Read More Tout le monde chougne. La télévision nous perfuse de douleurs. J’ai raté la cuisson du suprême de volaille parce que ma mère n’avait pas confiance en moi, mais je ne lâche rien… Nous sommes sommés de comprendre, de discerner des raisons, d’entrevoir des causes si ce n’est des excuses. Une cohorte de malheureux s’avance, à qui il n’est pas arrivé grand-chose. Rien à voir avec les souffrances de ceux qui ont perdu un enfant, leurs jambes, subi un viol, injustement connu la prison, dû quitter leur pays, mais ces ordres de grandeur ne troublent personne. Mon « ressenti » pèse aussi lourd que la réalité objective. Bilan des courses : un wokiste se réveille en chacun dès qu’il y voit son avantage. La quête du bénéfice secondaire – l’après-midi sans école (mais avec jeu vidéo) de l’enfant aux prises avec son nez qui coule – dispute au football le titre de sport national. Et nous voilà, peuple de victimes, revendiquant des droits en contrepartie de nos misères. Fondamentalement, nous nous plaignons.Plainte, victime, revendication… Le cœur même du droit. A priori, les juristes devraient avoir beaucoup à dire là-dessus. D’autant que la société française est réputée suivre l’américaine de près. Comme on sait, une des croyances les mieux ancrées veut que, comme nos voisins d’outre-Atlantique, nous autres Français fassions des procès pour un oui et pour un non dès que nous pensons avoir subi le moindre dommage. Ce serait d’ailleurs assez normal qu’un pays aussi gémissant se précipite chez le juge pour obtenir réparation de ses tourments. Et puis il est tellement question de l’engorgement des tribunaux…La réalité, pourtant, n’est pas aussi intuitive. Ô, certes, pour en rester au chapitre des drames intimes, on voit se multiplier les circonstances dans lesquelles une personne en accuse une autre d’avoir porté atteinte à son être plus qu’à son patrimoine. C’est même devenu une des tâches quotidiennes des magistrats que de trier comme ils peuvent le bon grain de l’ivraie, notamment lorsqu’il est question de harcèlement, sexuel ou moral. Pour le coup, il n’est pas douteux que ces procès-là – ou les usages de ce type d’argument dans des procédures banales (divorces, licenciements, etc.) – se sont multipliés. Mais cela signifie-t-il que, de manière générale, les gens se dirigent en masse vers les juges pour demander l’indemnisation de leurs préjudices divers et variés ?Ce n’est pas certain, et il n’est pas certain non plus que l’on dispose de données sûres et aisément accessibles pour le vérifier. Nous comptons peu et mal ce genre de choses en France. Et ceux qui le font travaillent en gros dans l’indifférence générale, ce qui pose d’ailleurs un immense problème parce que n’importe qui peut raconter à peu près n’importe quoi sans grand risque d’être démenti par la production de chiffres sûrs et objectifs. Mieux vaudrait, pourtant, ne pas légiférer sur des fantasmes juridiques…Les grandes douleurs sont bien trop muettesQuoi qu’il en soit, on gagnerait à aller y voir de près et surtout à regarder du côté des procès qui ne se font pas. Nous vivons ou connaissons tous des renoncements à agir en justice, comme celui d’une mamie qui aurait accepté l’offre très basse de l’assureur après avoir été renversée par un chauffard alors qu’elle aurait pu saisir le tribunal et obtenir nettement plus. Les raisons sont parfois bonnes, parfois moins : pas assez d’argent, pas de connaissances suffisantes (apprécier les chances de succès, choisir le bon avocat, savoir combien ça va coûter), pas de temps, pas d’énergie pour lutter contre plus fort que soi…Une démocratie égalitaire devrait pourtant se préoccuper de ces situations-là : les identifier, les analyser, chercher à y remédier… Elles sont détestables lorsqu’elles conduisent à ne pas réparer des préjudices graves. Elles violent la Déclaration des droits de l’homme, dont l’article 16 nous « garantit » que nos droits ne sont ni théoriques ni illusoires. Rien de tout cela n’est bon. Mais qui s’en soucie ?La France nage en plein paradoxe et en pleine indécence. Ici, une mer de victimes imaginaires à qui l’on cède tout ; là, un océan d’injustices véritables dont on se contrefout. Nous devrions méditer la sagesse populaire, nous dire que les grandes douleurs sont bien trop muettes (comparées à certaines autres), en tirer un peu de juste colère, y réfléchir, vouloir que ça change.
Tout le monde chougne. La télévision nous perfuse de douleurs. J’ai raté la cuisson du suprême de volaille parce que ma mère n’avait pas confiance en moi, mais je ne lâche rien… Nous sommes sommés de comprendre, de discerner des raisons, d’entrevoir des causes si ce n’est des excuses. Une cohorte de malheureux s’avance, à qui il n’est pas arrivé grand-chose. Rien à voir avec les souffrances de ceux qui ont perdu un enfant, leurs jambes, subi un viol, injustement connu la prison, dû quitter leur pays, mais ces ordres de grandeur ne troublent personne. Mon « ressenti » pèse aussi lourd que la réalité objective. Bilan des courses : un wokiste se réveille en chacun dès qu’il y voit son avantage. La quête du bénéfice secondaire – l’après-midi sans école (mais avec jeu vidéo) de l’enfant aux prises avec son nez qui coule – dispute au football le titre de sport national. Et nous voilà, peuple de victimes, revendiquant des droits en contrepartie de nos misères. Fondamentalement, nous nous plaignons.
Plainte, victime, revendication… Le cœur même du droit. A priori, les juristes devraient avoir beaucoup à dire là-dessus. D’autant que la société française est réputée suivre l’américaine de près. Comme on sait, une des croyances les mieux ancrées veut que, comme nos voisins d’outre-Atlantique, nous autres Français fassions des procès pour un oui et pour un non dès que nous pensons avoir subi le moindre dommage. Ce serait d’ailleurs assez normal qu’un pays aussi gémissant se précipite chez le juge pour obtenir réparation de ses tourments. Et puis il est tellement question de l’engorgement des tribunaux…
La réalité, pourtant, n’est pas aussi intuitive. Ô, certes, pour en rester au chapitre des drames intimes, on voit se multiplier les circonstances dans lesquelles une personne en accuse une autre d’avoir porté atteinte à son être plus qu’à son patrimoine. C’est même devenu une des tâches quotidiennes des magistrats que de trier comme ils peuvent le bon grain de l’ivraie, notamment lorsqu’il est question de harcèlement, sexuel ou moral. Pour le coup, il n’est pas douteux que ces procès-là – ou les usages de ce type d’argument dans des procédures banales (divorces, licenciements, etc.) – se sont multipliés. Mais cela signifie-t-il que, de manière générale, les gens se dirigent en masse vers les juges pour demander l’indemnisation de leurs préjudices divers et variés ?
Ce n’est pas certain, et il n’est pas certain non plus que l’on dispose de données sûres et aisément accessibles pour le vérifier. Nous comptons peu et mal ce genre de choses en France. Et ceux qui le font travaillent en gros dans l’indifférence générale, ce qui pose d’ailleurs un immense problème parce que n’importe qui peut raconter à peu près n’importe quoi sans grand risque d’être démenti par la production de chiffres sûrs et objectifs. Mieux vaudrait, pourtant, ne pas légiférer sur des fantasmes juridiques…
Les grandes douleurs sont bien trop muettes
Quoi qu’il en soit, on gagnerait à aller y voir de près et surtout à regarder du côté des procès qui ne se font pas. Nous vivons ou connaissons tous des renoncements à agir en justice, comme celui d’une mamie qui aurait accepté l’offre très basse de l’assureur après avoir été renversée par un chauffard alors qu’elle aurait pu saisir le tribunal et obtenir nettement plus. Les raisons sont parfois bonnes, parfois moins : pas assez d’argent, pas de connaissances suffisantes (apprécier les chances de succès, choisir le bon avocat, savoir combien ça va coûter), pas de temps, pas d’énergie pour lutter contre plus fort que soi…
Une démocratie égalitaire devrait pourtant se préoccuper de ces situations-là : les identifier, les analyser, chercher à y remédier… Elles sont détestables lorsqu’elles conduisent à ne pas réparer des préjudices graves. Elles violent la Déclaration des droits de l’homme, dont l’article 16 nous « garantit » que nos droits ne sont ni théoriques ni illusoires. Rien de tout cela n’est bon. Mais qui s’en soucie ?
La France nage en plein paradoxe et en pleine indécence. Ici, une mer de victimes imaginaires à qui l’on cède tout ; là, un océan d’injustices véritables dont on se contrefout. Nous devrions méditer la sagesse populaire, nous dire que les grandes douleurs sont bien trop muettes (comparées à certaines autres), en tirer un peu de juste colère, y réfléchir, vouloir que ça change.
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