fbpx

Le refus du débat, arme fatale de l’académo-militantisme

Le 17 septembre, le site de vulgarisation universitaire TheConversation publie un article de notre collègue Albin Wagener (« professeur en analyse de discours et communication » à l’Institut catholique de Lille) intitulé « Paniques morales : l’arme fatale de l’extrême droite ». L’illustration choisie par la rédaction est aussi éloquente que le titre : une affiche d’agit-prop déclarant « L’extrême droite vous parle tous les jours, 24h/24 », avec les logos de C8 et Europe 1. Complétons : sur TheConversation c’est l’extrême gauche qui nous parle tous les jours, mais avec un atout supplémentaire : ce n’est pas par la voix des journalistes mais sous couvert d’expertise universitaire. Double peine.

Un chercheur de bonne foi, ou compétent, aurait quand même dû réfléchir à deux fois avant d’utiliser un argument devenu la tarte à la crème des académo-militants de la gauche radicale : la « panique morale », terme du sociologue Stanley Cohen détourné de son contexte d’apparition de façon à discréditer toute forme d’alerte, d’inquiétude, de mobilisation face à des phénomènes considérés comme alarmants. Ainsi Wagener n’y va pas par quatre chemins : « En France, on peut mentionner la panique morale liée au wokisme qui a suivi la polémique sur l’islamogauchisme agitée (entre autres) par Jean-Michel Blanquer et les tenants du Printemps Républicain, un groupuscule politique qui défend une forme d’universalisme au détriment des minorités (quelles qu’elles soient). » No comment…

L’excellente revue en ligne Telos avait pourtant publié le 29 février 2024 un remarquable article de nos collègues Guy Groux et Richard Robert intitulé « Panique morale : un concept à la dérive » – nous l’avions repris sur notre site le 17 avril (https://decolonialisme.fr/panique-morale-un-concept-a-la-derive/). Il faisait parfaitement le point sur ces dérives d’une notion « désormais utilisée dans un esprit très éloigné de la visée de Stanley Cohen » car « ses héritiers français ont mis son concept au service d’une vision normative de la déviance politique et morale ». Mais, manifestement, ni nos collègues académo-militants ni les éditeurs de TheConversation ne fréquentent les sites de Telos ou de notre Observatoire des idéologies identitaires. Dommage pour eux : ils ratent des occasions de ne pas se ridiculiser.

Car enfin, pourquoi les agitateurs du chiffon rouge « panique morale » ne le brandissent-ils jamais à propos des violences faites aux femmes, de la pédophilie dans l’Église ou de la montée de l’extrême droite ? Ah non, s’indigneront-ils, ça c’est un vrai scandale, ça c’est un vrai danger ! Sans doute, mais que rétorqueraient-ils à ceux qui les accuseraient de céder à la « panique morale » ? Rien, probablement, car le détournement de ce concept comme arme de discréditation massive prive l’accusé de toute possibilité de défense immédiate, crédible, raisonnable – sauf à développer de longs argumentaires pour démontrer que dans tel ou tel cas l’inquiétude est légitime, et que la morale n’est pas un gros mot. 

Et donc, pour ces hypocrites contempteurs de la « panique morale », il y a bien deux poids et deux mesures : légitime mobilisation contre les injustices s’agissant de leurs propres causes, « panique morale » injustifiée s’agissant des causes de leurs adversaires. On n’est plus dans la description, dans l’analyse, dans l’explication, dans la compréhension des phénomènes, qui sont nos missions à nous tous, enseignants et chercheurs : on est d’emblée dans l’invective grossière, la stigmatisation, l’ostentation d’une bien-pensance chaussée de gros sabots. Soit la « pensée » des empêcheurs de penser – qui, bien sûr, nous accuseront de défendre C8 et Europe 1 puisque nous refusons de cautionner leur stigmatisation de l’anti-wokisme dissimulée derrière la dénonciation de l’extrême droite.

Notons que TheConversation qui – comme son nom l’indique – est censé favoriser la discussion par une rubrique « commentaires » placée en fin d’articles, tend de plus en plus souvent à en fermer l’accès aux lecteurs, sans doute parce que la constance avec laquelle y sont publiés des articles engagés dans le wokisme attire trop de critiques aux yeux des éditeurs. C’est le cas, notamment, pour cet article, dont l’auteur a été prudemment protégé par les éditeurs des railleries qu’il n’aurait pas manqué de susciter. Et donc, chers amis lecteurs : ne vous privez pas d’envoyer cet édito aux responsables de TheConversation 

Image de Nathalie Heinich

Nathalie Heinich

Chercheuse, sociologue