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L’enfant est un loup pour l’homme

L’enfant est un loup pour l’homme

Jacques Robert

Professeur émérite de cancérologie, université de Bordeaux

Puer homini lupus
« Chaque jour, pendant que je déjeunais à la table de famille, je courais aussi dans la colline, et je dégageais d’un piège un merle encore chaud. Ce buisson, ce merle, et ce piège étaient pour moi aussi réels que cette toile cirée, ce café au lait, ce portrait de M. Fallières qui souriait vaguement sur le mur. »

Marcel Pagnol, Le Château de ma mère

C’est d’Écosse que nous parvient la nouvelle qu’un enfant est atteint de « dysphorie d’espèce » et s’identifie à un loup1. Jusque-là, rien de grave ! Tous les garçons de ma génération, en cours de récréation, se sont identifiés soit à un cow-boy, soit à un Indien. Une fois qu’on était « en rangs », la dysphorie s’arrêtait et si l’un d’eux se prenait pour un cow-boy en classe, il recevait une mornifle comme mon père (l’instituteur) savait les distribuer2. Mais le problème, c’est que ce gamin a été pris au sérieux par les enseignants et l’équipe pédagogique ! Le Daily Mail nous dit que « c’est le premier cas connu en Écosse dans lequel une école a reconnu qu’un élève s’identifiait à un animal ».

Le premier ? Est-ce à dire qu’il y en a, qu’il y en aura d’autres ? L’Écosse s’était déjà distinguée en enfermant dans une prison pour femmes un homme qui s’identifiait comme femme, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir été condamné pour viol et lui a permis bien sûr de récidiver sur place. Les brebis en libre-service dans la bergerie : les loups adorent !

Le Daily Mail nous dit aussi « qu’un nombre croissant d’écoliers adoptent la personnalité de créatures telles que des renards, des dragons, des oiseaux, des serpents, des requins et même des dinosaures ». Les jardins d’enfants seront bientôt des jardins zoologiques et les infirmières scolaires devront avoir fait des études vétérinaires ou faire appel à la Société protectrice des animaux. Ce n’est pas si nouveau : on disait bien autrefois d’un enfant turbulent qu’il était un « drôle de zèbre ». L’inquiétude peut venir du jour où un collégien de la même classe que ce loup déclarera qu’il est un agneau 3. Le jour du carnaval (des animaux), chacun pourra choisir… L’équipe pédagogique a déclaré offrir un « soutien personnel » et un « soutien plus spécifique » avec l’aide d’un « travailleur social », notamment des conseils et une aide à l’apprentissage, ajoutant : « Il existe très peu de conseils spécifiques sur la dysphorie d’espèce ». Elle a expliqué qu’elle suivait les directives du gouvernement écossais appelées Getting It Right For Every Child (Girfec) et utilisait une sorte d’algorithme appelé « roue du bien-être » pour soutenir les élèves quels que soient les obstacles à l’apprentissage ou les défis auxquels ils sont confrontés. Il s’agit d’un diagramme permettant de repérer les points où l’on peut aider les enfants à surmonter les inégalités et à garantir que leur voix soit entendue dans « les décisions qui affectent leur vie, avec un soutien si nécessaire ». Il me paraît tout à fait positif que l’on cherche à assurer les meilleures conditions de vie scolaire à tous les enfants ! Sauf que ça n’a pas grand-chose à voir avec cette ahurissante identification à un animal.

Une députée conservatrice du Parlement écossais a déclaré :

« Les enseignants qui subissent déjà une pression considérable en raison des coupes budgétaires du SNP ne devraient pas avoir l’impression de devoir contourner les problèmes en classe. Compte tenu de tous les autres défis auxquels sont confrontées les écoles, les ministres doivent veiller à ce que les enseignants soient sûrs de pouvoir adopter une approche de bon sens lorsque ces situations se produisent ».

Cette déclaration est intéressante car elle révèle une fuite de (bon) sens et une grande hypocrisie : est-ce vraiment contourner un problème que d’accepter qu’un enfant se paie ainsi la tête de l’équipe enseignante ? N’est-ce pas plutôt se créer un problème ? Invoquer le bon sens face à une telle situation est ubuesque. Dire : « Je suis un loup », pourrait-il être performatif quand on n’en est pas un ? Il s’agit, nous dit-on, de « traiter les enfants avec gentillesse, dignité et respect à tout moment ». L’industrie victimaire woke définit ainsi les normes éducatives.

Il me semble plus raisonnable de retenir deux raisons qui permettent d’expliquer la démission de ces enseignants : la peur et l’ignorance.La première est la peur : peur de se mettre à dos ce semblant d’« opinion publique », qui est ultra-minoritaire en Écosse comme en France mais qui impose, souvent par la violence, l’idéologie woke. Comme les activistes cherchent à faire passer à tout prix l’idée que transitionner d’un sexe à un autre est légitime et banal, ils ne peuvent que soutenir tout ce qui peut apparaître comme un prolongement de leur « combat » : changer de sexe, changer d’espèce, c’est tout un. Et si vous venez contredire leurs mantras, passant de « une femme trans est une femme » à « un enfant loup est un loup4 » dans le cas présent, vous serez malmené, harcelé, vilipendé. Le saccage du Café Laïque de Bruxelles en est un exemple. Les enseignants vivent dans la crainte5 : crainte de ne pas être dans le vent du « progressisme » mis à toutes les sauces ; crainte pour leur insertion professionnelle, révocable d’un trait de plume – on l’a vu ; crainte pour leur intégrité physique et leurs biens. La seconde est l’ignorance de la psychologie de l’enfant ; le jeune est joueur par définition, dans toutes les espèces de mammifères, c’est indispensable à son développement. Il joue à se déguiser, à « être » autre que ce qu’il est vraiment, pour voir « comment ça fait ». Je n’ai pas fait d’études de psychologie, mais j’ai eu enfants et petits-enfants : j’ai « fait quatre-heures » avec eux dans leur dînette, tremblé de peur devant un Zorro masqué et muni d’une épée, tendu mon bras vers la seringue extraite d’une panoplie de docteur6. Graves, imperturbables, les enfants jouent, ils savent qu’ils jouent, et ils savent que nous savons qu’ils jouent. Que se passe-t-il dans leur tête s’ils s’aperçoivent que nous ne « savons pas » qu’ils jouent ? Je ne sais. C’est pourtant bien ce qui se passe dans cette école où un gamin de treize ans veut croire qu’il est un loup. Je ne suis pas certain que prendre ainsi au premier degré ce qu’il fait par jeu soit vraiment approprié pour « assurer son bien-être mental ». Quel jugement porte-t-il sur ces adultes qui ne font pas « semblant » de le croire mais croient fermement à tout ce qu’il dit ?

Prolongeons l’idée ouverte par ce que je persiste à appeler un jeu : et s’ils s’étaient grimés avec du noir de fumée7 ? Ah, là, les choses ne se seraient pas passées de la même façon. Se faire une black face est inadmissible : deux gosses qui s’étaient passé sur le visage une crème anti-acnéique vert foncé qui avait viré au noir ont été virés de leur high school8 ; les activistes woke ont empêché une représentation des Suppliantes d’Eschyle à Paris parce qu’ils ont cru que les masques singeaient le grimage (désobligeant) des acteurs blancs au xixe siècle ; les étudiants de Yale ont obtenu la démission d’une enseignante, Erika Christakis, qui avait dit en substance que les étudiants pouvaient bien porter les déguisements qu’ils voulaient pour fêter Halloween sans se soucier des « convenances »9, etc.

Un écolier « blanc » qui aurait « transitionné » parce qu’il avait un « ressenti » d’écolier issu de la diversité se serait peut-être fait vertement réprimander, ses parents convoquer par la hiérarchie de l’école et sommés de suivre un stage de renoncement solennel au « privilège blanc ». Dysphorie de genre, oui ; dysphorie d’espèce, pourquoi pas ? Mais dysphorie de « race » ? Jamais !

Auteur

  1. Voir ici Repris

  2. Rassurez-vous : non, il n’est pas allé en prison, ça ne se faisait pas à l’époque… En revanche, le gamin, en rentrant chez lui, devait tendre l’autre joue selon les bons principes évangéliques…

  3. L’institutrice pourra leur faire jouer une saynète pour mettre la fable en application. Prévoir de quoi éponger le sang.

  4. Non, ils ne l’ont pas encore dit ! Je leur donne peut-être une mauvaise idée ?

  5. 5 Voir le livre de Carine Azzopardi Quand la peur gouverne tout, Plon 2023.

  6. J’ai aussi joué à la poupée avec eux mais vous ne le répéterez pas, hein ?

  7. C’est facile : je l’ai fait quand j’étais gamin. Je vous montrerai !

  8. Un juge a obligé l’école à les réintégrer et à leur verser de confortables indemnités.

  9. Voir ici

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