Read More Tout n’est pourtant pas à jeter dans ce petit essai de l’universitaire François Cusset, bien conscient que les mouvements contemporains se présentant comme émancipateurs servent parfois à « détourner l’attention des plans sociaux et de la précarisation » et qu’ils n’empêchent pas, notamment grâce à la culture de l’algorithme, de chercher avant tout « l’optimisation du profit ». De même, dans La haine de l’émancipation, il s’inquiète de la récupération de certaines luttes par le capitalisme financier et regrette que « des manifestations pour les droits des femmes » soient « sponsorisées par des multinationales ». Mais ces nuances sont rares dans un ensemble qui en manque cruellement et qui peine à développer un argumentaire convaincant.À LIRE AUSSI : « Woke » : la nouvelle religion occidentaleNon seulement l’auteur accumule les affirmations gratuites (« La destruction de la nature est aussi celle des minorités », « les minorités font face désormais à une brutalité inédite », « passage d’un racisme de type colonial à un racisme culturel plus diffus »), mais certaines de celles-ci nous font parfois douter de vivre dans la même réalité que lui. C’est le cas lorsqu’il évoque le « déni de l’histoire coloniale » à une époque où l’on n’en a jamais autant parlé ou lorsqu’il évoque les « ratonnades dont s’enorgueillissent les opposants à « l’islamisation » ou à ce « monde de tapettes » ». Et que dire de ce moment où il fait de La Tâche de Philip Roth une sorte de roman éveillé avant l’heure ?Arguments contestablesQuant au portrait qu’il fait des adversaires du wokisme, il est tellement caricatural qu’il discrédite d’emblée les « caricatures, approximations et contre-vérités » qu’il dénonce à leur endroit. Sans crainte de la contradiction, il écrit par exemple : « Il faut un peu de « recul historique » pour éclairer le lexique des nouveaux fascistes. » Il réussit même une sorte de « bingo des poncifs » dans cette phrase : « Car ces guerres culturelles et ces polémiques (…) s’y engager frontalement comme le font ces croisés-là, c’est faire le jeu de ceux qui y ont un intérêt direct : droites dures ou extrêmes. » Loin d’être isolée, la désignation des adversaires par le terme de « croisés » est systématique dans l’ouvrage et est régulièrement accompagnée d’autres expressions du même acabit (« coteries de mâles blancs énervés », « mélange de panique morale et de répugnance épidermique ») qui en disent souvent plus sur l’idéologie de celui qui les emploie que sur celle de ceux qu’elles visent.À LIRE AUSSI : Houria Bouteldja ou le racisme pour les nulsEnfin, il minimise les reculs sur la liberté d’expression, rappelant « qu’en d’autres temps ils furent tellement plus graves. » Surprenant pour quelqu’un qui exalte l’émancipation et fustige « les réacs » à longueur de texte. C’est que « la vague » à laquelle doit faire face le progressisme « a, elle, un agenda précis et des haines plus meurtrières que des invectives de chroniqueurs. » Preuve qu’il y a le bon et le mauvais « complotisme ». Par ailleurs, l’éloge des mouvements progressistes n’échappe pas non plus à la caricature. Outre que l’auteur n’évite pas les exemples malheureux (Lallab, association indigéniste ou Extinction Rebellion, spécialiste des dégradations, citées comme exemples d’ONG combattant l’oppression ; citation d’Houria Bouteldja tirée de son essai Les Blancs, les Juifs et nous), certaines des comparaisons établies pour louer le progressisme sont parfois douteuses : « Il n’est pas acquis, dans les années 2020 (…) qu’on puisse devenir à quinze ans le sujet d’un autre genre que celui assigné à la naissance de la même manière qu’il n’était pas acquis, au XIXe siècle, que les Noirs ne soient pas mentalement inférieurs aux Blancs. »Flou généralQuant aux caractéristiques mises en avant, elles sont peu étayées quand elles ne prêtent pas franchement à sourire : « pensée complexe, imbriquée » (Macron peut aller se rhabiller), « humour émancipateur » (outre que ce n’est pas le trait qu’on associerait spontanément aux mouvements néoféministes ou antiracistes, le fait même de lui accoler un adjectif interroge sur la liberté qu’on lui confère). De même, les « inventions incessantes » vantées laissent, en l’absence d’exemples probants, d’autant plus circonspect que leur prétendu apport n’est pas des plus convaincants : « À chaque fois, un hashtag et des podcasts perpétuent déjà une mémoire. »À LIRE AUSSI : Fin des M & M’s « inclusifs » : « Ces initiatives ‘woke’ ne fonctionnent pas sur un marché de masse »La plupart des concepts évoqués sont assez vagues : « Ici et là, quelque chose se lève (…) quelque chose qui n’est pas la fin de la civilisation, mais peut-être sa dernière chance. » Quant à la pertinence de ce « quelque chose » elle se résume la plupart du temps à un seul aspect : la jeunesse. À force d’imprécision, on flirte parfois avec le lexique du développement personnel (« Des rapprochements se font, des liens se tissent. Des croisements inédits dessinent un espace politique nouveau ») quand ce n’est pas avec celui du reiki : « Au rationalisme militant s’ajoutent aujourd’hui des formes de magie et de spiritualité bienvenues, du côté du néopaganisme, de la « sororité entre sorcières », de la reconnexion intégrale avec le vivant. »À LIRE AUSSI : Comment le wokisme s’est mis au service du capitalismeL’abondance de néologismes ou d’expressions innovantes, loin d’éclairer le propos, participent au flou général : « identités non figées », « déployer un monde vécu d’alternatives en actes », « renouvellement des possibles », « well-being », « vélorutions », « die-ins », « conscientisation », « mizoogynie », « mono-identité ». Malgré la récurrence de cette novlangue, l’auteur ne peut s’empêcher de regretter que certaines formules venues de l’anglais demeurent « peu traduisibles, comme le rejet de l’autre dans son altérité (othering of the other) ». Quelle immense perte, en effet. Pourtant, si l’auteur peine à nous convaincre avec des arguments, il parvient in extremis à emporter l’adhésion du lecteur en puisant dans son histoire personnelle : « Lycéen dans les années 80, j’ai été moi-même éduqué avec des manuels d’histoire qui mentionnaient à peine la colonisation ou la guerre d’Algérie, pour regarder le soir à la télévision le Collaro Show qu’on a oublié, et, sur les nouvelles chaînes, des humoristes assez scabreux. » Impossible, après ce récit glaçant, de ne pas se rendre compte des immenses progrès récents de l’humanité.
Tout n’est pourtant pas à jeter dans ce petit essai de l’universitaire François Cusset, bien conscient que les mouvements contemporains se présentant comme émancipateurs servent parfois à « détourner l’attention des plans sociaux et de la précarisation » et qu’ils n’empêchent pas, notamment grâce à la culture de l’algorithme, de chercher avant tout « l’optimisation du profit ». De même, dans La haine de l’émancipation, il s’inquiète de la récupération de certaines luttes par le capitalisme financier et regrette que « des manifestations pour les droits des femmes » soient « sponsorisées par des multinationales ». Mais ces nuances sont rares dans un ensemble qui en manque cruellement et qui peine à développer un argumentaire convaincant.
À LIRE AUSSI : « Woke » : la nouvelle religion occidentale
Non seulement l’auteur accumule les affirmations gratuites (« La destruction de la nature est aussi celle des minorités », « les minorités font face désormais à une brutalité inédite », « passage d’un racisme de type colonial à un racisme culturel plus diffus »), mais certaines de celles-ci nous font parfois douter de vivre dans la même réalité que lui. C’est le cas lorsqu’il évoque le « déni de l’histoire coloniale » à une époque où l’on n’en a jamais autant parlé ou lorsqu’il évoque les « ratonnades dont s’enorgueillissent les opposants à « l’islamisation » ou à ce « monde de tapettes » ». Et que dire de ce moment où il fait de La Tâche de Philip Roth une sorte de roman éveillé avant l’heure ?
Arguments contestables
Quant au portrait qu’il fait des adversaires du wokisme, il est tellement caricatural qu’il discrédite d’emblée les « caricatures, approximations et contre-vérités » qu’il dénonce à leur endroit. Sans crainte de la contradiction, il écrit par exemple : « Il faut un peu de « recul historique » pour éclairer le lexique des nouveaux fascistes. » Il réussit même une sorte de « bingo des poncifs » dans cette phrase : « Car ces guerres culturelles et ces polémiques (…) s’y engager frontalement comme le font ces croisés-là, c’est faire le jeu de ceux qui y ont un intérêt direct : droites dures ou extrêmes. » Loin d’être isolée, la désignation des adversaires par le terme de « croisés » est systématique dans l’ouvrage et est régulièrement accompagnée d’autres expressions du même acabit (« coteries de mâles blancs énervés », « mélange de panique morale et de répugnance épidermique ») qui en disent souvent plus sur l’idéologie de celui qui les emploie que sur celle de ceux qu’elles visent.
À LIRE AUSSI : Houria Bouteldja ou le racisme pour les nuls
Enfin, il minimise les reculs sur la liberté d’expression, rappelant « qu’en d’autres temps ils furent tellement plus graves. » Surprenant pour quelqu’un qui exalte l’émancipation et fustige « les réacs » à longueur de texte. C’est que « la vague » à laquelle doit faire face le progressisme « a, elle, un agenda précis et des haines plus meurtrières que des invectives de chroniqueurs. » Preuve qu’il y a le bon et le mauvais « complotisme ». Par ailleurs, l’éloge des mouvements progressistes n’échappe pas non plus à la caricature. Outre que l’auteur n’évite pas les exemples malheureux (Lallab, association indigéniste ou Extinction Rebellion, spécialiste des dégradations, citées comme exemples d’ONG combattant l’oppression ; citation d’Houria Bouteldja tirée de son essai Les Blancs, les Juifs et nous), certaines des comparaisons établies pour louer le progressisme sont parfois douteuses : « Il n’est pas acquis, dans les années 2020 (…) qu’on puisse devenir à quinze ans le sujet d’un autre genre que celui assigné à la naissance de la même manière qu’il n’était pas acquis, au XIXe siècle, que les Noirs ne soient pas mentalement inférieurs aux Blancs. »
Flou général
Quant aux caractéristiques mises en avant, elles sont peu étayées quand elles ne prêtent pas franchement à sourire : « pensée complexe, imbriquée » (Macron peut aller se rhabiller), « humour émancipateur » (outre que ce n’est pas le trait qu’on associerait spontanément aux mouvements néoféministes ou antiracistes, le fait même de lui accoler un adjectif interroge sur la liberté qu’on lui confère). De même, les « inventions incessantes » vantées laissent, en l’absence d’exemples probants, d’autant plus circonspect que leur prétendu apport n’est pas des plus convaincants : « À chaque fois, un hashtag et des podcasts perpétuent déjà une mémoire. »
À LIRE AUSSI : Fin des M & M’s « inclusifs » : « Ces initiatives ‘woke’ ne fonctionnent pas sur un marché de masse »
La plupart des concepts évoqués sont assez vagues : « Ici et là, quelque chose se lève (…) quelque chose qui n’est pas la fin de la civilisation, mais peut-être sa dernière chance. » Quant à la pertinence de ce « quelque chose » elle se résume la plupart du temps à un seul aspect : la jeunesse. À force d’imprécision, on flirte parfois avec le lexique du développement personnel (« Des rapprochements se font, des liens se tissent. Des croisements inédits dessinent un espace politique nouveau ») quand ce n’est pas avec celui du reiki : « Au rationalisme militant s’ajoutent aujourd’hui des formes de magie et de spiritualité bienvenues, du côté du néopaganisme, de la « sororité entre sorcières », de la reconnexion intégrale avec le vivant. »
À LIRE AUSSI : Comment le wokisme s’est mis au service du capitalisme
L’abondance de néologismes ou d’expressions innovantes, loin d’éclairer le propos, participent au flou général : « identités non figées », « déployer un monde vécu d’alternatives en actes », « renouvellement des possibles », « well-being », « vélorutions », « die-ins », « conscientisation », « mizoogynie », « mono-identité ». Malgré la récurrence de cette novlangue, l’auteur ne peut s’empêcher de regretter que certaines formules venues de l’anglais demeurent « peu traduisibles, comme le rejet de l’autre dans son altérité (othering of the other) ». Quelle immense perte, en effet. Pourtant, si l’auteur peine à nous convaincre avec des arguments, il parvient in extremis à emporter l’adhésion du lecteur en puisant dans son histoire personnelle : « Lycéen dans les années 80, j’ai été moi-même éduqué avec des manuels d’histoire qui mentionnaient à peine la colonisation ou la guerre d’Algérie, pour regarder le soir à la télévision le Collaro Show qu’on a oublié, et, sur les nouvelles chaînes, des humoristes assez scabreux. » Impossible, après ce récit glaçant, de ne pas se rendre compte des immenses progrès récents de l’humanité.
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