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Roger Scruton

Roger Scruton sur l’Université: “il est encore permis de rire”

« Le problème, me semble-t-il, vient largement de l’invasion du monde académique et intellectuel par des groupes militants qui ne prennent pas la peine d’étudier suffisamment pour savoir à quoi ils ont affaire, mais qui définissent tout de même leur position en agendas politiques. Ces agendas politiques ont pour objectif d’appartenir à un groupe rédempteur: “nous sauvons notre âme parce que nous croyons à ce qui est bien, et nous épions partout ces corps toxiques qui nous empêchent d’obtenir ce qui nous est dû”.

« Et toutes ces nouvelles causes ont le même fondement. Ce sont des causes faites pour des gens qui veulent se sentir exclus de l’ordre établi qu’il faut donc renverser pour se donner une place au sommet de celui-ci. Une fois au sommet, ils le réorganiseront alors de manière à le purifier de toutes ces influences anciennes et corruptrices qui ont eu trop d’importance jusqu’ici. Je pense que cette invasion de l’activisme politique dans les universités et dans les Humanités et dans tous les pans de la civilisation est une des grandes catastrophes de notre époque.

« Mais ça n’était pas inéluctable. Nous n’avons pas à écouter ces gens. Nous n’avons pas à nous perdre dans ces procès-spectacles, dans ces lettres de dénonciation ou dans ce genre de chasses aux sorcières qui ostracisent les gens. Ces militants ne gagnent que quand on s’aligne sur leurs méthodes. Nous n’avons pas à nous aligner. Il est tout à fait possible de prendre du recul et même de rire de certaines de ces choses. […] Restez calmes et dites: il y a d’autres points de vue que le vôtre. Vous pouvez avoir un argument valable, mais ce n’est pas le seul argument valable. Asseyons-nous et discutons-en. […] Et quand les gens essaient de radicaliser et de politiser les programmes et l’enseignement universitaires, vous n’êtes pas obligés de l’accepter. Vous pouvez même en rire. Il est encore légalement autorisé de se moquer des gens dans notre pays et dans notre civilisation. Après tout, la comédie est l’un des grands cadeaux de la civilisation. »

« Les gens qui se considèrent comme des intellectuels ou des penseurs se considèrent aussi, d’une certaine façon, comme extérieurs à la communauté. Ils portent un jugement sur elle, se croyant doués d’une vision et d’une intelligence supérieure, donc ils sont inévitablement critiques envers tout ce que font les gens ordinaires pour survivre. Nous avons créé une classe intellectuelle qui par nature ne s’identifie pas aux manières de vivre qui les entourent et qui essaie d’acquérir un autre type d’identité à travers sa critique. »

« Lorsque j’ai fini par enseigner en Europe de l’Est, mon idée principale était que ce dont avaient besoin les jeunes là-bas, n’était pas simplement de la philosophie, mais tout un pan de connaissances qui avait été exclu du programme officiel, comme la connaissance de l’Histoire, la connaissance de la littérature, la connaissance des rapports entre ces choses: comment la musique, l’art et la littérature contribuent à la vision d’une société, et puis bien sûr la connaissance des traditions religieuses de leur pays. Toutes ces choses avaient été exclues de l’identité nationale par le Parti communiste. Mais elles ont aussi été exclues de nos sociétés, par les universités elles-mêmes. La plupart des jeunes gens sortent aujourd’hui de l’université en ayant étudié l’Histoire sans vraiment s’y connaître. Ils sont au courant des périodes de lutte révolutionnaire, et tous ces trucs qui intéressent leurs professeurs, qui entretiennent leur propre gloire, mais ils ne savent rien des choses qui ont fait l’esprit du peuple. »