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Que je ne saurais voir : épisode 4/4 du podcast L’Art est le méconnu

Que je ne saurais voir : épisode 4/4 du podcast L’Art est le méconnu

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  C’est le cas, par exemple, depuis 1945, de la plupart des œuvres d’art commandées ou appréciées par les nazis, même quand leur sujet ne touche pas aux obsessions destructrices du nazisme.
Mais, plus récemment, le problème de l’exposition des œuvres d’art au musée est soulevé, à nouveau frais, dans les cas, nombreux, où celles-ci heurtent notre sensibilité contemporaine. Peut-on exposer des œuvres d’art du passé quand leur contenu parait explicitement raciste ou bien dégradant pour les femmes ?
Assez récemment (2018), la conservatrice de la Manchester National Gallery a fait retirer des cimaises un tableau du peintre pré-raphaélite John William Waterhouse, dont le sujet, Hylas se baignant parmi les nymphes, était jugé sexiste. Il ne s’agissait en fait que d’une performance, voulue par l’artiste Sonia Boyce, et destinée à faire réagir le public. Les réactions, en effet, n’ont pas manqué, donnant lieu à un vif débat populaire en Angleterre.
Hylas et les Nymphes, 1896 – huile sur toile – 132,1 × 197,5 cm Photo Manchester Art Gallery – John William Waterhouse (1849-1917)
Caroline Ibos « Je ne pense pas que l’objectivité soit neutre mais que l’objectivité du musée est en réalité une objectivité de la domination masculine. »
Le conflit de sensibilités, entre jugement esthétique et jugement culturel et politique, tel qu’il s’exprime au musée, n’en est qu’à ses prémices et sera sans aucun doute une des grandes questions à laquelle l’institution aura à répondre dans les années à venir.
Pour en parler, Bruno Nassim Aboudrar, professeur d’histoire et théorie de l’art, producteur de cette série sur « L’Art est le méconnu », reçoit Caroline Ibos, sociologue du politique et du genre, professeure à l’Université Paris 8, autrice de plusieurs contributions sur les liens entre genre et art, Anne Lafont, historienne de l’art, directrice de recherche à l’EHESS, autrice notamment de L’Art et la race. L’Africain (tout) contre l’œil des Lumières (2019), et François Mairesse, muséologue, titulaire de la Chaire UNESCO pour l’étude de la diversité muséale et professeur à l’Université de la Sorbonne Nouvelle.
François Mairesse « Les musées et les bibliothèques ont pour vocation de montrer et en même temps, comme disait Umberto Eco dans De Bibliotheca : « La bibliothèque, c’est aussi pour cacher un certain nombre d’ouvrages ». On peut donc dire la même chose pour les musées. »
François Mairesse « C’est le rôle du conservateur qui va véritablement désigner, et pendant très longtemps, ce fut le rôle du musée que de désigner, de nommer, de reconnaître et d’inventer des objets —  notamment dans les musées d’histoire naturelle […]. Mais ce qu’il est important de voir, c’est que ces dénominations, y compris dans l’histoire naturelle, peuvent évoluer au fil des années. Et ce qui est très intéressant d’observer, c’est que parfois une dénomination va chasser l’autre, notamment pour des perspectives qui sont celles de la censure. »
Portrait de Jean-Baptiste Belley (s’appuyant sur un buste de l’abbé Raynal, 1798, Musée de l’Histoire de France, Versailles. – Girodet-Trioson
Anne Lafont C’est un très beau portrait [Portrait de Jean-Baptiste Belley] qui a été exposé une première fois en 1797, l’année même où il a été terminé par l’artiste, mais dans une petite exposition privée au palais de l’Élysée et par une société de gens de lettres. Le titre était « Portrait d’un nègre ». Or, il y avait une conscience, dès la fin du XVIIIᵉ siècle, que l’idée même d’associer un être humain à un nègre était dénigrant : c’était une manière de l’associer à une statue d’esclave. Et un an plus tard, on expose exactement le même portrait et s’intitule « Citoyen le citoyen Bellet, en habit de représentant de la République ».
Caroline Ibos « Je pense à cette esquisse de Manet : Enfants aux Tuileries. On voit une nourrice qui est quasiment au premier plan, mais on ne la nomme pas. Donc effectivement, il y a des dispositifs d’invisibilisation sociale que l’on retrouve, me semble-t-il, dans la question de ce que l’on nomme et de ce que l’on ne nomme pas dans les musées. »
Enfants aux tuileries, huile sur toile, 1861-1862, Musée de Rhode Island. – Edouard Manet
Caroline Ibos « Est-ce qu’un musée antiraciste, c’est un musée qui cache ce qu’a été le racisme, et le racisme dans l’art ? Ou est-ce que c’est un musée qui vient problématiser et qui permet justement d’interroger cette violence de race ou cette violence de genre ? […] Les tableaux ne sont pas dangereux en eux-mêmes. Tout dépend de comment on les montre, quel est le dispositif pour les montrer. »
Le châtiment des quatre piquets, 1843, The Menil Foundation Collection, Houston – Marcel Verdier
Anne Lafont « Les dispositifs professionnels des musées doivent accompagner la compréhension de ces images-là. Et plus on s’en emparera, même dans le conflit de ces images, plus elles seront neutralisées, c’est-à-dire neutralisées dans leur charge agressive. »
François Mairesse « C’est un des rôles principal et historique du musée, en tout cas du musée scientifique, que d’objectiver. […] Et je pense qu’il y a encore ce rôle qui, d’une certaine manière, est partiellement combattu, et de plus en plus. C’est aussi lié à notre rapport aux sciences modernes qui est en train de se transformer et qui amène à la contestation de ce regard objectif qui, tout au long du XIXᵉ siècle, a créé des objets, y compris de corps humains qui étaient présentés comme des objets, du fait justement de ce rapport à la science. »
Caroline Ibos « Je pense qu’à l’Assemblée nationale, une fresque qui vient commémorer l’abolition de l’esclavage ne doit pas avoir besoin de cartel. Je pense qu’on doit pouvoir s’en saisir immédiatement comme d’une célébration de l’abolition de l’esclavage. Or, là [avec l’œuvre d’Hervé], ce n’est pas le cas parce que non seulement ils [visages représentés] ont des grosses lèvres rouges, des yeux exorbités, mais ils ont aussi la peau noire. […]  La question est : qu’est-ce que vient faire cette représentation à l’Assemblée nationale ? Une représentation qui est très stéréotypée, avec deux figures qu’on lit immédiatement avec la culture populaire par le prisme de Banania. »
L’oeuvre d’Hervé Di Rosa, exposée à l’Assemblée nationale depuis 1991, est mise en cause par les antiracistes. – Hervé Di Rosa
Pour aller plus loin➢ A propos de Caroline Ibos
➢ A propos d’Anne Lafont
Ses pages de présentation sur le site de l’EHESS, sur wikipedia, et sur le site de la Villa Albertine. A visionner, sa conférence de rentrée (2020) au Collège de France, Que fait l’art africain à la notion de civilisation ? (chaîne You tube du Collège de France). Sa bibliographie aux éditions des Presses du Réel, et notamment son ouvrage paru en 2019, L’art et la race – l’Africain (tout) contre l’oeil des Lumières. A noter également, son ouvrage paru en 2022, co-écrit avec François-Xavier Fauvelle, historien, archéologue et professeur au Collège de France, L’Afrique et le monde : histoires renouées. De la Préhistoire au XXIe siècle (édition de la Découverte). ➢ A propos de François Mairesse
Ses pages de présentation sur le site de l’Université de la Sorbonne Nouvelle, sur le site du laboratoire du Cerlis (Centre de recherche sur les liens sociaux), sur wikipedia, sur le réseau Linkedin et sur le site Mêtis-lab. Ses publications sur le site Cairn.info, et notamment son récent ouvrage co-dirigé avec Fabien Van Geert, Médiation muséale, nouveaux enjeux, nouvelles formes (éditions de l’Harmattan, décembre 2022). Page présentant la chaire UNESCO de la Sorbonne Nouvelle pour l’étudede la diversité muséale et son évolution (site Muséosources). Deux vidéos : François Mairesse, le musée et la muséologie (chaîne You tube Mêtis) ou encore, Un Clic, un Titre #8 – Écrire la muséologie (chaîne You tube de l’Université Sorbonne Nouvelle). Extraits musicauxExtrait de  » Hamlet » de Peter Brook avec Adrien Lester (2002).  » Les vierges » créé et chanté par Yvette Guilbert (1907). 

C’est le cas, par exemple, depuis 1945, de la plupart des œuvres d’art commandées ou appréciées par les nazis, même quand leur sujet ne touche pas aux obsessions destructrices du nazisme.

Mais, plus récemment, le problème de l’exposition des œuvres d’art au musée est soulevé, à nouveau frais, dans les cas, nombreux, où celles-ci heurtent notre sensibilité contemporaine. Peut-on exposer des œuvres d’art du passé quand leur contenu parait explicitement raciste ou bien dégradant pour les femmes ?

Assez récemment (2018), la conservatrice de la Manchester National Gallery a fait retirer des cimaises un tableau du peintre pré-raphaélite John William Waterhouse, dont le sujet, Hylas se baignant parmi les nymphes, était jugé sexiste. Il ne s’agissait en fait que d’une performance, voulue par l’artiste Sonia Boyce, et destinée à faire réagir le public. Les réactions, en effet, n’ont pas manqué, donnant lieu à un vif débat populaire en Angleterre.

Hylas et les Nymphes, 1896 – huile sur toile – 132,1 × 197,5 cm Photo Manchester Art Gallery – John William Waterhouse (1849-1917)

Caroline Ibos « Je ne pense pas que l’objectivité soit neutre mais que l’objectivité du musée est en réalité une objectivité de la domination masculine. »

Le conflit de sensibilités, entre jugement esthétique et jugement culturel et politique, tel qu’il s’exprime au musée, n’en est qu’à ses prémices et sera sans aucun doute une des grandes questions à laquelle l’institution aura à répondre dans les années à venir.

Pour en parler, Bruno Nassim Aboudrar, professeur d’histoire et théorie de l’art, producteur de cette série sur « L’Art est le méconnu », reçoit Caroline Ibos, sociologue du politique et du genre, professeure à l’Université Paris 8, autrice de plusieurs contributions sur les liens entre genre et art, Anne Lafont, historienne de l’art, directrice de recherche à l’EHESS, autrice notamment de L’Art et la race. L’Africain (tout) contre l’œil des Lumières (2019), et François Mairesse, muséologue, titulaire de la Chaire UNESCO pour l’étude de la diversité muséale et professeur à l’Université de la Sorbonne Nouvelle.

François Mairesse « Les musées et les bibliothèques ont pour vocation de montrer et en même temps, comme disait Umberto Eco dans De Bibliotheca : « La bibliothèque, c’est aussi pour cacher un certain nombre d’ouvrages ». On peut donc dire la même chose pour les musées. »

François Mairesse « C’est le rôle du conservateur qui va véritablement désigner, et pendant très longtemps, ce fut le rôle du musée que de désigner, de nommer, de reconnaître et d’inventer des objets —  notamment dans les musées d’histoire naturelle […]. Mais ce qu’il est important de voir, c’est que ces dénominations, y compris dans l’histoire naturelle, peuvent évoluer au fil des années. Et ce qui est très intéressant d’observer, c’est que parfois une dénomination va chasser l’autre, notamment pour des perspectives qui sont celles de la censure. »

Portrait de Jean-Baptiste Belley (s’appuyant sur un buste de l’abbé Raynal, 1798, Musée de l’Histoire de France, Versailles. – Girodet-Trioson

Anne Lafont C’est un très beau portrait [Portrait de Jean-Baptiste Belley] qui a été exposé une première fois en 1797, l’année même où il a été terminé par l’artiste, mais dans une petite exposition privée au palais de l’Élysée et par une société de gens de lettres. Le titre était « Portrait d’un nègre ». Or, il y avait une conscience, dès la fin du XVIIIᵉ siècle, que l’idée même d’associer un être humain à un nègre était dénigrant : c’était une manière de l’associer à une statue d’esclave. Et un an plus tard, on expose exactement le même portrait et s’intitule « Citoyen le citoyen Bellet, en habit de représentant de la République ».

Caroline Ibos « Je pense à cette esquisse de Manet : Enfants aux Tuileries. On voit une nourrice qui est quasiment au premier plan, mais on ne la nomme pas. Donc effectivement, il y a des dispositifs d’invisibilisation sociale que l’on retrouve, me semble-t-il, dans la question de ce que l’on nomme et de ce que l’on ne nomme pas dans les musées. »

Enfants aux tuileries, huile sur toile, 1861-1862, Musée de Rhode Island. – Edouard Manet

Caroline Ibos « Est-ce qu’un musée antiraciste, c’est un musée qui cache ce qu’a été le racisme, et le racisme dans l’art ? Ou est-ce que c’est un musée qui vient problématiser et qui permet justement d’interroger cette violence de race ou cette violence de genre ? […] Les tableaux ne sont pas dangereux en eux-mêmes. Tout dépend de comment on les montre, quel est le dispositif pour les montrer. »

Le châtiment des quatre piquets, 1843, The Menil Foundation Collection, Houston – Marcel Verdier

Anne Lafont « Les dispositifs professionnels des musées doivent accompagner la compréhension de ces images-là. Et plus on s’en emparera, même dans le conflit de ces images, plus elles seront neutralisées, c’est-à-dire neutralisées dans leur charge agressive.« 

François Mairesse « C’est un des rôles principal et historique du musée, en tout cas du musée scientifique, que d’objectiver. […] Et je pense qu’il y a encore ce rôle qui, d’une certaine manière, est partiellement combattu, et de plus en plus. C’est aussi lié à notre rapport aux sciences modernes qui est en train de se transformer et qui amène à la contestation de ce regard objectif qui, tout au long du XIXᵉ siècle, a créé des objets, y compris de corps humains qui étaient présentés comme des objets, du fait justement de ce rapport à la science. »

Caroline Ibos « Je pense qu’à l’Assemblée nationale, une fresque qui vient commémorer l’abolition de l’esclavage ne doit pas avoir besoin de cartel. Je pense qu’on doit pouvoir s’en saisir immédiatement comme d’une célébration de l’abolition de l’esclavage. Or, là [avec l’œuvre d’Hervé], ce n’est pas le cas parce que non seulement ils [visages représentés] ont des grosses lèvres rouges, des yeux exorbités, mais ils ont aussi la peau noire. […]  La question est : qu’est-ce que vient faire cette représentation à l’Assemblée nationale ? Une représentation qui est très stéréotypée, avec deux figures qu’on lit immédiatement avec la culture populaire par le prisme de Banania. »

L’oeuvre d’Hervé Di Rosa, exposée à l’Assemblée nationale depuis 1991, est mise en cause par les antiracistes. – Hervé Di Rosa

Pour aller plus loin

➢ A propos de Caroline Ibos

➢ A propos d’Anne Lafont

Ses pages de présentation sur le site de l’EHESS, sur wikipedia, et sur le site de la Villa Albertine. A visionner, sa conférence de rentrée (2020) au Collège de France, Que fait l’art africain à la notion de civilisation ? (chaîne You tube du Collège de France). Sa bibliographie aux éditions des Presses du Réel, et notamment son ouvrage paru en 2019, L’art et la race – l’Africain (tout) contre l’oeil des Lumières. A noter également, son ouvrage paru en 2022, co-écrit avec François-Xavier Fauvelle, historien, archéologue et professeur au Collège de France, L’Afrique et le monde : histoires renouées. De la Préhistoire au XXIe siècle (édition de la Découverte).

➢ A propos de François Mairesse

Ses pages de présentation sur le site de l’Université de la Sorbonne Nouvelle, sur le site du laboratoire du Cerlis (Centre de recherche sur les liens sociaux), sur wikipedia, sur le réseau Linkedin et sur le site Mêtis-lab. Ses publications sur le site Cairn.info, et notamment son récent ouvrage co-dirigé avec Fabien Van Geert, Médiation muséale, nouveaux enjeux, nouvelles formes (éditions de l’Harmattan, décembre 2022). Page présentant la chaire UNESCO de la Sorbonne Nouvelle pour l’étude
de la diversité muséale et son évolution
(site Muséosources). Deux vidéos : François Mairesse, le musée et la muséologie (chaîne You tube Mêtis) ou encore, Un Clic, un Titre #8 – Écrire la muséologie (chaîne You tube de l’Université Sorbonne Nouvelle).

Extraits musicaux

Extrait de  » Hamlet » de Peter Brook avec Adrien Lester (2002).  » Les vierges » créé et chanté par Yvette Guilbert (1907).

 

« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »

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