Read More Ceci est un billet d’humeur. Les auteur.e.s s’expriment en leur nom propre Sainte Bécassine Dans une vidéo récente diffusée sur Twitter par Le Figaro, une professeure des universités se permet d’insulter des collègues proches, certes non nommé.e.s, mais identifiables de manière implicite : celles et ceux qui utilisent les outils des études de genre, de la déconstruction, ou encore de l’intersectionnalité, installeraient un « crétinarcat » au cœur de l’institution. Ces mauvaises manières sont-elles nouvelles ? Que nenni. Cette dame et ses sombres acolytes sont coutumiers du fait. Chez ces gens-là, aggraver ses propres inepties d’atteintes à la dignité de celles et ceux que l’on craint semble faire partie des méthodes communément admises. Jusqu’ici, nous avions choisi d’opposer à ces cuistres un silence méprisant, pour privilégier une réponse indirecte, consistant à donner l’exemple par la précision et la rigueur sur les questions concernées. Or, un palier vient d’être franchi : insulter ses propres collègues lors d’une journée d’études réunissant un noyau de comparses, ou sur un site étroitement spécialisé, est une chose ; publier une vidéo sur les réseaux sociaux par l’entremise d’un grand quotidien national en est une autre, comme plusieurs affaires l’ont montré ces derniers mois. Indigné.e.s par une telle légèreté, nous nous résignons donc à investir à notre tour ce terrain qu’affectionne tant celle qui se rêve en nouvelle égérie de la bien-pensance réactionnaire, et en perd tout sens de la mesure. Les « crétins » doivent bien bénéficier d’un droit de réponse, comme de la possibilité de se défendre à armes égales. Nous veillerons toutefois à ce que la riposte soit juste et proportionnée, et nous aurons même l’ultime élégance de l’agrémenter d’une pincée d’humour, à l’aide d’un petit bestiaire, ce qui est bien la moindre des choses en matière de bêtise. Qu’il soit clair néanmoins que nous ne visons point cette dadame fort agitée en particulier. Notre pasionaria du sens commun n’est à nos yeux que l’incarnation falote d’un phénomène bien plus large, une figure de nos temps mauvais : celle de l’âne bâté. Nous voulons parler bien sûr de ce personnage très ancien, de ce faquin peu averti, qui se prend au sérieux et croit travailler pour la science, alors qu’il ne fait que transporter de l’opinion frelatée et s’en rend ridicule. Il existe naturellement des ânes bâtés au féminin, des ânesses bâtées. Mais, nous insistons, notre figure est résolument celle d’une bêtise également partagée, d’un collectif indifférencié de nigaud.e.s. Aussi parlerons-nous, non pas d’une personne réelle, mais, comme eût dit Mary Shelley de son personnage fantastique, d’une « créature », ou d’une « chose », qui serait la métaphore hideuse des angoisses de son temps. C’est pourquoi également, semblable à la création du docteur Frankenstein, la figure de la bêtise qui nous intéresse aura pour visage non point celui de telle ou tel collègue, mais celui d’un patchwork, d’un bricolage de morceaux mal assortis, où l’on reconnaîtra toutefois, en sus du baudet déjà introduit, un piaf, un toutou, et même un dinosaure. Pour commencer, posons une question simple : notre figure a-t-elle seulement idée de ce contre quoi elle déblatère ? Est-elle spécialiste de ces questions ? A-t-elle d’ailleurs publié le moindre travail scientifique sur les objets dont elle prétend s’emparer ? Non, bien entendu. On peut même nourrir le soupçon que l’imposture de la chose pourrait aller jusqu’à n’avoir jamais lu la moindre ligne des sulfureux ouvrages auxquels elle fait référence. Serait-ce pour mieux protéger sa petite cervelle de l’effroyable contamination qui menace la France éternelle ? De fait, notre Jeanne d’Arc 2.0 veille farouchement sur l’intégrité des frontières hexagonales, décidée à bouter l’ennemi.e hors du périmètre sacré, menaçant de ses petits moulinets tout ce qui l’indispose, c’est-à-dire tout ce qui a pu nourrir et enrichir la recherche internationale ces dernières décennies. Comment la chose pourrait-elle dès lors penser avant de parler ? Il ne lui reste effectivement que l’invective pour toute panoplie. D’ailleurs, la chose parle-t-elle seulement ? Non, la chose est parlée. En elle, ça parle, et c’est bien en cela qu’elle n’est que métaphore, ou symptôme, d’un phénomène d’une tout autre ampleur. C’est quoi, ça ? Un mélange infâme, de ressentiment, de peur, de fantasme, et même d’idéologie douteuse, puisque l’on renifle dans son infect potage les relents de haines recuites. Notre prophète de pacotille n’est en vérité qu’une pauvre marionnette qui ânonne son gloubi-boulga. Vous savez ? Cette ragougnasse dont seuls raffolent les dinosaures bipèdes de l’espèce des Casimirus. Dans un grand saladier, vous mélangez de la confiture de fraises, du chocolat en poudre, de la banane écrasée, de la moutarde très forte et de la saucisse de Toulouse. Sans doute commencez-vous à concevoir quelque idée de ce que nous sert cette fripouille. Encore une fois, rien de bien neuf. Le hasard a voulu en effet que l’un de nous retrouve il y a peu dans le grenier d’une maison de famille un vieil album de Bécassine. Bécassine maîtresse d’école, 1921. Bécassine, vous vous souvenez, c’est cette bonne fille pas vraiment futée, que son dessinateur n’a pas même dotée d’une vraie bouche, et à qui il arrive plein d’aventures. Bécassine apprend à conduire, Bécassine va à la mer, Bécassine fait du scoutisme, Bécassine monte dans un aéroplane, etc. Car la petite sotte incarne un esprit bien français : elle sait tout faire, voyez-vous (Les Cent Métiers de Bécassine, 1920) ! Sur la couverture de notre album, la grosse bêtasse veut se faire enseignante, à la place de la vraie maîtresse absente, mais, à s’exciter comme une dératée, elle fait tout tomber de son bureau, suscitant la consternation de la jeunesse. Tout ? Des livres et un globe terrestre, pardi. Il manque assurément des albums à notre collection : Bécassine va à la Sorbonne, Bécassine rencontre Derrida, Bécassine découvre le genre, Bécassine au pays des trans, etc. La créature, pour revenir à elle, traite de « crétins » ceux qui dérangent ses certitudes étriquées. Décidément, les baltringues osent tout. Mais pardonnez-lui, car cette bécasse aboie comme le font les chiens de garde craintifs. Oui, aujourd’hui les bécasses ont des dents. Elles essaient donc de mordre, de peur que leurs jolis cardigans ne soient tout chiffonnés par ces arrivant.e.s qui se pressent soudain sur les bancs des amphis. La triste effigie des bas du front s’alarme du post-structuralisme, du post-féminisme, du post-colonialisme, du post-modernisme, et elle jette l’anathème sur toutes ces inventions du diable. Nous, nous n’avons peur de rien. Non sans quelque gourmandise, nous applaudissons même à la naissance d’une nouvelle discipline universitaire : le post-bécassinisme. Sainte Bécassine, priez pour nous. Frédéric Regard et Anne Tomiche
Ceci est un billet d’humeur. Les auteur.e.s s’expriment en leur nom propre
Sainte Bécassine
Dans une vidéo récente diffusée sur Twitter par Le Figaro, une professeure des universités se permet d’insulter des collègues proches, certes non nommé.e.s, mais identifiables de manière implicite : celles et ceux qui utilisent les outils des études de genre, de la déconstruction, ou encore de l’intersectionnalité, installeraient un « crétinarcat » au cœur de l’institution. Ces mauvaises manières sont-elles nouvelles ? Que nenni. Cette dame et ses sombres acolytes sont coutumiers du fait. Chez ces gens-là, aggraver ses propres inepties d’atteintes à la dignité de celles et ceux que l’on craint semble faire partie des méthodes communément admises.
Jusqu’ici, nous avions choisi d’opposer à ces cuistres un silence méprisant, pour privilégier une réponse indirecte, consistant à donner l’exemple par la précision et la rigueur sur les questions concernées. Or, un palier vient d’être franchi : insulter ses propres collègues lors d’une journée d’études réunissant un noyau de comparses, ou sur un site étroitement spécialisé, est une chose ; publier une vidéo sur les réseaux sociaux par l’entremise d’un grand quotidien national en est une autre, comme plusieurs affaires l’ont montré ces derniers mois. Indigné.e.s par une telle légèreté, nous nous résignons donc à investir à notre tour ce terrain qu’affectionne tant celle qui se rêve en nouvelle égérie de la bien-pensance réactionnaire, et en perd tout sens de la mesure. Les « crétins » doivent bien bénéficier d’un droit de réponse, comme de la possibilité de se défendre à armes égales. Nous veillerons toutefois à ce que la riposte soit juste et proportionnée, et nous aurons même l’ultime élégance de l’agrémenter d’une pincée d’humour, à l’aide d’un petit bestiaire, ce qui est bien la moindre des choses en matière de bêtise.
Qu’il soit clair néanmoins que nous ne visons point cette dadame fort agitée en particulier. Notre pasionaria du sens commun n’est à nos yeux que l’incarnation falote d’un phénomène bien plus large, une figure de nos temps mauvais : celle de l’âne bâté. Nous voulons parler bien sûr de ce personnage très ancien, de ce faquin peu averti, qui se prend au sérieux et croit travailler pour la science, alors qu’il ne fait que transporter de l’opinion frelatée et s’en rend ridicule. Il existe naturellement des ânes bâtés au féminin, des ânesses bâtées. Mais, nous insistons, notre figure est résolument celle d’une bêtise également partagée, d’un collectif indifférencié de nigaud.e.s. Aussi parlerons-nous, non pas d’une personne réelle, mais, comme eût dit Mary Shelley de son personnage fantastique, d’une « créature », ou d’une « chose », qui serait la métaphore hideuse des angoisses de son temps. C’est pourquoi également, semblable à la création du docteur Frankenstein, la figure de la bêtise qui nous intéresse aura pour visage non point celui de telle ou tel collègue, mais celui d’un patchwork, d’un bricolage de morceaux mal assortis, où l’on reconnaîtra toutefois, en sus du baudet déjà introduit, un piaf, un toutou, et même un dinosaure.
Pour commencer, posons une question simple : notre figure a-t-elle seulement idée de ce contre quoi elle déblatère ? Est-elle spécialiste de ces questions ? A-t-elle d’ailleurs publié le moindre travail scientifique sur les objets dont elle prétend s’emparer ? Non, bien entendu. On peut même nourrir le soupçon que l’imposture de la chose pourrait aller jusqu’à n’avoir jamais lu la moindre ligne des sulfureux ouvrages auxquels elle fait référence. Serait-ce pour mieux protéger sa petite cervelle de l’effroyable contamination qui menace la France éternelle ? De fait, notre Jeanne d’Arc 2.0 veille farouchement sur l’intégrité des frontières hexagonales, décidée à bouter l’ennemi.e hors du périmètre sacré, menaçant de ses petits moulinets tout ce qui l’indispose, c’est-à-dire tout ce qui a pu nourrir et enrichir la recherche internationale ces dernières décennies.
Comment la chose pourrait-elle dès lors penser avant de parler ? Il ne lui reste effectivement que l’invective pour toute panoplie. D’ailleurs, la chose parle-t-elle seulement ? Non, la chose est parlée. En elle, ça parle, et c’est bien en cela qu’elle n’est que métaphore, ou symptôme, d’un phénomène d’une tout autre ampleur. C’est quoi, ça ? Un mélange infâme, de ressentiment, de peur, de fantasme, et même d’idéologie douteuse, puisque l’on renifle dans son infect potage les relents de haines recuites. Notre prophète de pacotille n’est en vérité qu’une pauvre marionnette qui ânonne son gloubi-boulga. Vous savez ? Cette ragougnasse dont seuls raffolent les dinosaures bipèdes de l’espèce des Casimirus. Dans un grand saladier, vous mélangez de la confiture de fraises, du chocolat en poudre, de la banane écrasée, de la moutarde très forte et de la saucisse de Toulouse. Sans doute commencez-vous à concevoir quelque idée de ce que nous sert cette fripouille.
Encore une fois, rien de bien neuf. Le hasard a voulu en effet que l’un de nous retrouve il y a peu dans le grenier d’une maison de famille un vieil album de Bécassine. Bécassine maîtresse d’école, 1921. Bécassine, vous vous souvenez, c’est cette bonne fille pas vraiment futée, que son dessinateur n’a pas même dotée d’une vraie bouche, et à qui il arrive plein d’aventures. Bécassine apprend à conduire, Bécassine va à la mer, Bécassine fait du scoutisme, Bécassine monte dans un aéroplane, etc. Car la petite sotte incarne un esprit bien français : elle sait tout faire, voyez-vous (Les Cent Métiers de Bécassine, 1920) ! Sur la couverture de notre album, la grosse bêtasse veut se faire enseignante, à la place de la vraie maîtresse absente, mais, à s’exciter comme une dératée, elle fait tout tomber de son bureau, suscitant la consternation de la jeunesse. Tout ? Des livres et un globe terrestre, pardi. Il manque assurément des albums à notre collection : Bécassine va à la Sorbonne, Bécassine rencontre Derrida, Bécassine découvre le genre, Bécassine au pays des trans, etc.
La créature, pour revenir à elle, traite de « crétins » ceux qui dérangent ses certitudes étriquées. Décidément, les baltringues osent tout. Mais pardonnez-lui, car cette bécasse aboie comme le font les chiens de garde craintifs. Oui, aujourd’hui les bécasses ont des dents. Elles essaient donc de mordre, de peur que leurs jolis cardigans ne soient tout chiffonnés par ces arrivant.e.s qui se pressent soudain sur les bancs des amphis. La triste effigie des bas du front s’alarme du post-structuralisme, du post-féminisme, du post-colonialisme, du post-modernisme, et elle jette l’anathème sur toutes ces inventions du diable. Nous, nous n’avons peur de rien. Non sans quelque gourmandise, nous applaudissons même à la naissance d’une nouvelle discipline universitaire : le post-bécassinisme.
Sainte Bécassine, priez pour nous.
Frédéric Regard et Anne Tomiche
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