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Pour en finir avec les bêtises sur la liberté académique

Pour en finir avec les bêtises sur la liberté académique

Nathalie Heinich

Chercheuse, sociologue

On parle beaucoup en ce moment de « liberté académique », mais c’est surtout pour en dire des bêtises, qu’un peu de bon sens et de connaissance de la question devrait suffire à évacuer.

Ainsi, les agents du CNRS ont reçu le 23 mai un tract syndical du SNTRS-CGT intitulé « Le CNRS doit être le garant de la liberté d’expression publique des scientifiques ». Il y est indiqué que « Nous sommes de plus en plus sollicité·es pour défendre des collègues qui sont entravé∙es dans leur travail de recherche, au nom du fait qu’ils ou elles signent des textes politiques » (en tout cas les syndicalistes ne sont manifestement pas entravés dans leur utilisation de l’écriture inclusive…).

D’où une première question aux valeureux syndicalistes de l’ESR : en quoi, à leurs yeux, le fait de signer des textes politiques relève-t-il du travail de recherche ? Ont-ils jamais fait la différence, d’une part, entre la recherche scientifique et l’engagement politique et, d’autre part, entre le contexte académique et le contexte de l’espace public ? Et si cette différence n’est jamais parvenue à leur entendement, pensent-ils avoir vraiment leur place dans un organisme de recherche ?

On y lit également : « Dans un contexte de criminalisation sans précédent de certaines prises de position politiques ou scientifiques qui mène des journalistes à parler de ʺmaccarthysme à la françaiseʺ, nous pensons qu’il est essentiel de nous soucier et de défendre collectivement notre liberté d’expression et notre liberté d’engagement, en tant que scientifiques. »

D’où une deuxième question : ont-ils jamais fait la différence entre la « liberté d’expression », qui est octroyée par principe à tout citoyen dans les limites de la loi (la « liberté d’engagement » ne relevant que du for intérieur, et n’ayant donc pas à être soumise à une quelconque régulation), et la « liberté académique », qui ne concerne que les personnels sélectionnés pour produire et transmettre des connaissances, à l’exclusion donc d’autres agents pouvant être concernés par l’ESR (étudiants, agents administratifs) mais n’y assumant pas de responsabilités scientifiques ? Ont-ils conscience que la liberté académique n’a de sens que pour la production et la transmission des connaissances, donc dans le respect des contraintes très strictes imposées par les règles de rigueur scientifique et le jugement des pairs – et que, par conséquent, cette liberté académique est l’inverse même de la liberté de dire tout ce qui nous passe par la tête, contrairement à la liberté d’expression ? Les auteurs de ce tract ont-ils suffisamment de jugeote pour comprendre que le fait qu’on soit un « scientifique » n’implique pas que nos prises de position publiques dans la presse ou dans la rue soient le moins du monde protégées par la liberté académique, contrairement à ce que croient ceux qui aimeraient tant cumuler le beurre de l’engagement politique avec l’argent du beurre de la protection fonctionnelle ?

D’où une question subsidiaire : ces journalistes qui crient au « maccarthysme », connaissent-ils quoi que ce soit à la définition de la liberté académique ? Quelle confiance peut-on leur faire ? Et ont-ils jamais réfléchi à la différence entre la mainmise du pouvoir politique sur le monde scientifique et le contrôle par les pairs de la qualité des productions issues du monde académique ? Sont-ils capables de faire la différence entre un ministre et un enseignant-chercheur ? On en doute – et dans le doute, s’abstenir de reprendre aveuglément leurs inepties.

Ce tract fait en outre référence à un précédent tract (n° 635) du 25 mars 2024, intitulé « Menaces sur la liberté scientifique et la liberté d’expression dans l’Enseignement supérieur et la Recherche », où l’on retrouve les mêmes bêtises. Il se conclut par ces mots : « Le SNTRS-CGT ne se laissera pas intimider et continuera à promouvoir la liberté d’expression et les valeurs humanistes, émancipatrices et anti-colonialistes que porte la CGT. » Eh bien, laissons ce syndicat défendre ces magnifiques valeurs, que nous sommes nombreux à partager ; mais qu’il les défende dans les sphères qui le concernent – les rues de nos villes et les journaux sont là pour ça – mais qu’il s’abstienne de prétendre régenter la vie académique, dont les principes et les valeurs – au premier rang desquelles la valeur de la science – lui demeurent manifestement étrangères.

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