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La chronique de Pierre Vermeren : Cette université française empêchée d’enseigner

La chronique de Pierre Vermeren : Cette université française empêchée d’enseigner

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  Le « bac 1968 » et les diplômes, généreusement accordés après les événements estudiantins et sociaux de mai, sont restés dans les mémoires pendant deux générations. Et puis, ce qui avait été exceptionnel – car on a même passé le baccalauréat et les concours en France à l’été 1944 – est devenu la norme au XXIe siècle.Depuis vingt ans, lorsque des grèves tournantes, avec occupations de locaux (ou piquets de grève), ont commencé à toucher des universités dès l’automne 2003, avec la lutte contre l’imposition du cursus européen LMD (Licence-master-doctorat), une curieuse routine s’est peu à peu installée dans la vie universitaire : pendant des jours, des semaines, puis des mois, tous les ans ou tous les deux ans, un nombre indéterminé d’UFR (Unités de formation et de recherches) de nos universités entrent dans une grève devenue habituelle. Certains établissements, comme à Toulouse ou à Rennes, sont même désormais structurellement en grève, contribuant à former la fraction « révolutionnaire » de la jeunesse qui fait régulièrement parler d’elle dans les manifestations et les mouvements sociaux.Mais notre réflexion vise ici la vie universitaire et son objectif, qui est en principe pour les professeurs d’enseigner, et pour les étudiants d’apprendre, dans une perspective de formation et de transmission des savoirs et des techniques intellectuelles, reconnues par la délivrance de diplômes. Vu de loin, les universités, qui accueillent aujourd’hui en France 54,5 % des étudiants de l’enseignement supérieur, font leur travail. Or il est de plus en plus difficile d’exercer ces opérations pourtant forgées depuis le Moyen-Âge.En vingt ans – pour s’en tenir aux mouvements et aux années fastes —, douze mouvements ou circonstances, de moyenne ou longue durée, ont entravé ou arrêté le travail universitaire : printemps 2002, hiver 2005, hiver 2006, automne 2007, hiver 2009, printemps 2010, automne 2010, printemps 2016, printemps 2018, hiver 2018-2019, avant que ne frappent la grève des transports de décembre 2019 puis la crise du Covid de mars 2020 à l’été 2021 ; enfin les présentes grèves de l’hiver 2023 contre la réforme des retraites à 64 ans !Rien de commun a priori entre la lutte contre le CPE (Contrat première embauche) de 2006, la grève des cheminots de décembre 2019, ou la séquence du Covid. Or tous ont contribué, à leur manière, à casser la chaîne de transmission des savoirs à l’université.Blocages, occupations, ce qui était l’exception en 1968 s’est banalisé dans le fatalisme des universitaires et l’indifférence de la société et des dirigeants.Dès 2003, Toulouse a lancé une grève dure qui a fait entrer l’université dans l’âge des occupations durables. Puis la longue grève contre le CPE de 2006 a poussé les universités à se réorganiser en cas de besoin : cours abrégés par contrainte, examens réduits (par le nombre, la difficulté et l’étendue de révisions), notation généreuse, voire examen offert, ou avec la moyenne à tous. Au fur et à mesure que les grèves se sont poursuivies ou intensifiées, que des circonstances inédites ont frappé le pays (grève SNCF et du métro, gilets jaunes, Covid…), les instances universitaires – aiguillées par les pouvoirs publics — ont organisé le repli, géré la pénurie et sacrifié la norme : ce qui était l’exception en 1968 s’est banalisé dans le fatalisme des praticiens et l’indifférence de la société et de nos dirigeants.Une année universitaire, soit vingt-cinq semaines de cours, en a désormais régulièrement vingt ou vingt et une, parfois moins dans certaines UFR, ce qui accentue le malaise des professeurs impuissants, et le discrédit de ces institutions. Avec la crise du Covid, un nouveau palier est atteint, puisque nombre de lycéens sont entrés à l’université après avoir perdu des mois de cours, et décroché un baccalauréat au rabais deux ans de suite.Cette récurrence n’est pas pour rien dans la crise de l’université, son discrédit, et la fuite d’un quart des étudiants vers les établissements privés, devenus un secteur capitaliste à haute croissance de notre économie. Quant au bilan intellectuel et de la formation des esprits, il n’est pas enthousiasmant. Le plus souvent obligés de travailler pour financer leurs études, et presque interdits de lire des livres par leur environnement informatique, nos étudiants voient leurs cursus et leur formation fortement amputés, ce qui contribue à tendre davantage l’élastique social et intellectuel.Il serait bon que certains de nos dirigeants s’intéressent à cette malheureuse et silencieuse mutation qui dissuade bien des talents français… et étrangers.Prochaine chronique, celle de Belinda Cannone. 

Le « bac 1968 » et les diplômes, généreusement accordés après les événements estudiantins et sociaux de mai, sont restés dans les mémoires pendant deux générations. Et puis, ce qui avait été exceptionnel – car on a même passé le baccalauréat et les concours en France à l’été 1944 – est devenu la norme au XXIe siècle.

Depuis vingt ans, lorsque des grèves tournantes, avec occupations de locaux (ou piquets de grève), ont commencé à toucher des universités dès l’automne 2003, avec la lutte contre l’imposition du cursus européen LMD (Licence-master-doctorat), une curieuse routine s’est peu à peu installée dans la vie universitaire : pendant des jours, des semaines, puis des mois, tous les ans ou tous les deux ans, un nombre indéterminé d’UFR (Unités de formation et de recherches) de nos universités entrent dans une grève devenue habituelle. Certains établissements, comme à Toulouse ou à Rennes, sont même désormais structurellement en grève, contribuant à former la fraction « révolutionnaire » de la jeunesse qui fait régulièrement parler d’elle dans les manifestations et les mouvements sociaux.

Mais notre réflexion vise ici la vie universitaire et son objectif, qui est en principe pour les professeurs d’enseigner, et pour les étudiants d’apprendre, dans une perspective de formation et de transmission des savoirs et des techniques intellectuelles, reconnues par la délivrance de diplômes. Vu de loin, les universités, qui accueillent aujourd’hui en France 54,5 % des étudiants de l’enseignement supérieur, font leur travail. Or il est de plus en plus difficile d’exercer ces opérations pourtant forgées depuis le Moyen-Âge.

En vingt ans – pour s’en tenir aux mouvements et aux années fastes —, douze mouvements ou circonstances, de moyenne ou longue durée, ont entravé ou arrêté le travail universitaire : printemps 2002, hiver 2005, hiver 2006, automne 2007, hiver 2009, printemps 2010, automne 2010, printemps 2016, printemps 2018, hiver 2018-2019, avant que ne frappent la grève des transports de décembre 2019 puis la crise du Covid de mars 2020 à l’été 2021 ; enfin les présentes grèves de l’hiver 2023 contre la réforme des retraites à 64 ans !

Rien de commun a priori entre la lutte contre le CPE (Contrat première embauche) de 2006, la grève des cheminots de décembre 2019, ou la séquence du Covid. Or tous ont contribué, à leur manière, à casser la chaîne de transmission des savoirs à l’université.

Blocages, occupations, ce qui était l’exception en 1968 s’est banalisé dans le fatalisme des universitaires et l’indifférence de la société et des dirigeants.

Dès 2003, Toulouse a lancé une grève dure qui a fait entrer l’université dans l’âge des occupations durables. Puis la longue grève contre le CPE de 2006 a poussé les universités à se réorganiser en cas de besoin : cours abrégés par contrainte, examens réduits (par le nombre, la difficulté et l’étendue de révisions), notation généreuse, voire examen offert, ou avec la moyenne à tous. Au fur et à mesure que les grèves se sont poursuivies ou intensifiées, que des circonstances inédites ont frappé le pays (grève SNCF et du métro, gilets jaunes, Covid…), les instances universitaires – aiguillées par les pouvoirs publics — ont organisé le repli, géré la pénurie et sacrifié la norme : ce qui était l’exception en 1968 s’est banalisé dans le fatalisme des praticiens et l’indifférence de la société et de nos dirigeants.

Une année universitaire, soit vingt-cinq semaines de cours, en a désormais régulièrement vingt ou vingt et une, parfois moins dans certaines UFR, ce qui accentue le malaise des professeurs impuissants, et le discrédit de ces institutions. Avec la crise du Covid, un nouveau palier est atteint, puisque nombre de lycéens sont entrés à l’université après avoir perdu des mois de cours, et décroché un baccalauréat au rabais deux ans de suite.

Cette récurrence n’est pas pour rien dans la crise de l’université, son discrédit, et la fuite d’un quart des étudiants vers les établissements privés, devenus un secteur capitaliste à haute croissance de notre économie. Quant au bilan intellectuel et de la formation des esprits, il n’est pas enthousiasmant. Le plus souvent obligés de travailler pour financer leurs études, et presque interdits de lire des livres par leur environnement informatique, nos étudiants voient leurs cursus et leur formation fortement amputés, ce qui contribue à tendre davantage l’élastique social et intellectuel.

Il serait bon que certains de nos dirigeants s’intéressent à cette malheureuse et silencieuse mutation qui dissuade bien des talents français… et étrangers.

Prochaine chronique, celle de Belinda Cannone.

 

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