment pas qui vous empêcherait de faire cela, quelles forces sociales réelles s’opposeraient à votre désir d’être multiple ! En outre, vous cultivez un imaginaire de l’assignation systématique, quels que soient les contextes. Il en va ainsi de l’écriture inclusive, qui enferme autoritairement dans une identité sexuée. La volonté d’imposer une novlangue politiquement conforme relève d’une logique caractéristique du totalitarisme. D’ailleurs, dans votre « Tract », vous-même vous excusez de ne pas l’employer, reconnaissant ainsi être un traître à votre cause… “Il n’y a pas de totalitarisme sans appareil d’État, sans un État qui soumet la société. Je veux bien que vous n’aimiez pas l’écriture inclusive, mais n’êtes-vous pas en train de pécher par exagération ?”François Cusset F. C. : Cet usage que vous venez de faire du mot totalitarisme, jusque dans le titre de votre dernier livre, est vraiment ma limite, morale et politique, et m’a fait hésiter à accepter ce dialogue. Qu’est-ce que le totalitarisme ? Pas un mot, en tout cas, à employer pour la métaphore, s’il renvoie aux régimes nazi et soviétique, et à leurs millions de victimes. Il n’y a pas de totalitarisme sans appareil d’État, sans un État qui soumet la société, comme l’a bien montré Hannah Arendt. Je veux bien que vous n’aimiez pas l’écriture inclusive, mais n’êtes-vous pas en train de pécher par exagération ? N. H. : Le wokisme n’est pas un totalitarisme au sens littéral car, heureusement, les « woke » ne sont pas au pouvoir : nous n’avons donc pas affaire au totalitarisme tel que Hannah Arendt a pu l’étudier. Mais nous sommes dans ce que j’appelle un « totalitarisme d’atmosphère », en reprenant ce que Gilles Kepel a écrit sur le « djihadisme d’atmosphère » : il y a des opinions qu’il serait illégitime d’exprimer, des personnes qui sont réduites au silence, des livres qui sont bannis des bibliothèques, des statues qui sont déboulonnées. La cancel culture fait régner une sourde terreur dans le milieu universitaire, tandis que des sensitivity readers sont appointés par les maisons d’édition américaines afin de s’assurer que les livres à paraître soient conformes à la nouvelle idéologie. F. C. : Je récuse cette expression de « totalitarisme d’atmosphère », oxymore absurde, qui relève de l’incommensurable. Vous produisez là un amalgame délibéré, inutile et dangereux. N. H. : Ce n’est pas un amalgame mais une analogie. Et je fais cette analogie pour une raison très précise : il y a cinquante ou soixante ans, si des intellectuels voulaient dénoncer le goulag, ils étaient réduits au silence, ostracisés au sein de leur propre université, accusés de faire le jeu du « grand capital ». Aujourd’hui, on nous accuse pareillement de faire le jeu de l’extrême droite. F. C. : Votre analogie ressemble surtout à un lapsus : c’est le regret d’avoir perdu l’ennemi communiste bien commode – et qui, du reste, n’avait rien de communiste, puisqu’il s’agissait du système soviétique –, mais fort heureusement, vous avez trouvé à le remplacer par ce nouvel ennemi que serait le wokisme. Le point de départ, la querelle du « politiquement correct », ne date pas par hasard du tournant des années 1990… Reste que ce parallèle constant est infondé : il y a soixante ans, il existait un Parti communiste en France, puissant, alors qu’aujourd’hui, il n’y a pas de parti wokiste ! N. H. : Pas de parti, soit, mais les wokistes ont de plus en plus de pouvoir au sein de l’Université. Je reçois de nombreux messages de collègues, notamment de jeunes, qui font état des pressions qu’ils subissent. Sur le site de l’Observatoire des idéologies identitaires, nous recensons chaque semaine les séminaires, les colloques, les projets de thèse qui traitent de sujets woke : c’est considérable ! F. C. : Vous décrivez une Université qui n’existe pas. N. H. : Allez voir sur le site, lisez nos rapports. F. C. : J’enseigne à l’Université en France et interviens souvent dans les universités américaines. J’ai une petite minorité d’étudiants très vigilants sur ces thématiques, mais la liberté de parole en classe reste entière. Si vous vous étonnez que des projets de recherche en rapport avec le genre, la race ou l’écologie se multiplient, c’est que ces questions agitent nos sociétés ! Par ailleurs, les studies – gender studies, postcolonial studies, etc. – ne sont pas enseignées à l’Université en France. En tant que chercheuse au CNRS, vous mettez de temps à autre le nez dans un colloque, mais le terrain des classes dans l’enseignement supérieur, vous ne le connaissez pas. N. H. : Je n’y suis pas mais je me renseigne. Par ailleurs, mes collègues américains qui essaient de faire en sorte que mes livres soient traduits en anglais me disent que les presses universitaires américaines sont réticentes, car, pour être publié, il faut parler de « genre » ou de « race ». F. C. : Vous vous étonnez d’être brûlée par un feu sur lequel vous soufflez beaucoup ! Nous arrivons au terme de ce dialogue, sans avoir bien entendu pu épuiser tous les sujets…  Qu’en retirez-vous ? N. H. : Moi, j’en retire le regret de ne pas avoir mieux exprimé le fait que, de mon point de vue, la lutte contre les inégalités et les discriminations est parfaitement légitime mais qu’elle est mal servie par un wokisme qui est essentiellement un mouvement de campus et n’a guère d’incidence sur la société civile. Je pense que ceux qui veulent lutter contre les inégalités doivent le faire dans des partis et des associations, c’est-à-dire dans le cadre démocratique. F. C. : Je peux, de façon symétrique, exprimer le regret que ce débat sur le soi-disant wokisme fasse diversion par rapport au vrai danger pour l’Université et la recherche, qui ne tient pas du tout à la prétendue « hystérie woke » mais à la baisse des budgets, à l’état de précarité cognitive et sociale dramatique des gens qui y étudient et y enseignent… Bref, au néolibéralisme et à ses « réformes ». Les étudiants se sont tellement appauvris. Voilà qui me paraît beaucoup plus important et mériter notre engagement !  

Qu’attendez-vous de cet échange ?

Nathalie Heinich : J’ai la curiosité de savoir s’il est possible d’échanger de véritables arguments qui ne soient pas des invectives, ce qui est malheureusement la tendance de notre époque.

François Cusset : Je suis un peu sceptique sur la possibilité qu’il en sorte quelque chose. Le seul avantage que j’y vois, c’est que la spontanéité de la parole court-circuite les stratégies rhétoriques qui se déploient dans l’espace médiatique, notamment sur le Web, de façon idéologique et polarisée.

N. H. : D’après mon expérience, il est peu probable qu’un dialogue de ce type modifie nos positions respectives. Il n’est même pas certain que cela permette une meilleure compréhension mutuelle ! Cependant, il peut être utile d’expliciter nos divergences aux yeux des tiers, pour le public, les lecteurs…

F. C. : Lesquels ont eux-mêmes des opinions déjà forgées avant de lire et auront tendance à choisir l’interlocuteur dont ils se sentent le plus proches.

N. H. : Là, je serais plus mesurée, il y a aussi des sujets sur lesquels bien des gens hésitent. C’est à ceux-là que j’ai envie de m’adresser.

“Qu’il y ait aujourd’hui un déplacement des sensibilités sur les questions du genre ou de la race, c’est certain. Que cela prenne une forme monolithique relève d’une déformation délibérée à des fins politiques”
François Cusset

En cas de désaccord, une méthode pour avancer consiste à clarifier les termes du débat. En l’occurrence, vous n’avez pas la même compréhension du mot « wokisme ». Pour vous, François Cusset, il ne désigne pas une réalité mais un fantasme.

F. C. : En effet, il y a un problème de délimitation de l’objet. À quoi renvoie ce soi-disant wokisme ? Ceux qui emploient le terme, en général pour s’y opposer, ont tendance à y mettre à la fois les études de genre, la pensée décoloniale, les luttes féministes, le mouvement LGBT, parfois aussi l’écologie radicale, voire des revendications venues de l’islam politique. Qu’il y ait aujourd’hui, notamment dans la nouvelle génération, un déplacement des sensibilités sur les questions du genre ou de la race, c’est certain. Que cela prenne une forme monolithique, révèle une idéologie, au singulier, est tout à fait inexact ou, plutôt, relève d’une déformation délibérée à des fins politiques – le suffixe « -isme » dit bien qu’on est dans la dénonciation idéologique.

“Derrière la diversité des causes défendues, il y a une unité profonde, ce que j’appelle l’“identitarisme”. Le “wokisme” repose sur l’assignation des individus à des communautés d’appartenance”
Nathalie Heinich

N. H. : J’ai une réponse à la fois sur le terme et sur le contenu. Sur le terme, je tiens quand même à affirmer que le mot « woke » existe, a un large usage dans la population américaine depuis le mouvement Black Lives Matter et qu’il entre de surcroît en résonance avec la théologie de l’éveil répandue dans le protestantisme américain. Donc, nous n’avons pas affaire à une création de toutes pièces à des fins de stigmatisation… Sur le contenu, j’ajoute que derrière la diversité des causes défendues, il y a une unité profonde. Le trait commun tient à ce que j’appelle l’« identitarisme ». Le wokisme repose sur l’assignation des individus à des communautés d’appartenance qui se définissent par les discriminations subies : femmes, personnes de couleur, homosexuels et trans, Arabes ou Noirs, musulmans, voire obèses ou handicapés… Tout cela est propre à la tradition anglo-américaine du multiculturalisme, qui tend à opposer les êtres en fonction d’appartenances communautarisées.

F. C. : Le terme « woke » est en effet lié aux théologies de l’éveil, très actives sur le sol américain à partir du XVIIIe siècle. Mais si le mot woke ou l’expression stay woke ont bien été employés par les Afro-Américains, par beaucoup d’autres aussi, nul ne se revendique du wokisme, terme de polémistes d’extrême droite. Quant à l’identité, ici, c’est un problème, un fardeau, une assignation, pas une idéologie, et un « -isme » de plus.

N. H. : Je suis doublement en désaccord. D’abord, on peut avoir d’excellentes raisons de s’opposer à une idéologie comme l’identitarisme, notamment au nom de l’universalisme. De plus, votre réduction de l’adversaire à l’extrême droite est abusive : puisque vous êtes américaniste, vous n’ignorez pas qu’une partie de la gauche intellectuelle américaine et du Parti démocrate se déclarent aujourd’hui anti-woke. Je vous renvoie, par exemple, aux interventions du psychologue Jonathan Haidt ou au livre de la philosophe Susan Neiman, Left Is Not Woke [« La gauche n’est pas le wokisme », non traduit]. Moi-même, je me définis comme une anti-woke de gauche. Le procédé que vous venez d’employer, consistant à disqualifier l’adversaire en l’assimilant à la droite, est typiquement stalinien !

Extrême droite d’un côté, stalinisme de l’autre… On a envie de dire : un partout ! Nathalie Heinich, vous insistez beaucoup sur l’importance de ne pas mélanger la recherche et le militantisme. Mais la neutralité est-elle possible, lorsqu’on est un intellectuel et qu’on intervient dans l’espace public ?

N. H. : Ne nous trompons pas d’arène ! La neutralité n’a de sens que dans le monde académique, universitaire. Mais lorsque je signe un pamphlet ou que j’interviens dans un dialogue comme celui-ci, il s’agit d’une prise de parole politique. La distinction des arènes est essentielle. Or, comme à l’époque du stalinisme, ceux que j’appelle les « académo-militants » estiment que la production et la transmission des connaissances doivent être subordonnées à des objectifs politiques. C’est ce que je nomme dans mon livre l’« idéologisme », qui est une dimension du totalitarisme.

F. C. : « Stalinien » ! Toujours jeter le bébé avec l’eau du bain, les luttes de libération d’aujourd’hui avec le goulag d’hier… Et puis, excusez ce trait d’humour, mais ce que vous dites de la neutralité me rappelle ce que disait Paul Claudel de la tolérance : « Il y a des maisons pour ça ! » Vous semblez penser qu’une institution comme l’Université, qui jouit d’une autonomie symbolique très relative, serait indemne des rapports de forces traversant la société. C’est impossible ! Des intérêts économiques et politiques imprègnent l’Université – que vous connaissez bien mal ! – et une guerre permanente s’y livre. Aujourd’hui, il y a dans le microcosme des sciences sociales un conflit entre des forces progressistes et réactionnaires, mais aussi, oui, entre la gauche sociale et la gauche culturelle.

N. H. : Le sociologue Max Weber évoquait le concept de « neutralité axiologique » afin de décrire la position du savant dans l’enceinte académique, qui n’est pas celle du politique : le savant doit y suspendre son jugement de valeur par rapport aux objets qu’il étudie. Nous avons, bien sûr, les uns et les autres, des enracinements subjectifs, des valeurs, des opinions, mais nous devons les mettre de côté lorsque nous faisons de la recherche et de l’enseignement. Au contraire, la vogue du wokisme incite les étudiants et les chercheurs à mettre en avant leurs subjectivités, leurs identités blessées, ce qui est à l’opposé de l’idéal de rationalité et d’objectivité que nous sommes censés défendre en tant que membres de la communauté scientifique.

F. C. : Alors, il faudrait interroger votre possible schizophrénie : comprendre comment Nathalie Heinich, la personne doxique, qui a toute une série d’opinions et d’engagements pour défendre ce qu’elle appelle ses valeurs, pourrait les suspendre pour rejoindre un espace neutralisé, aseptisé, qui serait celui du savoir pur et désintéressé. Non seulement cela me paraît improbable, mais la simple expression d’« universalisme républicain » me semble elle-même travaillée par une contradiction interne, dans la mesure où elle met en œuvre un universalisme particulier, appartenant à la tradition française et qui ne connaît aucun équivalent dans les autres pays.

N. H. : Concernant ma neutralité, je vous invite à lire mes ouvrages de sociologie et vous mets au défi d’y trouver la moindre position partisane sur mes objets ! Quant à l’accusation d’ethnocentrisme faite à la position universaliste, j’en ai démontré l’erreur dans l’introduction d’Oser l’universalisme. Contre le communautarisme [Le Bord de l’eau, 2021].

François Cusset, vous soutenez paradoxalement que l’« intersectionnalité » ou l’« intersectionnalisme » pourrait renvoyer à une conception de l’universel non républicaine. Pouvez-vous expliquer cela ?

F. C. : J’emploie ce terme ici par provocation… L’intersectionnalité, c’est l’idée que certaines luttes sont reliées entre elles, ou gagneraient à l’être, notamment quatre grandes luttes actuelles : le combat écologique, le combat antiraciste lié à l’histoire des discriminations ethno-religieuses, le combat de genre ou lié à l’égalité des sexes, ainsi que le combat le plus ancien qui sert de cadre extérieur aux autres, le combat contre le système économique et idéologique du capitalisme. Certains militants proposent de relier tactiquement ces causes. Or il me semble que sur les ruines d’une notion d’universel dont on a beaucoup mésusé, puisqu’elle a servi à défendre la domination masculine ou les conquêtes coloniales, on pourrait reconstruire un universel qui resterait ouvert et relierait ces combats. Leur enjeu commun, lui, est assez simple : il consiste à dire que nous avons tous la même terre sous nos pieds et que nous devrions cesser d’y creuser les inégalités.

N. H. : Si vous employez un terme aussi compliqué que celui d’intersectionnalité pour dire que les chances de réussite d’une femme noire ou arabe sont moins grandes que celle d’un homme blanc, vous découvrez la Lune ! Plus fondamentalement, vouloir faire de la notion d’intersectionnalité un tremplin vers l’universel me paraît absurde, dans la mesure où elle s’appuie au préalable sur une vision communautarisée du monde. Pour avoir une vision et une visée communes, il faut suspendre les affiliations communautaires au profit d’une référence à une entité plus générale.

F. C. : Vous renvoyez tout à ce mot de communauté, que vous diabolisez en vous inscrivant dans la tradition du républicanisme français, moyennant un immense contresens. Lorsqu’on lit des auteurs comme Kimberlé Crenshaw, la juriste qui a inventé le mot intersectionnalité, il y est très clair que l’identité ne s’écrit jamais au singulier, qu’elle n’est pas unique, ni figée, ni une fin en soi. Chacun de nous est tissé d’identités plurielles : sociale, culturelle, sexuelle, de genre, géographique. Et si l’identité est plurielle, relative et changeante, si ce qui était imposé peut être réapproprié, ce qui semblait essence, devenir chantier et coexistence, alors elle fait signe vers un universel en construction.

N. H. : La version que vous présentez est de loin la plus intelligente, et je crois comme vous que Kimberlé Crenshaw est plus profonde que pas mal de ceux qui emploient son concept à tort et à travers. Le problème est que, lorsqu’on explique qu’une femme blanche ne peut pas traduire une poétesse noire ou que des militants « antiracistes » font interdire une représentation d’Eschyle à la Sorbonne parce que certains comédiens portent des masques noirs, on en revient à une version essentialiste de l’identité. Par ailleurs, vous avez raison, la France est probablement le pays au monde qui est allé le plus loin dans la décision de construire une définition politique, civique et non communautaire de la citoyenneté. Mais le fait que nous soyons les seuls à défendre cette position ne signifie pas que nous ayons tort contre le reste du monde.

F. C. : Très peu de militants, de chercheurs ou d’étudiants essentialisent, comme vous dites. À plusieurs reprises dans vos écrits, vous évoquez la possibilité d’un choix, vous supposez que les gens, surtout dans la jeune génération, seraient désireux d’affirmer leurs appartenances communautaires. Vous ne semblez pas saisir la logique même de l’assignation. En réalité, c’est l’inverse qui se produit : lorsqu’on est musulman ou homosexuel en France, on se voit assigner cette identité de l’extérieur, on est sans arrêt renvoyé à des stéréotypes. Ce que vous appelez « identitarisme », c’est plutôt une tentative pour retourner l’assignation, ne pas se faire enfermer dans une catégorie – Noir, musulman, femme, etc. Une formule revient souvent chez les jeunes, les militants : « Laissez-nous être multiples… » Pas juste différents les uns des autres, version marketing de la diversité à la mode depuis au moins les campagnes « United Colors of Benetton », mais au sens d’une tout autre aspiration : « Laissez-nous négocier nos affiliations contradictoires, en nous et entre nous, laissez-nous tracer notre chemin vers la liberté »…

“L’écriture inclusive enferme autoritairement dans une identité sexuée. La volonté d’imposer une novlangue politiquement conforme relève d’une logique caractéristique du totalitarisme”
Nathalie Heinich

N. H. : Je ne vois vraiment pas qui vous empêcherait de faire cela, quelles forces sociales réelles s’opposeraient à votre désir d’être multiple ! En outre, vous cultivez un imaginaire de l’assignation systématique, quels que soient les contextes. Il en va ainsi de l’écriture inclusive, qui enferme autoritairement dans une identité sexuée. La volonté d’imposer une novlangue politiquement conforme relève d’une logique caractéristique du totalitarisme. D’ailleurs, dans votre « Tract », vous-même vous excusez de ne pas l’employer, reconnaissant ainsi être un traître à votre cause…

“Il n’y a pas de totalitarisme sans appareil d’État, sans un État qui soumet la société. Je veux bien que vous n’aimiez pas l’écriture inclusive, mais n’êtes-vous pas en train de pécher par exagération ?”
François Cusset

F. C. : Cet usage que vous venez de faire du mot totalitarisme, jusque dans le titre de votre dernier livre, est vraiment ma limite, morale et politique, et m’a fait hésiter à accepter ce dialogue. Qu’est-ce que le totalitarisme ? Pas un mot, en tout cas, à employer pour la métaphore, s’il renvoie aux régimes nazi et soviétique, et à leurs millions de victimes. Il n’y a pas de totalitarisme sans appareil d’État, sans un État qui soumet la société, comme l’a bien montré Hannah Arendt. Je veux bien que vous n’aimiez pas l’écriture inclusive, mais n’êtes-vous pas en train de pécher par exagération ?

N. H. : Le wokisme n’est pas un totalitarisme au sens littéral car, heureusement, les « woke » ne sont pas au pouvoir : nous n’avons donc pas affaire au totalitarisme tel que Hannah Arendt a pu l’étudier. Mais nous sommes dans ce que j’appelle un « totalitarisme d’atmosphère », en reprenant ce que Gilles Kepel a écrit sur le « djihadisme d’atmosphère » : il y a des opinions qu’il serait illégitime d’exprimer, des personnes qui sont réduites au silence, des livres qui sont bannis des bibliothèques, des statues qui sont déboulonnées. La cancel culture fait régner une sourde terreur dans le milieu universitaire, tandis que des sensitivity readers sont appointés par les maisons d’édition américaines afin de s’assurer que les livres à paraître soient conformes à la nouvelle idéologie.

F. C. : Je récuse cette expression de « totalitarisme d’atmosphère », oxymore absurde, qui relève de l’incommensurable. Vous produisez là un amalgame délibéré, inutile et dangereux.

N. H. : Ce n’est pas un amalgame mais une analogie. Et je fais cette analogie pour une raison très précise : il y a cinquante ou soixante ans, si des intellectuels voulaient dénoncer le goulag, ils étaient réduits au silence, ostracisés au sein de leur propre université, accusés de faire le jeu du « grand capital ». Aujourd’hui, on nous accuse pareillement de faire le jeu de l’extrême droite.

F. C. : Votre analogie ressemble surtout à un lapsus : c’est le regret d’avoir perdu l’ennemi communiste bien commode – et qui, du reste, n’avait rien de communiste, puisqu’il s’agissait du système soviétique –, mais fort heureusement, vous avez trouvé à le remplacer par ce nouvel ennemi que serait le wokisme. Le point de départ, la querelle du « politiquement correct », ne date pas par hasard du tournant des années 1990… Reste que ce parallèle constant est infondé : il y a soixante ans, il existait un Parti communiste en France, puissant, alors qu’aujourd’hui, il n’y a pas de parti wokiste !

N. H. : Pas de parti, soit, mais les wokistes ont de plus en plus de pouvoir au sein de l’Université. Je reçois de nombreux messages de collègues, notamment de jeunes, qui font état des pressions qu’ils subissent. Sur le site de l’Observatoire des idéologies identitaires, nous recensons chaque semaine les séminaires, les colloques, les projets de thèse qui traitent de sujets woke : c’est considérable !

F. C. : Vous décrivez une Université qui n’existe pas.

N. H. : Allez voir sur le site, lisez nos rapports.

F. C. : J’enseigne à l’Université en France et interviens souvent dans les universités américaines. J’ai une petite minorité d’étudiants très vigilants sur ces thématiques, mais la liberté de parole en classe reste entière. Si vous vous étonnez que des projets de recherche en rapport avec le genre, la race ou l’écologie se multiplient, c’est que ces questions agitent nos sociétés ! Par ailleurs, les studies – gender studies, postcolonial studies, etc. – ne sont pas enseignées à l’Université en France. En tant que chercheuse au CNRS, vous mettez de temps à autre le nez dans un colloque, mais le terrain des classes dans l’enseignement supérieur, vous ne le connaissez pas.

N. H. : Je n’y suis pas mais je me renseigne. Par ailleurs, mes collègues américains qui essaient de faire en sorte que mes livres soient traduits en anglais me disent que les presses universitaires américaines sont réticentes, car, pour être publié, il faut parler de « genre » ou de « race ».

F. C. : Vous vous étonnez d’être brûlée par un feu sur lequel vous soufflez beaucoup !

Nous arrivons au terme de ce dialogue, sans avoir bien entendu pu épuiser tous les sujets…  Qu’en retirez-vous ?

N. H. : Moi, j’en retire le regret de ne pas avoir mieux exprimé le fait que, de mon point de vue, la lutte contre les inégalités et les discriminations est parfaitement légitime mais qu’elle est mal servie par un wokisme qui est essentiellement un mouvement de campus et n’a guère d’incidence sur la société civile. Je pense que ceux qui veulent lutter contre les inégalités doivent le faire dans des partis et des associations, c’est-à-dire dans le cadre démocratique.

F. C. : Je peux, de façon symétrique, exprimer le regret que ce débat sur le soi-disant wokisme fasse diversion par rapport au vrai danger pour l’Université et la recherche, qui ne tient pas du tout à la prétendue « hystérie woke » mais à la baisse des budgets, à l’état de précarité cognitive et sociale dramatique des gens qui y étudient et y enseignent… Bref, au néolibéralisme et à ses « réformes ». Les étudiants se sont tellement appauvris. Voilà qui me paraît beaucoup plus important et mériter notre engagement ! 

 

« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »

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