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point g

Inclusivité excluante

par Yana Grinshpun

Vous souvenez-vous de l’histoire du Pass Navigo ? Cette carte à puce a été mise en utilisation en 2001. Depuis 2008, la SNCF a déployé un dispositif d’incitation massif pour obliger les utilisateurs à ne plus utiliser la carte Orange. D’abord, on a expliqué aux passagers que c’était plus commode, plus pratique et plus rapide, ensuite on a baissé le nombre de portillons d’accès acceptant cette carte, et on a terminé par ne plus vendre le coupon papier mensuel qui a été définitivement remplacé par la carte à puce rechargeable devenue obligatoire pour quiconque voyage régulièrement en transports en commun.

Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est le passage progressif du discours bienveillant qui met en scène la commodité et la praticité de la carte magnétique à l’obligation indiscutable de son usage. Depuis 2009, la rhétorique de la bienveillance s’est tue car elle n’était plus nécessaire. Le passe Navigo a remplacé la carte Orange sans alternative.

L’idée de l’écriture inclusive part de l’intention qui prétend être bienveillante – rendre la « visibilité » à la moitié de l’humanité autrement imperceptible ni à l’œil ni à l’oreille. Le dogme inclusiviste postule que la langue est imparfaite, qu’elle a été perfidement masculinisée par un groupe de grammairiens mâles depuis le XVII° siècle. Ces derniers étaient visiblement misogynes et certainement antiféministes avant l’heure, ils complotaient pour « invisibiliser » le beau sexe (qu’on me pardonne les stéréotypes sexistes) par le travail acharné de masculinisation du lexique et de la morphosyntaxe du français. Pour mettre à l’œuvre ce stratagème, passé inaperçu par le bon peuple, ainsi empapaouté par les usurpateurs androcentristes, et démontrer en toute science quel sale tour a été joué aux francophones, une campagne « d’information » a été lancée depuis 2017. La désinformation grammaticale fondée sur les croyances personnelles des bienveillants, l’extraction des citations de leur contexte, les explications linguistiques les plus farfelues les unes que les autres, la confusion systématique des mots et des choses, les fantasmes projetés sur la langue – tout a été utilisé pour expliquer à quel point la gent féminine apparaîtra plus à la vue du monde si on se met à utiliser la graphie inclusive. Pour que la femme, cette laissée-pour-compte de la langue française, prenne enfin sa revanche, les locuteurs et les scripteurs sont désormais sommés d’oublier l’existence du générique scélérat et d’utiliser les formes du masculin et du féminin chaque fois qu’ils parlent des catégories génériques. Les étudiants et les étudiantes, ils et elles, chacun et chacune, les directeurs et les directrices et toutes et tous sont incontournables dans la novlangue universitaire.

La beauté de cette façade inclusive cache cependant une grande anarchie et méconnaissance de la morphologie du français. La « femme » est indiquée de temps en temps, souvent oubliée par les démagogues apprentis qui, après avoir exhibé une fois leur vertuisme graphique, en ajoutant un point et un e à candidat.e ou un point et un ice à directeur.ice, se replongent dans les injustices du français standard au bout d’un paragraphe. Il suffit de lire des écrits universitaires rédigés en français inclusif pour constater qu’ils excellent dans les usages anarchiques et irréguliers de la graphie inclusive et attestent la non-maîtrise de cette pratique.

Comme dans le cas du passe Navigo, au commencement était le verbe qui essayait de convaincre de l’utilité de la chose, et par conséquent, de la graphie réservée aux victimes de la masculinisation linguistique. Or, aujourd’hui à l’université, nous sommes arrivés au moment où les recommandations d’une minorité obsédée par le fantasme sexuel justicier ont cessé d’être bienveillantes. L’administration universitaire est passée de facto à l’orthographe inclusive, faisant fi de la circulaire de 2017 qui déconseille l’usage de cette écriture. Et lorsque l’on mentionne cette circulaire en fac, on entend inlassablement la vielle ferblanterie rebelle des révolutionnaires du cabinet :

– Quoi ! Nous, libres penseurs, humanistes et égalitaristes, écouter les préconisations du pouvoir ?! De ces criminels… Jamais ! Égalité, Sororité, Inclusivité !

Les coordinateurs des ouvrages universitaires ne sont pas en reste. Si la pratique de la réécriture des textes écrits en français standard était sporadique et loin d’être répandue il y a encore deux ans, elle est dorénavant pratiquée de manière autoritaire par certains directeurs de publications. Les textes rendus en français standard peuvent ne pas être publiés si leurs auteurs refusent la pratique orthographique inclusive. Le français standard est ainsi considéré inconvenant pour des publications universitaires « progressistes », il est relégué au plan des antiquités passéistes par la nouvelle oligarchie morale qui règne dans les universités françaises tout en se plaignant d’être réprimée par les affreux suppôts du pouvoir. C’est intéressant de voir que ces victimes auto-proclamées exercent dorénavant la dictature en excluant au nom de l’inclusivité.

La dictature a toujours produit du zèle, et les petits soldats de l’inclusivité qui, ne maîtrisant pas toutes les sinuosités de cette écriture et de ce jargon en général, se confondent déjà en excuses. C’est ainsi qu’une collègue qui invitait la communauté des linguistes sur une liste de diffusion linguistique importante à participer à un atelier créatif inclusif s’excusait publiquement d’utiliser le masculin générique qui « facilitait la lecture ». L’autre collègue lui répondait alors « La non-intention discriminatoire n’exclut en aucune façon l’effet discriminatoire ». Quelle connaissance des affres de l’âme humaine ! Un curé ne dirait pas mieux ! On comprend de cette docte correspondance que l’utilisation des formes standards équivaut à une discrimination selon le nouveau catéchisme dont la bigoterie couve un pulsion d’inquisition et de punition. À quand les journées d’autoflagellation publique pour les enseignants coupables d’utiliser les structures du français qui ne seraient pas « approuvées » par le tribunal de la bienveillance inclusiviste?

Et pour terminer en beauté, voici le nouveau décalogue du Parti féministe qui œuvre à la rédemption morale du petit monde universitaire sexiste, machiste et partiarcal. Une perle de bêtise assourdissante… Nous adressons nos plus chaleureuses félicitations aux émetteurs de ce guide, qui sont les heureux récipiendaires d’un point G (comme Gender theory).

La journée internationale des droits des femmes est l’occasion de promouvoir l’usage de ce guide dans nos pratiques de communication au sein de l’université.

10 RECOMMANDATIONS pour une communication publique sans stéréotype de sexe

1. Éliminer toutes les expressions sexistes
2. Accorder les noms de métiers, titres, grades et fonctions
3. User du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous et toutes
4. Utiliser l’ordre alphabétique lors d’une énumération
5. Présenter intégralement l’identité des femmes et des hommes
6. Ne pas réserver aux femmes les questions sur la vie personnelle
7. Parler « des femmes » plutôt que de « la femme », de la « journée internationale des droits des femmes » plutôt que de la « journée de la femme » et des « droits humains » plutôt que des « droits de l’homme »
8. Diversifier les représentations des femmes et des hommes
9. Veiller à équilibrer le nombre de femmes et d’hommes
10. Former les professionnel.le.s et diffuser ce guide

Yana Grinshpuhn

Yana Grinshpuhn