La militance académique gangrène l’édition scientifique

La militance académique gangrène l’édition scientifique

Michel Messu

Sociologue-Professeur honoraire des universités
Il est de bon ton aujourd’hui de se réclamer de la science, voire de s’exclamer être porteur d’une science alternative en adoptant un « point de vue » qu’on serait allé chercher en quelque noble cause à défendre. Ce qui n’était le plus souvent que confusion médiatique quand la « parole » de chacun n’est rapportée qu’à lui-même, est devenu une menace délétère bien présente dans les disciplines scientifiques elles-mêmes. Les sciences du « social » y sont particulièrement exposées, mais elles ne sont pas les seules puisque les mathématiques, désormais, devraient être filtrées au regard de la « race », du « genre » ou du « monde » de leurs élaborateurs. Pour farfelue que paraîtra aux yeux du plus grand nombre cette dernière proposition, la proposition équivalente pour les sciences de la société et de la culture, elle, reçoit une adhésion conséquente, y compris chez certains de ses représentants. C’est que la frontière entre science sociale et opinion sur la société, frontière qui n’a jamais été, comme toute frontière, absolument étanche, se voit de plus en plus désertée par ses « gardes », ceux dont la mission au regard des règles en vigueur chez les scientifiques est de déclarer légitime l’importation du produit ou de son producteur.

Table des matières

La militance académique gangrène l’édition scientifique

[Dans une récente publication scientifique publiée sur CAIRN, Sebastien Dupont propose une recension de l’ouvrage Les papas en danger ? Des pères à l’assaut des droits des femmes, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2022, p. 252 et sa contribution suscite la réflexion]

Il est de bon ton aujourd’hui de se réclamer de la science, voire de s’exclamer être porteur d’une science alternative en adoptant un « point de vue » qu’on serait allé chercher en quelque noble cause à défendre. Ce qui n’était le plus souvent que confusion médiatique quand la « parole » de chacun n’est rapportée qu’à lui-même, est devenu une menace délétère bien présente dans les disciplines scientifiques elles-mêmes. Les sciences du « social » y sont particulièrement exposées, mais elles ne sont pas les seules puisque les mathématiques, désormais, devraient être filtrées au regard de la « race », du « genre » ou du « monde » de leurs élaborateurs. Pour farfelue que paraîtra aux yeux du plus grand nombre cette dernière proposition, la proposition équivalente pour les sciences de la société et de la culture, elle, reçoit une adhésion conséquente, y compris chez certains de ses représentants. C’est que la frontière entre science sociale et opinion sur la société, frontière qui n’a jamais été, comme toute frontière, absolument étanche, se voit de plus en plus désertée par ses « gardes », ceux dont la mission au regard des règles en vigueur chez les scientifiques est de déclarer légitime l’importation du produit ou de son producteur.

Certes, La métaphore est facile mais cependant fort éclairante sur ce qui se passe dans l’édition et la publication en sciences sociales. Des règles, des principes, de méthode et de démarche ont peu à peu été établis pour valider ce qui relève de l’exercice scientifique et le distinguer d’une opinion, d’un parti pris ou d’un trait d’humeur à propos d’un fait quelconque de société. Les revues de sciences sociales et une partie de l’édition se sont astreintes à mettre à l’épreuve de la critique par les pairs les textes qu’elles recevaient. Non sans difficulté d’ailleurs puisqu’en l’espèce il ne suffisait pas de singer les procédures des sciences expérimentales pour s’assurer de la qualité de la proposition. L’évaluation ex ante évite la publication de pseudo textes scientifiques, la critique ex post mesure l’apport et la pertinence de ceux qui ont été reçus. Mais cela réclame que tout le monde joue le jeu, le même jeu, celui de l’apport de connaissances étayées, démontrées, vérifiées et réfutables par de nouveaux apports.

Il est manifeste que ce n’est plus le cas pour toutes les revues et maisons d’édition à vocation scientifique. Elles baissent les bras devant la vague montante de la militance académique, celle qui s’affranchit des règles et des méthodes, pour imposer des « points de vue » sur le monde, sur les faits et sur la science elle-même. Le déconstructionisme qu’elle agite comme un hochet cache mal une volonté d’interdire toute démarche véritablement scientifique et de la remplacer par quelques dogmes venus d’ailleurs et ressassés à l’envi. La recension faite par Sébastien Dupont de l’ouvrage d’Edouard Leport (publiée ici) débouche sur une troublante question : comment en est-on arrivé à cela ? Par quel aveuglement un jury de thèse a-t-il accepté de la valider ? Par quel laxisme dans ses procédures une maison d’édition « académique » a-t-elle autorisé sa publication ?

Ici, nous sommes loin de la controverse paradigmatique, souhaitable et profitable, nous sommes dans la manipulation idéologique d’un académisme militant.

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