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Quand Sciences Po’ tambouille le genre, la littérature et la politique…

Madame Réjane Sénac est docteure de l’IEP de Paris en science politique spécialisée en  « pensée politique ». Diplômée d’un master 2 de droit et d’un master 1 de philosophie de l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne, elle est surtout membre du comité de direction des savoirs sur le genre – PRESAGE – et du Conseil scientifique de la Cité du genre – USPC.  Très influente au sein de Sciences Po, où il se dit qu’elle pourrait accéder à la direction, elle vient d’inscrire un nouvel étudiant en thèse de doctorat sur le « récit de soi » et les mouvements « queer-féministes ».

Pour ceux qui pourraient s’interroger sur le lien évident entre « Sciences politiques » et « récit de soi queer-féministe », on répondra … qu’on ne sait pas.

Pourtant, comme tout travail de recherche, ce dernier a fait l’objet d’une réflexion en amont, et d’une présentation devant l’école doctorale. Ce travail de thèse va donc s’intéresser à « l’écriture engagée queer-féministe et à son rôle dans les mouvements sociaux contemporains » (sic). Gageons que cette thèse trouvera bientôt sa place dans le second volume d’analyse des « écritures engagées »….

L’objectif avoué du projet tourne autour de ce que son auteur appelle « les récits d’expérience ». Suivant cette mode qui a fait de l’égotisme à la Stendhal et du récit autobiographique le centre de gravité de toute intelligence — permettant à n’importe quel récit d’accéder au statut d’œuvre d’art à parts égales avec Montaigne — le chercheur propose de croiser les méthodes en littérature comparée et en théorie politique afin « d’enquêter sur l’affirmation d’un sujet politique fluide, c’est-à-dire anti-identitaire, qui apparaît dans les mobilisations queer-féministes contemporaines à travers la forme esthétique autothéorique. »

Passons.

La littérature comparée, rappelons-le, qui avait un temps pour objet de travailler à l’émergence de prototypes légendaires à travers la comparaison — en langues originales — de littératures variées s’épuise vainement ici au service d’une enquête qui postule que tout récit est littéraire. Confondant littérature et mémoire, archive et style, la notion centrale y est « le récit personnel ». Son corpus semble être un amoncellement de témoignages et d’enquêtes de personnes actives dans des mouvements politiques. Que peut-il ressortir de cette énième étude sur l’activisme du genre ? La conclusion est dans la description : 

Notre objectif sera notamment d’identifier quel est le rôle du récit personnel sous sa forme dite « autothéorique » dans la construction d’une subjectivité queer-féministe. Participe-t-il à ce que la philosophe Wendy Brown appelle « les politiques de l’identité », fondées sur la narration de la blessure individuelle ? Le récit de soi, porté par une voix collective et plurielle, est-il au contraire une technique de désidentification queer, une façon de revendiquer une subjectivité fluide caractérisée par l’action collective ?    

Tous les marqueurs du politiquement correct sont alignés. Remet-on en cause le « récit de soi » ? Envisage-t-on un instant ce que Philippe Lejeune appelait lui-même le « pacte autobiographique » ? Est-il permis de rappeler que ledit « pacte » est fondé sur le mensonge littéraire, et sur la part incontournable de mensonge que comporte le simple fait de choisir une parole pour soi, et sur soi ? Est-il permis de rappeler la part de fiction que comporte toute « auto-fiction » ? Se peut-il que ces récits puissent être « insincères » ? Peut-on pousser l’analyse jusqu’à soupçonner « d’insincérité » les personnes enquêtées ? On se doute bien que non, car l’idée même de faire appel à la notion de « récit personnel » sous-entend la parole sincère. De la poétique de soi, il n’est pas question. Toutes les avancées littéraires qui ont fait l’âge d’or du structuralisme sont évacuées au profit d’une recherche dont on voit au contraire qu’elle postule la sincérité du récit, « sincère témoignage » d’un engagement « sincère » et « fluide » au sein des mouvements activistes néo-progressistes. La fable, la légende et le mythe ne seront évoqués que pour confirmer les preuves de sincérité de la « théorie politique ». C’est que la théorie du genre, qui n’est qu’une grille de lecture pré-construite, cherche partout à s’appliquer. Elle trouve dans la part du récit un terrain de prédation tout trouvé. « Parlez-moi de moi, ma vie, mon œuvre » : cette injonction trouvera toujours un grand nombre de réponses dont on peut collecter à l’infini les variations. 

La littérature est une discipline, qui nécessite du recul. J’avais autrefois écrit dans ces colonnes un article intitulé : « Nous (les littéraires) sommes les avocats des morts ». J’y défendais l’idée que la littérature est la science du discours des morts, et l’étude des questions laissées en suspens pour l’éternité par les grands hommes dont les récits, qui ne sont pas forcément personnels, subsistent dans la culture au point de la définir. La littérature n’est pas une collection de discours. La théorie politique n’est pas une collection de discours. À vouloir faire des théories du genre l’alpha et l’oméga des sciences politiques, Sciences po’ finira par démontrer ce que nous savons tous déjà depuis longtemps : ce type de travaux est un pur exercice d’application, un exercice de conformation idéologique. Mais, finalement, c’est peut-être ainsi que les personnes de Sciences po’ définissent la « théorie politique » ? Un exercice de conformation idéologique. 

Reste à savoir qui, au sein de l’Institution, donne les orientations, des financiers ou des chercheurs ?

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Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC