fbpx

L’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école ne contredit pas la laïcité

En dépit de sa réputation de sérieux, Le Monde a publié le 17 avril une tribune méconnaissant manifestement la définition de la laïcité ; et en dépit de sa réputation d’objectivité, il a refusé la réponse que voici.

Dans cette tribune, Jean-Fabien Spitz soutient que le nombre croissant d’incidents liés à la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école doit être l’occasion de rappeler, contre les mensonges et les falsifications, en quoi consiste le principe de laïcité que cette loi est censée défendre mais qu’elle viole en réalité. Seulement, en omettant quelques points essentiels, et surtout en dissimulant la menace première (l’entrisme du fondamentalisme et de l’intégrisme musulmans dans les lieux publics – les mots « voile » et « islam » ne figurent pas dans le texte), l’argumentaire du philosophe rate sa cible.

Tout d’abord, rappelons que la « liberté de conscience » assurée par la République dans l’article 1 de la loi de 1905 englobe dans la liberté de croyance, chose que l’on oublie volontiers, la liberté de ne pas croire. Ne pas mentionner la liberté de ne pas croire, c’est confondre la laïcité avec la conception anglo-saxonne de la tolérance qui présuppose comme inhérente à l’homme l’appartenance à une religion. Encore aujourd’hui, aux États-Unis, grand pays de liberté et de tolérance religieuses, il est pratiquement impossible à une autorité ou à une célébrité de se dire publiquement agnostique ou athée.

Certes, les élèves voilées ne portent pas atteinte à l’ordre public matériel, aux intérêts matériels des tiers, à leur vie, à leur propriété. Mais est-il vrai de soutenir, comme le fait Jean-Fabien Spitz, qu’elles ne portent pas atteinte à leur liberté ? Dire que le voile islamique (voire islamiste) n’est qu’un vêtement, ce serait comme dire que le salut fasciste n’est qu’un geste (il y a des cas où le point Godwin n’est pas sans vertu propédeutique). Le voile islamique est aussi, est d’abord un drapeau, un étendard. Il ne signifie pas seulement l’appartenance religieuse de celles qui le portent, il commande aux autres jeunes filles de même origine de le porter, de facto il dénonce et stigmatise. Le voile a un sens discriminant et accusatoire. C’est parce qu’il contredit la liberté de croyance qu’il viole le principe de laïcité, et c’est pourquoi la loi 2004 l’interdit.

Certes, la loi de 1905 (qui, rappelons-le, ne contient pas le terme de « laïcité » ni dans son titre ni dans ses articles) ne parle que des droits et des devoirs de la République, elle ne concerne que les institutions et les biens religieux, ainsi que la liberté des cultes, sans statuer sur la société civile elle-même. Elle n’avait pas prévu le cas où les élèves des écoles publiques exerceraient une pression religieuse non seulement sur leurs camarades, mais sur les institutions scolaires elles-mêmes. La neutralité de l’État en matière de religion ne signifie évidemment pas son indifférence lorsque la liberté de conscience est menacée.

Il est factuellement faux, comme l’assure Jean-Fabien Spitz pour mieux légitimer le voile musulman à l’école, que « le prosélytisme est une composante légitime de la croyance religieuse » : le judaïsme et l’hindouisme, pour ne citer que ces deux exemples connus, ignorent le prosélytisme, de même que toutes les religions vernaculaires. Par ailleurs, l’islam n’est pas une simple croyance, c’est un mode de vie, une conception du monde disruptive, et, dans sa version fondamentaliste et intégriste, une négation de la démocratie et de la République, et donc des principes et des valeurs qui lui donnent sens, à commencer par la laïcité. Il ne s’agit donc pas d’une simple « différence », ainsi qu’il est dit benoîtement, que notre « tissu républicain » devrait reconnaître et intégrer. Il n’est pas impossible que, dans sa volonté de rabattre la laïcité sur la tolérance, Jean-Fabien Spitz se montre fidèle disciple de John Locke, dont il est l’un de nos meilleurs spécialistes. Dans la Lettre sur la tolérance (1686), qui inspirera Voltaire, le philosophe anglais faisait deux exceptions : pour les catholiques, car, inféodés au Pape, ils risquent d’être déloyaux envers leur gouvernement, et pour les athées, car, ne craignant pas l’enfer, leur serment n’est pas fiable. Leçon à méditer : comment la libre expression des croyances religieuses à l’école pourrait-elle tolérer ceux qui ne les partagent pas ?

Picture of Christian Godin

Christian Godin

Christian Godin est maître de conférences de philosophie à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et collabore à différents journaux ou périodiques (Marianne, Le Magazine littéraire, Sciences et avenir, etc.). Il est également connu pour ses multiples ouvrages pédagogiques.