‘L’intersectionnalité n’est pas un frein, ni une menace pour le féminisme’

‘L’intersectionnalité n’est pas un frein, ni une menace pour le féminisme’

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‘L’intersectionnalité n’est pas un frein, ni une menace pour le féminisme’

Read More  © Getty ImagesToutes les féministes ont des appartenances multiples qui modulent leurs identités, leurs visions du monde et par conséquent leurs féminismes. Qu’on soit issues des groupes majoritaires ou minoritaires, nous sommes toutes concernées par les débats tendus sur ces appartenances et qui dépassent souvent la question des droits des femmes. La diversité dans le féminisme est historique. Selon Laurence Klejman (1989), le féminisme est un mouvement politique, social et intellectuel qui semble irréductible aux définitions et qui a fait son chemin malgré l’absence d’un texte fondateur commun. Pour Louise Toupin (1998), comme tout mouvement social, le mouvement féministe est traversé par différents courants de pensée. Chacun à sa façon, ces courants s’interrogent sur les causes de la subordination des femmes, les expressions de cette subordination et les stratégies de changement. Ces courants ont eu des métamorphoses en leur sein amenant une diversité encore plus grande. ►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe
En Belgique, selon Catherine Jacques (2009), les premières féministes tentent de se positionner au-dessus des luttes des partis et de former un front susceptible d’attirer toutes les femmes. Mais cet espoir se heurte très vite aux réalités politiques et aux luttes qui s’exacerbent à la fin du 19e siècle. En dépit de ces efforts, le féminisme se divise selon les trois partis traditionnels et présente dès le début du 20e siècle un courant laïque et libéral, un courant catholique et un courant socialiste avec des changements qui ont eu lieu en leur sein évidemment et de nouveaux courants qui se sont ajoutés. La diversité dans le féminisme est historique
Dans les années 70, et selon Louise Toupin, les grandes traditions de pensée féministes ont été ébranlées par des critiques fondamentales comme celle du Black Feminism. Ces féministes noires, fondatrices de l’approche intersectionnelle, ont expliqué que ce qui était fondamental pour elles, dans la compréhension de leur oppression, n’était pas seulement dans les classes sociales et le sexisme mais dans le racisme. Les féministes ont ainsi été poussées à sortir, dans leurs analyses de l’oppression, du duo sexe/classe au trio sexe/classe/race et ensuite, grâce à la contribution des lesbiennes noires américaines le quatuor sexe/classes/race/homophobie est formé. De leur côté et dans la même période, les approches postcoloniale et décoloniale s’inscrivent dans la production de savoirs critiques du colonialisme et de ses effets, aussi bien matériels que symboliques. Ils apportent une compréhension de l’imbrication des différentes formes d’oppression des femmes, appréhendées dans leurs contextes sociopolitiques spécifiques (Essyad, 2018).
Un peu racistes, les féministes? L’intersectionnalité, une menace pour le féminisme ?C’est donc cette « nouvelle » diversité dans le féminisme qui semble poser un problème. On pointe surtout du doigt l’intersectionnalité comme une menace ultime de l’unité féministe et un retour en arrière pour les droits des femmes. Mais qu’est-ce que l’intersectionnalité ? C’est la juriste américaine Kimberlé Crenshaw qui introduit le terme en 1989. Cependant, plusieurs militantes, comme Patricia Hill Collins, bell hooks et Leila Gonzalez avaient déjà parlé de cette position particulière des femmes à l’intersection de plusieurs catégories défavorisées. L’intersectionnalité est une critique à la fois de l’antiracisme et du féminisme en montrant leur incapacité à ouvrir un espace aux sujets politiques minoritaires en leur sein. En tant que féministes, nous gagnerons à interroger la manipulation de certains concepts par des courants identitaires et conservateurs
Pour Crenshaw, « L’impuissance du féminisme à interroger la race aboutit à des stratégies de résistance qui trop souvent reproduisent et renforcent la subordination des gens de couleur, tandis que l’impuissance de l’antiracisme à interroger le patriarcat se traduit par la reproduction trop fréquente de la subordination des femmes au sein de ce courant ». Le féminisme intersectionnel n’est donc pas le multiculturalisme, ni la diversité et encore moins la tolérance. C’est une grille de lecture qui tient compte des oppressions multidimensionnelles et simultanées et qui guide les actions pour y répondre.
« Pensée féministe décoloniale » : 15 autrices d’une grande richesseL’intersectionnalité, une approche inévitable ?La notion d’intersectionnalité politique, avancée par Crenshaw (2005), nous éclaire sur cette position spécifique et difficile de certaines femmes à l’intersection de plusieurs appartenances et de plusieurs discriminations. C’est une position particulière dans au moins deux groupes subordonnés qui poursuivent des objectifs politiques souvent contradictoires et qui oblige l’individu à cliver son énergie politique entre deux projets parfois antagonistes. ►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici Selon Longman et Coene (2010), l’intersectionnalité fait ressortir la position identitaire plurielle, les conflits de loyauté et les dilemmes que génère l’émancipation des femmes des minorités. Elles doivent en effet faire face au racisme et aux discriminations de la société dominante (enseignement, emploi…), mais aussi à une oppression spécifique au genre au sein de leur propre groupe ou communauté. Dans ce sens, l’intersectionnalité ne peut pas être un frein ni une menace pour le féminisme, au contraire, c’est une approche inévitable et utile qui donne des outils pour comprendre une situation complexe et d’y faire face. C’est une approche intéressante pour toutes les femmes car elle permet de comprendre l’égalité des genres dans une approche dynamique (Nader, 2006) en lien avec les relations intergroupes et leur conséquence sur les droits des femmes.
Pour Sonia Dayan-Herzbrun (2009), il faut sociologiser la domination des hommes sur les femmes et l’inscrire dans la complexité des rapports de hiérarchie, de soumission, de dépendance et d’exploitation qui lient les groupes humains (relations de classes, de clans ou d’ethnies, de groupes d’âge, de service ou de clientèle, et de ce qui s’est joué et se joue encore entre le Nord et le Sud depuis les entreprises coloniales). De ce fait, en tant que féministes, nous gagnerons à interroger plutôt les tensions et les motivations qui sous-tendent le débat sur la diversité dans le féminisme actuellement et la manipulation de certains concepts par des courants identitaires et conservateurs au sein des groupes majoritaires comme minoritaires. Notre intérêt à toutes est de garder le cap et d’unir nos forces dans la diversité des approches, chacune dans son contexte, dans ses cercles d’influence, des plus étroits aux plus larges.

*Noura Amer est présidente d’AWSA-Be asbl et doctorante en psychologie sociale et interculturelle. Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias. 

© Getty Images

Toutes les féministes ont des appartenances multiples qui modulent leurs identités, leurs visions du monde et par conséquent leurs féminismes. Qu’on soit issues des groupes majoritaires ou minoritaires, nous sommes toutes concernées par les débats tendus sur ces appartenances et qui dépassent souvent la question des droits des femmes.

La diversité dans le féminisme est historique. Selon Laurence Klejman (1989), le féminisme est un mouvement politique, social et intellectuel qui semble irréductible aux définitions et qui a fait son chemin malgré l’absence d’un texte fondateur commun.

Pour Louise Toupin (1998), comme tout mouvement social, le mouvement féministe est traversé par différents courants de pensée. Chacun à sa façon, ces courants s’interrogent sur les causes de la subordination des femmes, les expressions de cette subordination et les stratégies de changement. Ces courants ont eu des métamorphoses en leur sein amenant une diversité encore plus grande.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

En Belgique, selon Catherine Jacques (2009), les premières féministes tentent de se positionner au-dessus des luttes des partis et de former un front susceptible d’attirer toutes les femmes. Mais cet espoir se heurte très vite aux réalités politiques et aux luttes qui s’exacerbent à la fin du 19e siècle. En dépit de ces efforts, le féminisme se divise selon les trois partis traditionnels et présente dès le début du 20e siècle un courant laïque et libéral, un courant catholique et un courant socialiste avec des changements qui ont eu lieu en leur sein évidemment et de nouveaux courants qui se sont ajoutés.

La diversité dans le féminisme est historique

Dans les années 70, et selon Louise Toupin, les grandes traditions de pensée féministes ont été ébranlées par des critiques fondamentales comme celle du Black Feminism. Ces féministes noires, fondatrices de l’approche intersectionnelle, ont expliqué que ce qui était fondamental pour elles, dans la compréhension de leur oppression, n’était pas seulement dans les classes sociales et le sexisme mais dans le racisme. Les féministes ont ainsi été poussées à sortir, dans leurs analyses de l’oppression, du duo sexe/classe au trio sexe/classe/race et ensuite, grâce à la contribution des lesbiennes noires américaines le quatuor sexe/classes/race/homophobie est formé.

De leur côté et dans la même période, les approches postcoloniale et décoloniale s’inscrivent dans la production de savoirs critiques du colonialisme et de ses effets, aussi bien matériels que symboliques. Ils apportent une compréhension de l’imbrication des différentes formes d’oppression des femmes, appréhendées dans leurs contextes sociopolitiques spécifiques (Essyad, 2018).

L’intersectionnalité, une menace pour le féminisme ?

C’est donc cette « nouvelle » diversité dans le féminisme qui semble poser un problème. On pointe surtout du doigt l’intersectionnalité comme une menace ultime de l’unité féministe et un retour en arrière pour les droits des femmes. Mais qu’est-ce que l’intersectionnalité ?

C’est la juriste américaine Kimberlé Crenshaw qui introduit le terme en 1989. Cependant, plusieurs militantes, comme Patricia Hill Collins, bell hooks et Leila Gonzalez avaient déjà parlé de cette position particulière des femmes à l’intersection de plusieurs catégories défavorisées. L’intersectionnalité est une critique à la fois de l’antiracisme et du féminisme en montrant leur incapacité à ouvrir un espace aux sujets politiques minoritaires en leur sein.

En tant que féministes, nous gagnerons à interroger la manipulation de certains concepts par des courants identitaires et conservateurs

Pour Crenshaw, « L’impuissance du féminisme à interroger la race aboutit à des stratégies de résistance qui trop souvent reproduisent et renforcent la subordination des gens de couleur, tandis que l’impuissance de l’antiracisme à interroger le patriarcat se traduit par la reproduction trop fréquente de la subordination des femmes au sein de ce courant« .

Le féminisme intersectionnel n’est donc pas le multiculturalisme, ni la diversité et encore moins la tolérance. C’est une grille de lecture qui tient compte des oppressions multidimensionnelles et simultanées et qui guide les actions pour y répondre.

L’intersectionnalité, une approche inévitable ?

La notion d’intersectionnalité politique, avancée par Crenshaw (2005), nous éclaire sur cette position spécifique et difficile de certaines femmes à l’intersection de plusieurs appartenances et de plusieurs discriminations. C’est une position particulière dans au moins deux groupes subordonnés qui poursuivent des objectifs politiques souvent contradictoires et qui oblige l’individu à cliver son énergie politique entre deux projets parfois antagonistes.

►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

Selon Longman et Coene (2010), l’intersectionnalité fait ressortir la position identitaire plurielle, les conflits de loyauté et les dilemmes que génère l’émancipation des femmes des minorités. Elles doivent en effet faire face au racisme et aux discriminations de la société dominante (enseignement, emploi…), mais aussi à une oppression spécifique au genre au sein de leur propre groupe ou communauté.

Dans ce sens, l’intersectionnalité ne peut pas être un frein ni une menace pour le féminisme, au contraire, c’est une approche inévitable et utile qui donne des outils pour comprendre une situation complexe et d’y faire face. C’est une approche intéressante pour toutes les femmes car elle permet de comprendre l’égalité des genres dans une approche dynamique (Nader, 2006) en lien avec les relations intergroupes et leur conséquence sur les droits des femmes.

Pour Sonia Dayan-Herzbrun (2009), il faut sociologiser la domination des hommes sur les femmes et l’inscrire dans la complexité des rapports de hiérarchie, de soumission, de dépendance et d’exploitation qui lient les groupes humains (relations de classes, de clans ou d’ethnies, de groupes d’âge, de service ou de clientèle, et de ce qui s’est joué et se joue encore entre le Nord et le Sud depuis les entreprises coloniales).

De ce fait, en tant que féministes, nous gagnerons à interroger plutôt les tensions et les motivations qui sous-tendent le débat sur la diversité dans le féminisme actuellement et la manipulation de certains concepts par des courants identitaires et conservateurs au sein des groupes majoritaires comme minoritaires.

Notre intérêt à toutes est de garder le cap et d’unir nos forces dans la diversité des approches, chacune dans son contexte, dans ses cercles d’influence, des plus étroits aux plus larges.

*Noura Amer est présidente d’AWSA-Be asbl et doctorante en psychologie sociale et interculturelle.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

 

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