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Port du voile et JO de Paris : « Amnesty International préfère la différence à l’égalité »

Tribune parue dans Marianne du 26 juillet 2024

David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), et Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques, ont réagi au cas de l’athlète française Sounkamba Sylla, sélectionnée dans l’équipe d’athlétisme, interdite de porter son voile pour la cérémonie d’ouverture et les épreuves. « Nous sommes totalement alignés entre l’État et le CNOSF », assure l’ancien patron du cyclisme mondial.« L’équipe de France olympique concourt à une mission de service public. Elle est astreinte à la laïcité. Ce n’est peut-être pas compréhensible dans d’autres pays, mais c’est ce qui fait notre ADN, ici en France. Cette laïcité qui permet de respecter les croyances des uns et des autres, et qui permet bien sûr qu’en dehors de la représentation officielle, chacun soit libre de vivre comme il le souhaite dans le respect des lois. » Avant d’ajouter : « On a le souhait que tous les athlètes puissent participer à la cérémonie d’ouverture. »

C’est d’ailleurs ce qui va se passer puisqu’elle pourra finalement y participer sans voile, mais avec une casquette. C’est dans ce contexte que l’ONG Amnesty International, dans un rapport publié le 16 juillet dernier, en raison du refus de la France d’autoriser le port du hijab à ses athlètes françaises lors des JO, l’accuse de « discrimination raciale fondée sur le sexe ». On doit reconnaître à cette démarche un certain degré d’ignorance ou de mauvaise foi, relayé curieusement par bien des médias en France. De quoi est-il question derrière les apparences trompeuses de cette mise en accusation ?

On explique dans ce rapport que nous sommes le seul pays au monde à imposer cette neutralité. On pourrait avoir raison tout seul, mais il se trouve que cette affirmation est fausse. La règle 50.2 de la Charte olympique, qui concerne tous les pays participants, dit clairement qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». On a dérogé à cette règle il est vrai à partir de 1996 lorsqu’aux Jeux d’Atlanta, le Comité international olympique (CIO) a cédé à la République islamique d’Iran en acceptant une première athlète voilée. La règle continue néanmoins d’exister et a même été rappelée récemment dans un guide édité par le CIO. Cette neutralité est dans l’esprit de la trêve olympique, comme la voyaient les anciens Grecs, les discordes identitaires qui font les différends jusqu’aux guerres devant s’effacer pour laisser la place à la seule devise qui vaille, celle des JO modernes, « plus vite, plus haut, plus fort – ensemble ».

Ce procès en discrimination de la France d’Amnesty international est dû à ce que l’ONG fasse prévaloir la logique de différence sur celle de l’égalité, contrairement à notre République. Nous sommes le pays qui, en raison des nombreuses révolutions populaires dont il a été le théâtre (1789-1830-1848-1871, 1936…) a vu la « loi du nombre », le peuple, devenir la source du pouvoir politique, des citoyens égaux par-delà leurs particularismes, porteurs de l’intérêt général. C’est ainsi que la France est devenue la nation qu’elle est. Rappelons qu’au sens moderne du terme, « la nation » signifie la liberté pour le peuple de disposer du pouvoir d’État en s’érigeant en corps politique souverain, d’où la notion « d’État-nation ».

L’État est devenu laïque, c’est-à-dire séparé des religions, pour garantir ce principe politique fondamental, qui n’existe nulle part ailleurs à ce niveau. L’égalité, c’est aussi le principe de l’État unitaire qui en découle, qui garantit l’existence d’une même loi pour tous, grand acquis de la Révolution française, et non chacun ses droits selon sa différence.

C’est l’idée de droits naturels de l’Homme, comme énoncé dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui fait qu’en raison de l’appartenance à l’espèce humaine, on considère que tous dès leur naissance doivent bénéficier des mêmes droits. Elle garantit aussi la liberté des convictions dont religieuses (art. 10), tant que cela ne vient pas s’opposer à la liberté d’autrui, car les droits sont aussi des devoirs.

Une égalité qui s’est affirmée indépendamment de l’origine, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle… Et il n’y a rien de plus contraire à ce principe que la logique de séparation communautaire à laquelle mènent les signes religieux ostensibles s’insinuant partout. C’est le propre d’autres démocraties, organisées sur le mode du multiculturalisme avec son corollaire, le communautarisme, qui aliène l’individu à une logique d’intérêts clientélistes, privatisant ses libertés et ses droits. Ne parlons pas de ces pays où le religieux est dans l’État, où les libertés sont restreintes parfois jusqu’à l’oppression.

Mais aussi, c’est ce principe d’égalité qui a poussé dans le sens de l’égalité réelle notre république pour en faire une république sociale, avec la conquête de droits sociaux comme il n’en existe nulle part ailleurs non plus, de la Sécurité sociale au Code du travail. C’est ce sens de l’intérêt général que l’on retrouve dans des services publics à la française, uniques au monde aussi, qui s’inscrivent dans le principe de laïcité, dont les Fédérations sportives en cause font partie. Ce qu’a rappelé le Conseil d’État dans sa décision concernant les hidjabeuses qu’il a déboutées de leur volonté de porter le voile lors des matchs de foot. En défendant la laïcité, n’oublions pas que l’on défend ces droits sociaux.

La République a été le fruit de la rupture avec un ordre ancien inégalitaire justifié par la religion, elle est née de cette rupture entre un droit dit et s’imposant au nom du divin, à un droit fait par les hommes pour les hommes, au nom de tous. C’est une fierté, car notre histoire est celle d’une société qui a su s’écarter de l’encadrement des religions, ce qui ne retire rien à la liberté de croire ou pas, en protégeant par des lois laïques la liberté du citoyen, qui se trouve avant tout dans l’égalité des droits, des droits humains.

C’est sur ces derniers qu’il y a encore à faire progresser la cause, en construisant un corpus de valeurs et de principes portés au-dessus des particularismes, pour garantir à chaque personne sa liberté. La question de la lutte contre les discriminations ne doit pas importer l’acceptation de toute différence au nom de la diversité des cultures, derrière quoi bien des malheurs se passent, mais une lutte au service de plus d’égalité et ainsi, d’universalisme, plus d’unité, de protection, définissant un humanisme qui puisse éclairer la voie vers un monde de paix et du bonheur pour tous. C’est le sens des JO qui rassemblent le monde autour de très belles valeurs. La France comme « République laïque et sociale » n’est jamais qu’à l’avant-garde de ce mouvement.

Image de Guylain Chevrier

Guylain Chevrier