Read More Certains coloris sont en danger, alerte Michel Pastoureau. Ils sont dessaisis d’une part de leur identité historique au nom de la morale. À l’occasion de la parution de Blanc. Histoire d’une couleur, l’historien médiéviste Michel Pastoureau évoque le danger qui guette certains coloris, dessaisis de toute une part de leur identité historique
au nom d’une nouvelle morale.
Blanc, Histoire d’une couleur, de Michel Pastoureau,
Seuil, 240 p., 39,90 € Après vos ouvrages consacrés au bleu, au noir, au vert, au rouge et au jaune, vous venez de publier Blanc. Histoire d’une couleur. Y a-t-il une logique à cette série ?
Michel Pastoureau J’ai commencé cette série il y a maintenant vingt-trois ans avec la couleur qui était la plus facile à traiter pour l’historien, le bleu. Il pose un problème d’inversion des valeurs passionnant. C’est une couleur que les Grecs et les Romains n’aiment pas. Ils la considèrent comme celle des barbares.
Or, aujourd’hui, c’est la couleur préférée des Européens, loin devant toutes les autres. Une personne sur deux, partout en Europe, a le bleu pour couleur préférée. Pour l’historien que je suis, il était passionnant d’étudier ce renversement de valeurs au fil des siècles. Par la suite, en fonction de l’avancée de mes recherches, j’ai fait paraître les cinq autres volumes de la série : Noir, Vert, Rouge, Jaune et enfin Blanc.
Il va sans dire que ces livres ne sont monographiques qu’en apparence. Quand j’écris sur le bleu ou sur le vert, j’écris bien entendu sur toutes les autres couleurs. Je pensais que le blanc me poserait plus de problèmes, que je disposerais de moins de documents le concernant, mais cela n’a pas été le cas. Le blanc est une couleur à part entière.
LIRE AUSSI / UN NOUVEL OBJET D’HISTOIRE : LA COULEUR
Vous vous centrez sur l’histoire de la couleur blanche en Europe car, en fonction des civilisations, des pays, les couleurs n’ont pas la même signification…
Michel Pastoureau Effectivement, la façon de penser, de coder et même de fabriquer les couleurs varie beaucoup dans le temps et dans l’espace. Du point de vue symbolique, tout est culturel, rien n’est universel. C’est ce pourquoi je me limite à l’Europe occidentale, du paléolithique à nos jours, en m’appuyant sur mes propres recherches. Les problèmes de la couleur sont toujours des problèmes de société. Or je ne peux évidemment pas connaître et étudier de première main toutes les sociétés de la planète.
Le blanc est vu comme pacificateur dans des contextes belliqueux, est-ce la qualité première prêtée à ce coloris ?
Michel Pastoureau Du point de vue symbolique, l’idée dominante associée au blanc est l’idée de pureté, de propreté, de ce qui est sans souillure. Dans les sociétés très anciennes, le noir représente ce qui est sale, le blanc ce qui est propre, et le rouge ce qui est teint. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser trop facilement, le blanc et le noir n’ont pas toujours formé un couple de contraires.
Durant l’Antiquité et une bonne partie du Moyen Âge, le contraire du blanc est plus fréquemment le rouge que le noir. C’est l’époque moderne, avec la diffusion de l’imprimerie et de l’image gravée, qui a fait du blanc et du noir un couple de contraires omniprésent dans la culture matérielle. Cela n’était pas toujours le cas dans les sociétés anciennes.
LIRE AUSSI / LE QUOTIDIEN EN COULEURS DE MICHEL PASTOUREAU
Vous avez rencontré un grand succès avec Bleu, Noir, etc. Comment s’est passée la réception publique de Blanc ?
Michel Pastoureau La vedette de cette série consacrée aux couleurs est effectivement mon Bleu. C’est la couleur préférée de la moitié de mes lecteurs. Blanc. Histoire d’une couleur est le sixième volume. Il est paru au mois d’octobre 2022 simultanément en français, en anglais et en italien. Plus que la traduction du texte, ce qui m’a frappé et posé problème a été le choix de la jaquette de l’édition américaine. Pour les volumes antérieurs, j’avais toujours choisi une image de femme: la Vierge, une princesse du XVIIe siècle, Ava Gardner, Jane Fonda.
Pour Blanc, j’ai porté mon choix sur Audrey Hepburn vêtue d’une robe blanche. C’était une image tirée du film Vacances romaines de William Wyler. Mais l’éditeur américain a refusé cette image. Il m’a demandé d’y renoncer car un livre consacré au blanc et représentant sur la couverture une femme blanche vêtue de blanc passerait aux États-Unis pour une provocation. Je tombais des nues, ignorant qu’une femme blanche ne devait pas se vêtir de blanc. J’ai donc proposé de faire figurer sur la jaquette une femme noire habillée de blanc.
L’éditeur m’a répondu que ce serait pire. En Europe, nous n’avons pas idée de ce que les mots « noir » et « blanc » sont devenus aux États-Unis des mots idéologiques et politiques, impossibles à employer dans un sens neutre ou purement chromatique. Cela rejoint ce que me rapportent souvent des collègues ou des amis enseignant outre-Atlantique. Il y devient très difficile d’enseigner l’histoire, car les étudiants ne font plus la distinction entre le présent et le passé, même lointain. Ils jugent ce passé à l’aune des valeurs et des morales du présent et dénoncent l’homme blanc, qui a toujours voulu dominer le monde…
Mon éditeur souhaitait donc que j’ajoute quelques pages à mon Blanc pour expliquer ce qu’étaient le racisme et les enjeux autour des couleurs de la peau… LIRE LA SUITE
Publié dans laRevue des Deux Mondesfévrier
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🔸 Michel #Pastoureau : Les couleurs sont-elles devenues des objets dangereux ? »
Certains coloris sont en danger, alerte Michel Pastoureau. Ils sont dessaisis d’une part de leur identité historique au nom de la morale. #histoire #art #entretienhttps://t.co/kgjxDEkagf
— Revue des 2 Mondes (@Revuedes2Mondes) February 20, 2023
Certains coloris sont en danger, alerte Michel Pastoureau. Ils sont dessaisis d’une part de leur identité historique au nom de la morale.
À l’occasion de la parution de Blanc. Histoire d’une couleur, l’historien médiéviste Michel Pastoureau évoque le danger qui guette certains coloris, dessaisis de toute une part de leur identité historique
au nom d’une nouvelle morale.
Blanc, Histoire d’une couleur, de Michel Pastoureau,
Seuil, 240 p., 39,90 €
Après vos ouvrages consacrés au bleu, au noir, au vert, au rouge et au jaune, vous venez de publier Blanc. Histoire d’une couleur. Y a-t-il une logique à cette série ?
Michel Pastoureau J’ai commencé cette série il y a maintenant vingt-trois ans avec la couleur qui était la plus facile à traiter pour l’historien, le bleu. Il pose un problème d’inversion des valeurs passionnant. C’est une couleur que les Grecs et les Romains n’aiment pas. Ils la considèrent comme celle des barbares.
Or, aujourd’hui, c’est la couleur préférée des Européens, loin devant toutes les autres. Une personne sur deux, partout en Europe, a le bleu pour couleur préférée. Pour l’historien que je suis, il était passionnant d’étudier ce renversement de valeurs au fil des siècles. Par la suite, en fonction de l’avancée de mes recherches, j’ai fait paraître les cinq autres volumes de la série : Noir, Vert, Rouge, Jaune et enfin Blanc.
Il va sans dire que ces livres ne sont monographiques qu’en apparence. Quand j’écris sur le bleu ou sur le vert, j’écris bien entendu sur toutes les autres couleurs. Je pensais que le blanc me poserait plus de problèmes, que je disposerais de moins de documents le concernant, mais cela n’a pas été le cas. Le blanc est une couleur à part entière.
LIRE AUSSI / UN NOUVEL OBJET D’HISTOIRE : LA COULEUR
Vous vous centrez sur l’histoire de la couleur blanche en Europe car, en fonction des civilisations, des pays, les couleurs n’ont pas la même signification…
Michel Pastoureau Effectivement, la façon de penser, de coder et même de fabriquer les couleurs varie beaucoup dans le temps et dans l’espace. Du point de vue symbolique, tout est culturel, rien n’est universel. C’est ce pourquoi je me limite à l’Europe occidentale, du paléolithique à nos jours, en m’appuyant sur mes propres recherches. Les problèmes de la couleur sont toujours des problèmes de société. Or je ne peux évidemment pas connaître et étudier de première main toutes les sociétés de la planète.
Le blanc est vu comme pacificateur dans des contextes belliqueux, est-ce la qualité première prêtée à ce coloris ?
Michel Pastoureau Du point de vue symbolique, l’idée dominante associée au blanc est l’idée de pureté, de propreté, de ce qui est sans souillure. Dans les sociétés très anciennes, le noir représente ce qui est sale, le blanc ce qui est propre, et le rouge ce qui est teint. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser trop facilement, le blanc et le noir n’ont pas toujours formé un couple de contraires.
Durant l’Antiquité et une bonne partie du Moyen Âge, le contraire du blanc est plus fréquemment le rouge que le noir. C’est l’époque moderne, avec la diffusion de l’imprimerie et de l’image gravée, qui a fait du blanc et du noir un couple de contraires omniprésent dans la culture matérielle. Cela n’était pas toujours le cas dans les sociétés anciennes.
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Vous avez rencontré un grand succès avec Bleu, Noir, etc. Comment s’est passée la réception publique de Blanc ?
Michel Pastoureau La vedette de cette série consacrée aux couleurs est effectivement mon Bleu. C’est la couleur préférée de la moitié de mes lecteurs. Blanc. Histoire d’une couleur est le sixième volume. Il est paru au mois d’octobre 2022 simultanément en français, en anglais et en italien. Plus que la traduction du texte, ce qui m’a frappé et posé problème a été le choix de la jaquette de l’édition américaine. Pour les volumes antérieurs, j’avais toujours choisi une image de femme: la Vierge, une princesse du XVIIe siècle, Ava Gardner, Jane Fonda.
Pour Blanc, j’ai porté mon choix sur Audrey Hepburn vêtue d’une robe blanche. C’était une image tirée du film Vacances romaines de William Wyler. Mais l’éditeur américain a refusé cette image. Il m’a demandé d’y renoncer car un livre consacré au blanc et représentant sur la couverture une femme blanche vêtue de blanc passerait aux États-Unis pour une provocation. Je tombais des nues, ignorant qu’une femme blanche ne devait pas se vêtir de blanc. J’ai donc proposé de faire figurer sur la jaquette une femme noire habillée de blanc.
L’éditeur m’a répondu que ce serait pire. En Europe, nous n’avons pas idée de ce que les mots « noir » et « blanc » sont devenus aux États-Unis des mots idéologiques et politiques, impossibles à employer dans un sens neutre ou purement chromatique. Cela rejoint ce que me rapportent souvent des collègues ou des amis enseignant outre-Atlantique. Il y devient très difficile d’enseigner l’histoire, car les étudiants ne font plus la distinction entre le présent et le passé, même lointain. Ils jugent ce passé à l’aune des valeurs et des morales du présent et dénoncent l’homme blanc, qui a toujours voulu dominer le monde…
Mon éditeur souhaitait donc que j’ajoute quelques pages à mon Blanc pour expliquer ce qu’étaient le racisme et les enjeux autour des couleurs de la peau…[…] LIRE LA SUITE
Publié dans la
Revue des Deux Mondes
février
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