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La chronique de Pierre Vermeren : comment l’État a détruit l’amour du vin

La chronique de Pierre Vermeren : comment l’État a détruit l’amour du vin

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  De 1860 à 1960, les pouvoirs publics ont réussi à doubler la consommation d’alcool des Français. Par le biais de l’industrialisation, du service militaire et des guerres, les Français sont passés de 80 litres par an à plus de 150 avant-guerre (36 aujourd’hui). Il fallait éponger les 800 000 hectares de vignes d’Afrique du nord coloniale, soit plus que les 750 000 hectares français actuels. Depuis, nos gouvernants ont inversé leur politique, comme souvent de manière autoritaire, parfois stupide. La France de de Gaulle a d’abord fait arracher les pommiers à cidre de Bretagne et de Normandie pour convertir leurs habitants au vin, afin de calmer le « Midi rouge » : la consommation de cidre a chuté de 95 %.Par la suite, la sociologie a conspiré à la chute de la consommation de vin par habitant : l’effondrement de la population agricole puis industrielle, la lutte contre l’alcoolémie au volant (1982), la loi Évin (1991) qui a fortement encadré la publicité sur l’alcool et sa présence dans les lieux publics, la forte taxation de l’alcool au café (le « ballon de rouge » est plus onéreux que la bière, jusqu’à 8 euros à Paris, soit 3 à 4 « joints ») – ce qui entraîna la fermeture de 90 % des cafés en soixante ans —, le vieillissement de la population, la propagation par le cinéma du mode de vie américain et de la bière, la chute du vinophile catholicisme versus, la montée de l’islam anti-alcool, l’austérité de la nouvelle bourgeoisie qui a troqué l’embonpoint de bon aloi contre le sport à outrance et une morale prohibitionniste (après Chirac le Gaulois, le président Sarkozy, féru de footing et de fromage blanc, se vantait de ne pas boire d’alcool). Le paradoxe de cette prohibition larvée organisée par les élites nationales est qu’elle bénéficie à la bière… et à la mafia des stupéfiantsLes effets de ces politiques sont de tous ordres : depuis la suppression du vin de table, la mairie de Bordeaux doit convoquer ses fonctionnaires pour tenir les scrutins électoraux faute de volontaires ; le nombre de donneurs de sang s’est effondré ; et les Français n’ont jamais été aussi gros, les fast-foods ayant table ouverte dans les médias.La France reste pourtant le deuxième producteur de vin au monde derrière l’Italie, et le deuxième buveur après les États-Unis (11 % de la consommation mondiale). Mais la chute s’accélère : la consommation a baissé d’un tiers dans les années 2010. Non seulement ces phénomènes s’amplifient, mais une austérité inédite se répand dans la jeunesse : 33 % des Français ne boivent jamais de vin, 51 % moins d’un verre ou deux par semaine. La consommation de masse résiduelle repose sur 16 % de Français plus âgés buvant tous les jours ou presque.Le paradoxe de cette prohibition larvée organisée par les élites nationales est qu’elle bénéficie à la bière. Il n’est qu’à sortir le jeudi soir ou le week-end dans la capitale du vin ou les métropoles, pour regarder ce que boivent étudiants et bobos. Pour la première fois en 2021, 51 % des hommes français disent préférer la bière au vin ; l’industrie mondiale au détriment du producteur local. La mafia des stupéfiants est l’autre grand gagnant : la France a conquis la première place en Europe pour le haschisch et la cocaïne (au moins 5 et 1 millions de consommateurs réguliers), mais aussi les psychotropes (1 Français sur 4), tous inexistants il y a soixante ans. Or il y a dix contrôles d’alcoolémie routière en France pour un seul de stupéfiants…Nul ne s’inquiète pour les grands vins de Bordeaux, dont le rayonnement et le marché sont mondiaux. Mais le vignoble ordinaire est sacrifié : les 6 décembre et 26 janvier derniers, des viticulteurs ont manifesté dans la capitale girondine. Le ministre a décidé de transformer 2,5 millions de litres de vin en carburant et, à la demande de la profession, d’arracher des milliers d’hectares de vignes. Nos dirigeants n’ont-ils pas mieux à faire ? Retrouver la raison, protéger leurs travailleurs et leurs traditions après les avoir si durement abîmées. Quand le vin sera un produit de luxe comme le gibier ou le champagne, notre démocratie aura vécu.Prochaine chronique, celle de Belinda Cannone. 

De 1860 à 1960, les pouvoirs publics ont réussi à doubler la consommation d’alcool des Français. Par le biais de l’industrialisation, du service militaire et des guerres, les Français sont passés de 80 litres par an à plus de 150 avant-guerre (36 aujourd’hui). Il fallait éponger les 800 000 hectares de vignes d’Afrique du nord coloniale, soit plus que les 750 000 hectares français actuels. Depuis, nos gouvernants ont inversé leur politique, comme souvent de manière autoritaire, parfois stupide. La France de de Gaulle a d’abord fait arracher les pommiers à cidre de Bretagne et de Normandie pour convertir leurs habitants au vin, afin de calmer le « Midi rouge » : la consommation de cidre a chuté de 95 %.

Par la suite, la sociologie a conspiré à la chute de la consommation de vin par habitant : l’effondrement de la population agricole puis industrielle, la lutte contre l’alcoolémie au volant (1982), la loi Évin (1991) qui a fortement encadré la publicité sur l’alcool et sa présence dans les lieux publics, la forte taxation de l’alcool au café (le « ballon de rouge » est plus onéreux que la bière, jusqu’à 8 euros à Paris, soit 3 à 4 « joints ») – ce qui entraîna la fermeture de 90 % des cafés en soixante ans —, le vieillissement de la population, la propagation par le cinéma du mode de vie américain et de la bière, la chute du vinophile catholicisme versus, la montée de l’islam anti-alcool, l’austérité de la nouvelle bourgeoisie qui a troqué l’embonpoint de bon aloi contre le sport à outrance et une morale prohibitionniste (après Chirac le Gaulois, le président Sarkozy, féru de footing et de fromage blanc, se vantait de ne pas boire d’alcool).

Le paradoxe de cette prohibition larvée organisée par les élites nationales est qu’elle bénéficie à la bière… et à la mafia des stupéfiants

Les effets de ces politiques sont de tous ordres : depuis la suppression du vin de table, la mairie de Bordeaux doit convoquer ses fonctionnaires pour tenir les scrutins électoraux faute de volontaires ; le nombre de donneurs de sang s’est effondré ; et les Français n’ont jamais été aussi gros, les fast-foods ayant table ouverte dans les médias.

La France reste pourtant le deuxième producteur de vin au monde derrière l’Italie, et le deuxième buveur après les États-Unis (11 % de la consommation mondiale). Mais la chute s’accélère : la consommation a baissé d’un tiers dans les années 2010. Non seulement ces phénomènes s’amplifient, mais une austérité inédite se répand dans la jeunesse : 33 % des Français ne boivent jamais de vin, 51 % moins d’un verre ou deux par semaine. La consommation de masse résiduelle repose sur 16 % de Français plus âgés buvant tous les jours ou presque.

Le paradoxe de cette prohibition larvée organisée par les élites nationales est qu’elle bénéficie à la bière. Il n’est qu’à sortir le jeudi soir ou le week-end dans la capitale du vin ou les métropoles, pour regarder ce que boivent étudiants et bobos. Pour la première fois en 2021, 51 % des hommes français disent préférer la bière au vin ; l’industrie mondiale au détriment du producteur local. La mafia des stupéfiants est l’autre grand gagnant : la France a conquis la première place en Europe pour le haschisch et la cocaïne (au moins 5 et 1 millions de consommateurs réguliers), mais aussi les psychotropes (1 Français sur 4), tous inexistants il y a soixante ans. Or il y a dix contrôles d’alcoolémie routière en France pour un seul de stupéfiants…

Nul ne s’inquiète pour les grands vins de Bordeaux, dont le rayonnement et le marché sont mondiaux. Mais le vignoble ordinaire est sacrifié : les 6 décembre et 26 janvier derniers, des viticulteurs ont manifesté dans la capitale girondine. Le ministre a décidé de transformer 2,5 millions de litres de vin en carburant et, à la demande de la profession, d’arracher des milliers d’hectares de vignes. Nos dirigeants n’ont-ils pas mieux à faire ? Retrouver la raison, protéger leurs travailleurs et leurs traditions après les avoir si durement abîmées. Quand le vin sera un produit de luxe comme le gibier ou le champagne, notre démocratie aura vécu.

Prochaine chronique, celle de Belinda Cannone.

 

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