Les Oscars, Tarantino, le wokisme et son nouveau roman… Bret Easton Ellis sans filtre

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Les Oscars, Tarantino, le wokisme et son nouveau roman… Bret Easton Ellis sans filtre

Read More  par Jérôme VERMELIN Publié le 18 mars 2023 à 13h17, mis à jour le 18 mars 2023 à 20h02Source : Quotidien, première partieC’est la rock star des écrivains américains. Entré dans la légende grâce au monstrueux American Psycho, Bret Easton Ellis a toujours ausculté l’univers des riches et des puissants avec une plume incisive, mélange d’humour noir et de réalisme terrifiant. Dans Les Éclats, publié cette semaine en France chez Robert Laffont, c’est un romancier plus sensible et vulnérable qui replonge au début des années 1980 pour nous raconter sa jeunesse entre sexualité contrariée, passion pour le Septième art et trouille d’un serial killer qui rode sur les hauteurs de Los Angeles. De passage par Paris, il a raconté à TF1info les sources de ce nouveau chef-d’œuvre. L’occasion aussi d’évoquer l’actualité du cinéma, entre la cérémonie des Oscars, le prochain film de son ami Quentin Tarantino et celui qu’il va réaliser lui-même à l’automne prochain… TF1info : Au début du livre, l’un des personnages dit au jeune Bret qu’il a tendance à l’exagération. Quelle est la part de fiction et d’autobiographie dans Les Éclats ? 
Bret Easton Ellis : La raison pour laquelle je voulais écrire Les Éclats, c’est une émotion pure. Je voulais parler de ces gens et cette époque que j’ai connus. 70% sont purement autobiographiques. J’ai pris des choses qui me sont arrivées et sur lesquelles je voulais écrire depuis 40 ans. Cette chambre d’hôtel où je me suis retrouvé avec un producteur de cinéma. Cet après-midi où ma petite amie est venue chez moi pour me demander si je l’aimais ou si j’étais un zombie ? J’ai écrit cette scène dans mon journal le soir-même et j’ai toujours voulu la mettre dans un livre. Mais celle qui a tout déclenché, c’est le jour où je suis allé voir Shining au cinéma. Je l’ai décrite en détails jusqu’aux bonbons à la menthe que je mangeais. Et j’ai bel et bien vu un garçon magnifique entrer dans la salle pour chercher quelqu’un. Je voulais tout savoir de lui. Je suis devenu obsédé par cet inconnu qui est devenu le personnage de Robert Mallory. Pour répondre à votre question, il y a tellement de moi dedans. Et pourtant le narrateur a tendance à embellir les choses, c’est un dissimulateur. Ce qu’il dissimule en particulier, c’est son orientation sexuelle. Vous aussi à l’époque ? 
Complètement. Pour moi, écrire Les Éclats était une libération et une confession. Une façon de dire : voilà qui j’étais à l’époque. Je mentais, j’inventais des trucs sur les gens. Robert Mallory, c’est la métaphore d’une personne qu’on réécrit pour coller à ses désirs. Je faisais ça avec mes amis, avec ma vie. Tout ça est lié à la seule année où ma sexualité m’a posé problème. J’ai su que j’étais gay vers 8-9 ans. Pour moi ce n’était pas si grave comparé au divorce horrible de mes parents. Ce n’étais pas si grave comparé à ma grand-mère en train de mourir du cancer du pancréas. Je pouvais gérer. Mais à 17 ans, il s’est passé un truc. J’ai réalisé qu’une partie du monde me serait interdite. Que 97% des hommes qui m’attiraient ne seraient jamais disponibles ! Un jour, j’ai tourné la page. J’ai grandi. Mais avant ça il y a eu cette difficile année de transition où une série d’événements m’ont transporté d’un côté de l’île à l’autre. C’est sur ça que je voulais écrire.Je sais que ce n’est pas votre truc en général. Mais est-ce que vous aviez envie de transmettre un message à la nouvelle génération dans ce domaine ?
J’ai arrêté d’avoir envie de transmettre un message à la nouvelle génération il y a très longtemps. Et elle n’en a pas besoin ! Je vis avec quelqu’un de plus jeune que moi depuis 13 ans et j’ai l’impression de connaître les gens de son âge. Il y a des choses que j’adore chez eux et d’autres pas du tout. Comme avec les gens de ma génération. À vrai dire je trouve que la génération X est diablement cool. Avec les boomers, c’est plus problématique… C’est drôle parce que beaucoup de gens ont vu dans Les Éclats une antithèse de 2023. Le début des années 1980, c’était une époque plus simple, avec plus de liberté. Nous n’étions pas obsédés par l’idéologie et toutes ces notions de progressisme et de wokisme. Nous n’étions juste pas politisés. Dans le livre, il y a une scène que beaucoup associent à une agression sexuelle. Mais je ne l’ai jamais vue ainsi, je n’ai jamais été traumatisé. Que mon amour secret me tourne le dos du jour au lendemain, ça c’était traumatisant. Recevoir une fellation d’un producteur dans une chambre d’hôtel parce que je croyais qu’il allait faire mon film stupide ? J’appelle ça grandir ! Aujourd’hui, les gens pensent que c’est mon grand traumatisme. Mais non ! Mon traumatisme, c’est que j’étais un menteur, un acteur.La Brigade : comment résoudre l’équation Bret Easton Ellis ?Source : Quotidien, première partieLes Éclats rappelle aussi combien vous rêviez de devenir metteur en scène à l’époque. Diriez-vous que la littérature vous a choisi et que le cinéma vous a rejeté ?
Moi je n’ai toujours pas rejeté le cinéma ! Je compte d’ailleurs réaliser un film en octobre, on a l’argent, on a les acteurs. On est en train de chercher les décors. Mais oui, je dirais que la littérature m’a choisi. Et je n’éprouve aucun regret. Peut-être que j’aurais été – et que je serais – un réalisateur horrible ! Ou alors que je serais devenu Tarantino ! Peut-être qu’avec ma sensibilité, j’aurais pu changer le cinéma américain ! Faire quelque chose de jamais vu avant ! Mais j’ai adoré écrire mes livres. C’était une existence solitaire mais pas déprimante. Et puis je n’ai jamais été un bon collaborateur. J’ai essayé d’écrire des scénarios avec d’autres. J’ai même été dans des groupes de musique. Mais il y a quelque chose avec l’intimité de l’écriture d’un livre pendant des années. C’est comme une histoire d’amour. Ceci dit, j’ai bel et bien tenté de percer à Hollywood parce que j’ai toujours vu la minisérie comme le nouveau roman. Je trouvais ça créativement excitant. Je n’ai pas réussi jusqu’ici. Mais on verra bien…  En parlant de minisérie, avez-vous vu Dahmer de Ryan Murphy ? Impossible de ne pas y penser en lisant votre roman…
Je viens de rencontrer Ryan Murphy qui voulait adapter Les Éclats. Mais j’ai dit non. Dahmer, j’ai adoré la première moitié. Vous savez, je suis obsédé par Jeffrey Dahmer. Je sais tout sur lui. J’ai lu tous les livres, vu tous les films… Les cinq premiers épisodes, c’était génial. Quelqu’un avait enfin le temps, l’argent et un acteur fantastique, Evan Peters. Ça nous raconte enfin comme le caractère psychopathe de Dahmer s’est construit, pièce par pièce, pour en arriver à ce qu’il a fait. Et ensuite ça se transforme en programme sur le mouvement Black Lives Matter. L’idéologie woke prend le pas avec ces gens qui veulent ériger un mémorial pour les victimes… Et ça devient ridicule.La cérémonie des Oscars s’est déroulée il y a quelques jours. Vous rêveriez d’y être ? 
Personne ne veut aller aux Oscars ! Personne ne veut aller dans ce théâtre parce que c’est ennuyeux à mourir ! Les gens que je connais à Hollywood, ils détestent les Oscars. Je sais de quoi je parle car j’ai grandi dans cet univers à travers les amis de mes parents qui travaillaient dans le cinéma. Les Oscars, c’est une machine publicitaire créée dans les années 1920 pour donner à Hollywood une image moralement acceptable. J’ai été invité un jour par un ami, mais pas question d’être assis là-dedans pendant 4 heures et demie. Quelle horreur ! Je préfère regarder au lit ! D’ailleurs cette année c’était la première fois de ma vie que je ne regardais pas parce que j’étais en tournée promo pour mon livre. Vous détestez mais vous regardez quand même !
Oui parce que même si c’est ennuyeux, je regarde parce que j’aime les films et que ça m’intéresse de voir l’image que l’industrie hollywoodienne a d’elle-même. L’intérêt pour moi, c’est qui est nommé, qui ne l’est pas. Que se passe-t-il dans la tête des gens de cette communauté ? Le résultat… À Los Angeles, nous avons les SAG Awards, les Director’s Guild Awards, les Producers’s Guild Awards, les Writer’s Guild Awards, etc. Ils sont décernés une semaine avant les Oscars donc on sait déjà qui va gagner.La bande-annonce de « Everything Everywhere All At Once »Source : TF1 InfoAlors justement : comment expliquez-vous le triomphe de Everything Everywhere All At Once ? 
Alors voilà, c’est mon sentiment : je ne pense pas que les gens considéraient que c’était le meilleur film. Mais je pense que pour gagner l’Oscar du meilleur film, il faut faire pleurer. Tár ne fait pleurer personne. Mais c’était le meilleur film que j’ai vu en 2022. Brillamment écrit, brillamment réalisé, brillamment interprété. Très froid. Mais incroyable. Everything Everywhere All At Once, pour beaucoup de gens, c’est très divertissant, irrévérencieux. Il faut reconnaître que les réalisateurs ont beaucoup d’imagination. Mais il est arrivé un moment où je n’en pouvais plus. Je voulais me barrer du cinéma. J’y suis allé le premier week-end avec mon petit-ami et il y a plein de trucs que j’ai aimés. La première demi-heure, j’ai été ému par cette mère, cette famille et leurs problèmes avec les impôts. Dès qu’ils entrent dans le placard, je n’ai rien compris pendant une heure, même s’il y a des scènes très réussies individuellement. Sauf qu’à la fin, les gens pleurent quand la mère et la fille se réconcilient. Et il faut ça pour gagner meilleur film. Je pense aussi que Ke Huy Quan méritait de gagner, il est génial. En revanche, Cate Blanchett aurait dû être sacrée meilleure actrice pour Tár plutôt que Michelle Yeoh. Mais c’est un choix politique. Et Brendan Fraser meilleur acteur ? 
Je ne suis pas un grand fan de The Whale mais je préférais qu’il gagne plutôt que Colin Farrell pour ce petit truc irlandais qu’il a fait (Les Banshees d’Inisherin – ndlr).Aux Etats-Unis, certains médias reprochent à The Whale de donner une mauvaise image des personnages obèses. Qu’en pensez-vous ? 
Mais ce n’est pas le sujet du film ! Les gens sont tellement premier degré aujourd’hui. Et ils sont obsédés par l’identité. Ils pensent que ça fait tout. Alors que la vie est bien plus complexe que ça. L’homme dans The Whale n’est pas seulement obèse. Il est aussi gay ! C’est un type intelligent, mais aussi autodestructeur. Il a vécu un truc horrible puisque son amant s’est suicidé. Et il essaie de se réconcilier avec sa fille qui le déteste. La controverse, à vrai dire, ne concerne qu’une poignée de gens qui font du bruit sur Internet même si le New York Times a écrit ça aussi. La vérité, c’est qu’il y a tout de sorte de gens obèses, la plupart qui se lèvent le matin et ne peuvent ou ne veulent simplement pas perdre de poids. Ils ne sont pas confinés comme le personnage du film. Le truc, c’est que le cinéma, comme le roman, n’est pas un miroir. C’est une porte ou une fenêtre vers un monde qui nous permet d’expérimenter la vie d’autres personnes. Or j’ai l’impression qu’on est dans un moment où tout doit être premier degré et où la métaphore n’existe plus. C’est terrible parce que je viens de lire un article du New Yorker qui révèle que le nombre d’élèves en littérature a chuté de 50% en dix ans aux Etats-Unis ! Et si vous écriviez un livre sur le monde d’aujourd’hui ? 
Après avoir lu Les Éclats, Quentin Tarantino m’a dit que ce qu’il aimait, c’est qu’il n’y avait pas le moindre putain de téléphone portable dedans ! Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas pour ça que je l’avais écrit. Mais pour lui, mon livre c’était comme son film Once Upon a Time in Hollywood. Il l’a réalisé pour retomber en enfance, pour revenir dans le monde où il a grandi et où il était terrifié par la secte de Charles Manson comme nous tous. Écrire sur aujourd’hui ? Je trouve le monde actuel horrible. De quoi est-ce qu’on pourrait parler ? Je ne suis pas sûr… Peut-être que je le ferai plus tard. Mais à cet instant précis de ma vie, je voulais revenir en arrière. D’ailleurs en réfléchissant bien, peut-être que c’est le film de Quentin qui m’a donné envie de le faire.Vous êtes au courant de son nouveau film, The Movie Critic ? Il laisse entendre que ce sera le dernier… 
Je sais que Quentin veut écrire des livres. Il a toujours considéré ses scénarios comme des romans car il n’a jamais suivi la structure classique d’un film en trois actes. Il pense qu’une scène d’ouverture peut durer 20 pages, il s’autorise des digressions qui n’ont rien à voir avec l’intrigue principale. Des dialogues très longs qui ne révèlent pas forcément les personnages. Tout ce que Hollywood déteste ! Je crois que c’est un romancier dans l’âme. Il écrit en ce moment un autre livre sur le cinéma et si je comprends bien son nouveau film sera consacré à la critique Pauline Kael, qui nous obsède tous les deux. Elle a façonné sa vision du cinéma comme la mienne.  Vous aussi vous songez à la retraite ?
Non ! Un jour j’en ai parlé avec mon comptable. Je lui ai dit : « Mais qu’est-ce que je vais faire le jour où je serai à la retraite ? ». Et il m’a répondu : « Mais la retraite de quoi ? De te lever de ton lit pour aller vers ton ordinateur ? ». Ce que je sais, en revanche, c’est qu’on est inspiré aussi longtemps qu’on est inspiré. Ce que Tarantino a remarqué à propos de pas mal de réalisateurs qu’il admirait, c’est qu’en vieillissant, certains étaient juste moins inspirés. Ce n’est pas une règle. Mais on peut souvent voir l’arc de l’inspiration d’un réalisateur sur une période de 8 ou 10 ans où ils font leurs meilleurs films. Ce qui me terrifie, c’est que cette période pour moi correspond peut-être à mes 45 ans, où j’écrivais des scénarios qui n’ont jamais abouti alors que j’aurai pu écrire deux romans…Vous m’avez parlé de ce film que vous souhaitez réaliser. C’est votre prochain projet, c’est certain ? 
Avant que vous arriviez, j’étais en train d’écrire un mail au mec des effets spéciaux à propos d’un trucage incroyable dans ce film que je veux réaliser en octobre. Ça va arriver. Ce n’est pas mon meilleur script. Mais c’est un script d’horreur très efficace. On pensait avoir le financement avant la pandémie mais en réalité on avait besoin d’un acteur connu pour le boucler. Et on l’a trouvé. Moi je ne le connaissais pas. Mais il a quelque chose comme 10 millions de fans sur Instagram et notre co-producteur français a accepté de compléter le budget si on pouvait l’avoir. Je vous dis son nom en off, mais s’il vous plaît n’en parlez pas tant que les contrats ne sont pas signés (sourire). Et puis Les Éclats vont être adaptés en minisérie. Là pareil, il y a un réalisateur. Mais chut !  Il faudrait l’annoncer au Festival de Cannes, non ? 
C’est tout à fait possible ! >> Les Éclats de Bret Easton Ellis (Robert Laffont). 616 pages. 26 euros. 

Publié le 18 mars 2023 à 13h17, mis à jour le 18 mars 2023 à 20h02

Source : Quotidien, première partie

C’est la rock star des écrivains américains. Entré dans la légende grâce au monstrueux American Psycho, Bret Easton Ellis a toujours ausculté l’univers des riches et des puissants avec une plume incisive, mélange d’humour noir et de réalisme terrifiant. Dans Les Éclats, publié cette semaine en France chez Robert Laffont, c’est un romancier plus sensible et vulnérable qui replonge au début des années 1980 pour nous raconter sa jeunesse entre sexualité contrariée, passion pour le Septième art et trouille d’un serial killer qui rode sur les hauteurs de Los Angeles. De passage par Paris, il a raconté à TF1info les sources de ce nouveau chef-d’œuvre. L’occasion aussi d’évoquer l’actualité du cinéma, entre la cérémonie des Oscars, le prochain film de son ami Quentin Tarantino et celui qu’il va réaliser lui-même à l’automne prochain…

TF1info : Au début du livre, l’un des personnages dit au jeune Bret qu’il a tendance à l’exagération. Quelle est la part de fiction et d’autobiographie dans Les Éclats

Bret Easton Ellis : La raison pour laquelle je voulais écrire Les Éclats, c’est une émotion pure. Je voulais parler de ces gens et cette époque que j’ai connus. 70% sont purement autobiographiques. J’ai pris des choses qui me sont arrivées et sur lesquelles je voulais écrire depuis 40 ans. Cette chambre d’hôtel où je me suis retrouvé avec un producteur de cinéma. Cet après-midi où ma petite amie est venue chez moi pour me demander si je l’aimais ou si j’étais un zombie ? J’ai écrit cette scène dans mon journal le soir-même et j’ai toujours voulu la mettre dans un livre. Mais celle qui a tout déclenché, c’est le jour où je suis allé voir Shining au cinéma. Je l’ai décrite en détails jusqu’aux bonbons à la menthe que je mangeais. Et j’ai bel et bien vu un garçon magnifique entrer dans la salle pour chercher quelqu’un. Je voulais tout savoir de lui. Je suis devenu obsédé par cet inconnu qui est devenu le personnage de Robert Mallory. Pour répondre à votre question, il y a tellement de moi dedans. Et pourtant le narrateur a tendance à embellir les choses, c’est un dissimulateur.

Ce qu’il dissimule en particulier, c’est son orientation sexuelle. Vous aussi à l’époque ? 

Complètement. Pour moi, écrire Les Éclats était une libération et une confession. Une façon de dire : voilà qui j’étais à l’époque. Je mentais, j’inventais des trucs sur les gens. Robert Mallory, c’est la métaphore d’une personne qu’on réécrit pour coller à ses désirs. Je faisais ça avec mes amis, avec ma vie. Tout ça est lié à la seule année où ma sexualité m’a posé problème. J’ai su que j’étais gay vers 8-9 ans. Pour moi ce n’était pas si grave comparé au divorce horrible de mes parents. Ce n’étais pas si grave comparé à ma grand-mère en train de mourir du cancer du pancréas. Je pouvais gérer. Mais à 17 ans, il s’est passé un truc. J’ai réalisé qu’une partie du monde me serait interdite. Que 97% des hommes qui m’attiraient ne seraient jamais disponibles ! Un jour, j’ai tourné la page. J’ai grandi. Mais avant ça il y a eu cette difficile année de transition où une série d’événements m’ont transporté d’un côté de l’île à l’autre. C’est sur ça que je voulais écrire.

Je sais que ce n’est pas votre truc en général. Mais est-ce que vous aviez envie de transmettre un message à la nouvelle génération dans ce domaine ?

J’ai arrêté d’avoir envie de transmettre un message à la nouvelle génération il y a très longtemps. Et elle n’en a pas besoin ! Je vis avec quelqu’un de plus jeune que moi depuis 13 ans et j’ai l’impression de connaître les gens de son âge. Il y a des choses que j’adore chez eux et d’autres pas du tout. Comme avec les gens de ma génération. À vrai dire je trouve que la génération X est diablement cool. Avec les boomers, c’est plus problématique… C’est drôle parce que beaucoup de gens ont vu dans Les Éclats une antithèse de 2023. Le début des années 1980, c’était une époque plus simple, avec plus de liberté. Nous n’étions pas obsédés par l’idéologie et toutes ces notions de progressisme et de wokisme. Nous n’étions juste pas politisés. Dans le livre, il y a une scène que beaucoup associent à une agression sexuelle. Mais je ne l’ai jamais vue ainsi, je n’ai jamais été traumatisé. Que mon amour secret me tourne le dos du jour au lendemain, ça c’était traumatisant. Recevoir une fellation d’un producteur dans une chambre d’hôtel parce que je croyais qu’il allait faire mon film stupide ? J’appelle ça grandir ! Aujourd’hui, les gens pensent que c’est mon grand traumatisme. Mais non ! Mon traumatisme, c’est que j’étais un menteur, un acteur.

La Brigade : comment résoudre l’équation Bret Easton Ellis ?Source : Quotidien, première partie

Les Éclats rappelle aussi combien vous rêviez de devenir metteur en scène à l’époque. Diriez-vous que la littérature vous a choisi et que le cinéma vous a rejeté ?

Moi je n’ai toujours pas rejeté le cinéma ! Je compte d’ailleurs réaliser un film en octobre, on a l’argent, on a les acteurs. On est en train de chercher les décors. Mais oui, je dirais que la littérature m’a choisi. Et je n’éprouve aucun regret. Peut-être que j’aurais été – et que je serais – un réalisateur horrible ! Ou alors que je serais devenu Tarantino ! Peut-être qu’avec ma sensibilité, j’aurais pu changer le cinéma américain ! Faire quelque chose de jamais vu avant ! Mais j’ai adoré écrire mes livres. C’était une existence solitaire mais pas déprimante. Et puis je n’ai jamais été un bon collaborateur. J’ai essayé d’écrire des scénarios avec d’autres. J’ai même été dans des groupes de musique. Mais il y a quelque chose avec l’intimité de l’écriture d’un livre pendant des années. C’est comme une histoire d’amour. Ceci dit, j’ai bel et bien tenté de percer à Hollywood parce que j’ai toujours vu la minisérie comme le nouveau roman. Je trouvais ça créativement excitant. Je n’ai pas réussi jusqu’ici. Mais on verra bien… 

En parlant de minisérie, avez-vous vu Dahmer de Ryan Murphy ? Impossible de ne pas y penser en lisant votre roman…

Je viens de rencontrer Ryan Murphy qui voulait adapter Les Éclats. Mais j’ai dit non. Dahmer, j’ai adoré la première moitié. Vous savez, je suis obsédé par Jeffrey Dahmer. Je sais tout sur lui. J’ai lu tous les livres, vu tous les films… Les cinq premiers épisodes, c’était génial. Quelqu’un avait enfin le temps, l’argent et un acteur fantastique, Evan Peters. Ça nous raconte enfin comme le caractère psychopathe de Dahmer s’est construit, pièce par pièce, pour en arriver à ce qu’il a fait. Et ensuite ça se transforme en programme sur le mouvement Black Lives Matter. L’idéologie woke prend le pas avec ces gens qui veulent ériger un mémorial pour les victimes… Et ça devient ridicule.

La cérémonie des Oscars s’est déroulée il y a quelques jours. Vous rêveriez d’y être ? 

Personne ne veut aller aux Oscars ! Personne ne veut aller dans ce théâtre parce que c’est ennuyeux à mourir ! Les gens que je connais à Hollywood, ils détestent les Oscars. Je sais de quoi je parle car j’ai grandi dans cet univers à travers les amis de mes parents qui travaillaient dans le cinéma. Les Oscars, c’est une machine publicitaire créée dans les années 1920 pour donner à Hollywood une image moralement acceptable. J’ai été invité un jour par un ami, mais pas question d’être assis là-dedans pendant 4 heures et demie. Quelle horreur ! Je préfère regarder au lit ! D’ailleurs cette année c’était la première fois de ma vie que je ne regardais pas parce que j’étais en tournée promo pour mon livre.

Vous détestez mais vous regardez quand même !

Oui parce que même si c’est ennuyeux, je regarde parce que j’aime les films et que ça m’intéresse de voir l’image que l’industrie hollywoodienne a d’elle-même. L’intérêt pour moi, c’est qui est nommé, qui ne l’est pas. Que se passe-t-il dans la tête des gens de cette communauté ? Le résultat… À Los Angeles, nous avons les SAG Awards, les Director’s Guild Awards, les Producers’s Guild Awards, les Writer’s Guild Awards, etc. Ils sont décernés une semaine avant les Oscars donc on sait déjà qui va gagner.

La bande-annonce de « Everything Everywhere All At Once »Source : TF1 Info

Alors justement : comment expliquez-vous le triomphe de Everything Everywhere All At Once

Alors voilà, c’est mon sentiment : je ne pense pas que les gens considéraient que c’était le meilleur film. Mais je pense que pour gagner l’Oscar du meilleur film, il faut faire pleurer. Tár ne fait pleurer personne. Mais c’était le meilleur film que j’ai vu en 2022. Brillamment écrit, brillamment réalisé, brillamment interprété. Très froid. Mais incroyable. Everything Everywhere All At Once, pour beaucoup de gens, c’est très divertissant, irrévérencieux. Il faut reconnaître que les réalisateurs ont beaucoup d’imagination. Mais il est arrivé un moment où je n’en pouvais plus. Je voulais me barrer du cinéma. J’y suis allé le premier week-end avec mon petit-ami et il y a plein de trucs que j’ai aimés. La première demi-heure, j’ai été ému par cette mère, cette famille et leurs problèmes avec les impôts. Dès qu’ils entrent dans le placard, je n’ai rien compris pendant une heure, même s’il y a des scènes très réussies individuellement. Sauf qu’à la fin, les gens pleurent quand la mère et la fille se réconcilient. Et il faut ça pour gagner meilleur film. Je pense aussi que Ke Huy Quan méritait de gagner, il est génial. En revanche, Cate Blanchett aurait dû être sacrée meilleure actrice pour Tár plutôt que Michelle Yeoh. Mais c’est un choix politique.

Et Brendan Fraser meilleur acteur ? 

Je ne suis pas un grand fan de The Whale mais je préférais qu’il gagne plutôt que Colin Farrell pour ce petit truc irlandais qu’il a fait (Les Banshees d’Inisherin – ndlr).

Aux Etats-Unis, certains médias reprochent à The Whale de donner une mauvaise image des personnages obèses. Qu’en pensez-vous ? 

Mais ce n’est pas le sujet du film ! Les gens sont tellement premier degré aujourd’hui. Et ils sont obsédés par l’identité. Ils pensent que ça fait tout. Alors que la vie est bien plus complexe que ça. L’homme dans The Whale n’est pas seulement obèse. Il est aussi gay ! C’est un type intelligent, mais aussi autodestructeur. Il a vécu un truc horrible puisque son amant s’est suicidé. Et il essaie de se réconcilier avec sa fille qui le déteste. La controverse, à vrai dire, ne concerne qu’une poignée de gens qui font du bruit sur Internet même si le New York Times a écrit ça aussi. La vérité, c’est qu’il y a tout de sorte de gens obèses, la plupart qui se lèvent le matin et ne peuvent ou ne veulent simplement pas perdre de poids. Ils ne sont pas confinés comme le personnage du film. Le truc, c’est que le cinéma, comme le roman, n’est pas un miroir. C’est une porte ou une fenêtre vers un monde qui nous permet d’expérimenter la vie d’autres personnes. Or j’ai l’impression qu’on est dans un moment où tout doit être premier degré et où la métaphore n’existe plus. C’est terrible parce que je viens de lire un article du New Yorker qui révèle que le nombre d’élèves en littérature a chuté de 50% en dix ans aux Etats-Unis !

Et si vous écriviez un livre sur le monde d’aujourd’hui ? 

Après avoir lu Les Éclats, Quentin Tarantino m’a dit que ce qu’il aimait, c’est qu’il n’y avait pas le moindre putain de téléphone portable dedans ! Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas pour ça que je l’avais écrit. Mais pour lui, mon livre c’était comme son film Once Upon a Time in Hollywood. Il l’a réalisé pour retomber en enfance, pour revenir dans le monde où il a grandi et où il était terrifié par la secte de Charles Manson comme nous tous. Écrire sur aujourd’hui ? Je trouve le monde actuel horrible. De quoi est-ce qu’on pourrait parler ? Je ne suis pas sûr… Peut-être que je le ferai plus tard. Mais à cet instant précis de ma vie, je voulais revenir en arrière. D’ailleurs en réfléchissant bien, peut-être que c’est le film de Quentin qui m’a donné envie de le faire.

Vous êtes au courant de son nouveau film, The Movie Critic ? Il laisse entendre que ce sera le dernier… 

Je sais que Quentin veut écrire des livres. Il a toujours considéré ses scénarios comme des romans car il n’a jamais suivi la structure classique d’un film en trois actes. Il pense qu’une scène d’ouverture peut durer 20 pages, il s’autorise des digressions qui n’ont rien à voir avec l’intrigue principale. Des dialogues très longs qui ne révèlent pas forcément les personnages. Tout ce que Hollywood déteste ! Je crois que c’est un romancier dans l’âme. Il écrit en ce moment un autre livre sur le cinéma et si je comprends bien son nouveau film sera consacré à la critique Pauline Kael, qui nous obsède tous les deux. Elle a façonné sa vision du cinéma comme la mienne. 

Vous aussi vous songez à la retraite ?

Non ! Un jour j’en ai parlé avec mon comptable. Je lui ai dit : « Mais qu’est-ce que je vais faire le jour où je serai à la retraite ?« . Et il m’a répondu : « Mais la retraite de quoi ? De te lever de ton lit pour aller vers ton ordinateur ?« . Ce que je sais, en revanche, c’est qu’on est inspiré aussi longtemps qu’on est inspiré. Ce que Tarantino a remarqué à propos de pas mal de réalisateurs qu’il admirait, c’est qu’en vieillissant, certains étaient juste moins inspirés. Ce n’est pas une règle. Mais on peut souvent voir l’arc de l’inspiration d’un réalisateur sur une période de 8 ou 10 ans où ils font leurs meilleurs films. Ce qui me terrifie, c’est que cette période pour moi correspond peut-être à mes 45 ans, où j’écrivais des scénarios qui n’ont jamais abouti alors que j’aurai pu écrire deux romans…

Vous m’avez parlé de ce film que vous souhaitez réaliser. C’est votre prochain projet, c’est certain ? 

Avant que vous arriviez, j’étais en train d’écrire un mail au mec des effets spéciaux à propos d’un trucage incroyable dans ce film que je veux réaliser en octobre. Ça va arriver. Ce n’est pas mon meilleur script. Mais c’est un script d’horreur très efficace. On pensait avoir le financement avant la pandémie mais en réalité on avait besoin d’un acteur connu pour le boucler. Et on l’a trouvé. Moi je ne le connaissais pas. Mais il a quelque chose comme 10 millions de fans sur Instagram et notre co-producteur français a accepté de compléter le budget si on pouvait l’avoir. Je vous dis son nom en off, mais s’il vous plaît n’en parlez pas tant que les contrats ne sont pas signés (sourire). Et puis Les Éclats vont être adaptés en minisérie. Là pareil, il y a un réalisateur. Mais chut ! 

Il faudrait l’annoncer au Festival de Cannes, non ? 

C’est tout à fait possible !

>> Les Éclats de Bret Easton Ellis (Robert Laffont). 616 pages. 26 euros.

 

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