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Manifestations : « L’irruption de la violence fait entrer dans un schéma de guerre »

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  La Croix : L’image d’un cocktail enflammé jeté sur les CRS n’a pas suscité une indignation unanime. Comment l’expliquez-vous ?Michel Erman : Les Français désapprouvent, c’est certain. Ils le font avec des mots, mais ils restent, c’est vrai, résignés face à cette violence. Ils n’en sont pas complices, mais font preuve d’une certaine indifférence à la souffrance d’autrui, alors qu’il y a là un homme, un policier en l’occurrence, qui, en faisant simplement son travail, se retrouve en péril de mort.Lors du mouvement des gilets jaunes, une scène plus tragique avait eu lieu : une manifestante sur un rond-point était décédée après avoir été percutée par le véhicule d’une mère de famille qui amenait son enfant à l’hôpital. On aurait pu s’attendre à ce que le mouvement soit interrompu pour faire place au recueillement et au deuil. Or, cela n’avait pas eu lieu. Il me semble qu’on a franchi un cap à ce moment-là, car la non-condamnation est une forme de complaisance.Qu’est-ce qui nourrit cette violence ? d’où vient-elle ?M. E. : La colère sociale actuelle en est le terreau direct. Il s’agit d’un sentiment de rancœur très fort qui verse dans la répulsion et la haine, une haine dont le Président de la République est la cible privilégiée. On a d’ailleurs brûlé son effigie, ce qui est un acte symbolique très violent, voire cruel. L’incendiaire du groupe de policiers pousse la logique jusqu’au bout en dépersonnalisant les forces de l’ordre, en en faisant les suppôts de la Macronie. Il y a donc un glissement dangereux, rendu possible par un climat de passions tristes.Comment expliquer ce climat ?M. E. : Il remonte bien avant l’épisode du COVID-19. À mon sens, tout débute avec les attentats de New York le 11 septembre 2001. Viendront ensuite la crise économique des subprimes en 2008 puis des attentats en France en 2015. Il s’agit là d’événements qui ont suscité de la peur d’abord, puis de la colère, jusqu’à, parfois, de la haine.N’oublions pas que « les Contis » en 2008-2009, (les employés de Continental, NDLR) ont mis le feu à leur outil de production pour dire leur refus de perdre leur emploi. On est alors face à une irruption de violence qui fait sortir du monde de la parole et entrer dans un schéma de guerre. Depuis, on s’habitue. Non seulement la colère est devenue une valeur, ce qu’elle n’est pas normalement, mais encore elle a acquis le droit de devenir une passion violente.Colère et violence ne sont pas les mêmes choses…M. E. : Effectivement. La colère (1) est une émotion qui a ses raisons, bonnes ou mauvaises, c’est une demande de reconnaissance qui se prétend justifiée. On peut donc imaginer en sortir par un processus de dialogue. La violence, elle, ne construit pas de relation, elle tend à transformer des adversaires en ennemis. Elle est une forme de manichéisme puisqu’elle veut montrer l’affrontement entre le Bien et le Mal, les dominants et les dominés.À lire aussi« La démocratie excède la légalité de l’ordre établi »Sur le plan politique, la violence verbale, que l’on observe croissante depuis une décennie, rétablit l’opposition Droite-Gauche. En ce sens, le macronisme qui propose un dépassement de ce clivage suscite indirectement la violence. On voit bien d’ailleurs que les opposants à Emmanuel Macron n’ont pas trouvé de moyen autre que la violence verbale pour le combattre.La responsabilité de la violence incombe donc aux opposants du Président ?M. E. : Non. Cette responsabilité est difficile à attribuer. Au départ, il y a un mécontentement, légitime en démocratie, contre la loi sur l’âge de la retraite. Son adoption par la procédure du 49.3 a transformé ce sentiment en furie quasi révolutionnaire. L’opinion est que les représentants du peuple ne les représentent pas ; même le Conseil Constitutionnel se trouve contesté. Les opposants ne reconnaissent plus le pouvoir en place et veulent « retourner » le système, renverser la table. C’est le même processus pour les méga bassines de Sainte Soline.Dès lors, quand une foule est constituée, l’effet de déresponsabilisation personnelle joue et la situation dégénère. La violence n’est pas entérinée sur le plan moral et n’est pas portée par quelqu’un de précis. C’est pourquoi la désescalade sera difficile à faire advenir. Quant aux casseurs organisés en black blocs, ils n’ont pas de projet de renversement du pouvoir mais de destruction du système politique. 

La Croix : L’image d’un cocktail enflammé jeté sur les CRS n’a pas suscité une indignation unanime. Comment l’expliquez-vous ?

Michel Erman : Les Français désapprouvent, c’est certain. Ils le font avec des mots, mais ils restent, c’est vrai, résignés face à cette violence. Ils n’en sont pas complices, mais font preuve d’une certaine indifférence à la souffrance d’autrui, alors qu’il y a là un homme, un policier en l’occurrence, qui, en faisant simplement son travail, se retrouve en péril de mort.

Lors du mouvement des gilets jaunes, une scène plus tragique avait eu lieu : une manifestante sur un rond-point était décédée après avoir été percutée par le véhicule d’une mère de famille qui amenait son enfant à l’hôpital. On aurait pu s’attendre à ce que le mouvement soit interrompu pour faire place au recueillement et au deuil. Or, cela n’avait pas eu lieu. Il me semble qu’on a franchi un cap à ce moment-là, car la non-condamnation est une forme de complaisance.

Qu’est-ce qui nourrit cette violence ? d’où vient-elle ?

M. E. : La colère sociale actuelle en est le terreau direct. Il s’agit d’un sentiment de rancœur très fort qui verse dans la répulsion et la haine, une haine dont le Président de la République est la cible privilégiée. On a d’ailleurs brûlé son effigie, ce qui est un acte symbolique très violent, voire cruel. L’incendiaire du groupe de policiers pousse la logique jusqu’au bout en dépersonnalisant les forces de l’ordre, en en faisant les suppôts de la Macronie. Il y a donc un glissement dangereux, rendu possible par un climat de passions tristes.

Comment expliquer ce climat ?

M. E. : Il remonte bien avant l’épisode du COVID-19. À mon sens, tout débute avec les attentats de New York le 11 septembre 2001. Viendront ensuite la crise économique des subprimes en 2008 puis des attentats en France en 2015. Il s’agit là d’événements qui ont suscité de la peur d’abord, puis de la colère, jusqu’à, parfois, de la haine.

N’oublions pas que « les Contis » en 2008-2009, (les employés de Continental, NDLR) ont mis le feu à leur outil de production pour dire leur refus de perdre leur emploi. On est alors face à une irruption de violence qui fait sortir du monde de la parole et entrer dans un schéma de guerre. Depuis, on s’habitue. Non seulement la colère est devenue une valeur, ce qu’elle n’est pas normalement, mais encore elle a acquis le droit de devenir une passion violente.

Colère et violence ne sont pas les mêmes choses…

M. E. : Effectivement. La colère (1) est une émotion qui a ses raisons, bonnes ou mauvaises, c’est une demande de reconnaissance qui se prétend justifiée. On peut donc imaginer en sortir par un processus de dialogue. La violence, elle, ne construit pas de relation, elle tend à transformer des adversaires en ennemis. Elle est une forme de manichéisme puisqu’elle veut montrer l’affrontement entre le Bien et le Mal, les dominants et les dominés.

Sur le plan politique, la violence verbale, que l’on observe croissante depuis une décennie, rétablit l’opposition Droite-Gauche. En ce sens, le macronisme qui propose un dépassement de ce clivage suscite indirectement la violence. On voit bien d’ailleurs que les opposants à Emmanuel Macron n’ont pas trouvé de moyen autre que la violence verbale pour le combattre.

La responsabilité de la violence incombe donc aux opposants du Président ?

M. E. : Non. Cette responsabilité est difficile à attribuer. Au départ, il y a un mécontentement, légitime en démocratie, contre la loi sur l’âge de la retraite. Son adoption par la procédure du 49.3 a transformé ce sentiment en furie quasi révolutionnaire. L’opinion est que les représentants du peuple ne les représentent pas ; même le Conseil Constitutionnel se trouve contesté. Les opposants ne reconnaissent plus le pouvoir en place et veulent « retourner » le système, renverser la table. C’est le même processus pour les méga bassines de Sainte Soline.

Dès lors, quand une foule est constituée, l’effet de déresponsabilisation personnelle joue et la situation dégénère. La violence n’est pas entérinée sur le plan moral et n’est pas portée par quelqu’un de précis. C’est pourquoi la désescalade sera difficile à faire advenir. Quant aux casseurs organisés en black blocs, ils n’ont pas de projet de renversement du pouvoir mais de destruction du système politique.

 

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