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Transgenres : les dérives des traitements pour changer de sexe

Transgenres : les dérives des traitements pour changer de sexe

Read More  Jamais la transidentité – ne pas s’identifier au genre attribué à la naissance – n’avait autant opposé. Par les questions déontologiques, éthiques et médicales qu’elle soulève. Mais aussi par la visibilité de ces minorités au sein de la société et les arguments souvent aux antipodes intellectuellement et politiquement qui radicalisent les positions. Même le terrain scientifique, que l’on aurait pu croire plus neutre, est miné. Chacun avance des études censées démontrer les bienfaits ou les risques des traitements. Nombre de chercheurs déclinent les demandes d’interviews, invoquant un climat peu propice à l’expression publique, ou plus simplement un manque de connaissances. Ainsi, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui a un rôle pilote dans la santé humaine en France, nous a poliment indiqué n’avoir « aucune équipe de recherche travaillant sur cette thématique ». A ce jour, seule la Haute autorité de santé (HAS) semble se mobiliser à l’échelle nationale en promettant un rapport sur la question d’ici à la fin de l’année 2023. Fermement attendu, il devrait se contenter d’actualiser les données et recommandations sur la prise en charge médicale datant de… 2009.En attendant, les chiffres manquent. Ainsi le nombre de Français qui s’identifient au genre opposé à leur sexe biologique (l’incongruence de genre) ou qui en souffrent (la dysphorie de genre) et demandent des bloqueurs de puberté, un traitement hormonal ou une opération chirurgicale. Dans une note de cadrage de 2021, la HAS fait état d’une estimation d’environ 0,35 % de personnes transgenres, tout en reconnaissant la variabilité des méthodes de calcul des études utilisées. Une autre méta-analyse, publiée dans Sexual Health en 2017, indique que l’identité transgenre autodéclarée chez les enfants et les adolescents varie entre 0,5 et 1,3 %. « Ce diagnostic reste relativement rare, mais est en augmentation depuis quelques dizaines d’années », relèvent les auteurs. C’est l’une des seules certitudes. « Chacune d’entre nous constate une hausse des consultations pour la préservation de la fertilité [NDLR : les traitements hormonaux et chirurgicaux peuvent induire une perte de fertilité temporaire ou définitive] depuis quelques années », confirme le Dr Anne Mayeur, praticien hospitalier au service de biologie de la reproduction de l’hôpital Antoine Béclère (AP-HP), interrogée avec ses homologues Sophie Brouillet et Bérangère Ducrocq, des CHU de Montpellier et de Lille. Dans la capitale, le nombre de demandes de consultations pour transidentités en endocrinologie pédiatrique est passé de 13 par an en 2015 à 65 en 2021, selon une enquête de la revue Médecines/sciences.La prise en charge des mineurs transgenres s’appuie sur des recommandations internationales basées sur des études scientifiques ayant démontré l’impact bénéfique des traitements, dont le guide de pratique clinique de l’Endocrine Society, une société savante américaine, ou encore les travaux de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH). Mais ces recommandations sont parfois contestées. La capacité de prendre la pleine mesure des enjeux et des effets secondaires en fonction de l’âge pose ainsi question. Les bloqueurs de puberté, proposés aux enfants les plus en détresse face aux transformations de leur corps, permettent de donner un temps de réflexion jusqu’à l’adolescence. « Des travaux internationaux vont dans le sens d’un bénéfice des traitements sur le bien-être des jeunes concernés, mais des questions mériteraient toutefois de plus amples études », souligne un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en 2022. Car des études suggèrent que ces molécules, qui retardent en effet la croissance osseuse, pourraient augmenter les risques d’ostéoporose potentiellement irréversible. »Les mineurs qui sont mis sous bloqueurs vont récupérer une masse osseuse normale lors de la mise en place de leur traitement hormonal de transition, la polémique est donc à mon sens sans fondement dans la grande majorité des cas, balaie le Dr Nicolaï Johnson, endocrinologie à l’hôpital Tenon (AP-HP). En revanche, il est connu que les jeunes transgenres sont plus fréquemment atteintes d’ostéopénie [NDLR : fragilité de l’os] que la population générale de la même tranche d’âge, mais ceci serait lié à des facteurs nutritionnels et environnementaux, essentiellement l’absence d’activité physique en lien avec l’isolement socio-scolaire. »Protocole néerlandaisAu Royaume-Uni, la prise en charge des transitions de genre au cas par cas, faute de consensus médical, a trouvé ses limites au sein de la clinique londonienne Tavistock. Son célèbre service, le Gender Identity Development Service, qui accueillait depuis 1994 les enfants « désorientés par leur identité de genre », devrait fermer ses portes ce printemps. La raison : un rapport accablant mené par Hilary Cass, une éminente pédiatre et ancienne présidente du Royal College of Pediatrics and Child Health. Il pointe un profond manque de preuves et de consensus médical sur la meilleure approche pour traiter la dysphorie de genre chez les enfants, et appelle à « un modèle de soins fondamentalement différent » afin de répondre à leurs besoins.Ces enjeux éthiques ont été scrupuleusement étudiés par la journaliste de la BBC Hannah Barnes dans un livre enquête intitulé Time to Think qui vient de paraître outre-Manche. « Tous les médecins n’avaient pas la même vision de la question [des transitions de genre] et donc de la nécessité de prendre des précautions. Mais tous étaient convaincus qu’ils agissaient dans le meilleur intérêt du patient… D’où une grande hétérogénéité dans la qualité des évaluations fournies à ces jeunes », explique la journaliste interrogée par L’Express.Certains patients ont en effet pu bénéficier d’un suivi médical approfondi quand d’autres se sont vus prescrire des bloqueurs de puberté après seulement deux ou trois rendez-vous, dans certains cas dès l’âge de 9 ans. La Britannique Keira Bell, à qui les équipes de la clinique Tavistock ont prescrit des bloqueurs de puberté à 14 ans à l’issue de trois séances d’une heure, a porté l’affaire en justice en 2020, accusant les médecins de ne pas avoir davantage remis en cause sa décision de « devenir un homme ». Les juges ont alors statué qu’il était peu probable que les moins de 13 ans puissent consentir à un traitement de ce type et qu’il était douteux qu’une personne âgée de 14 ou 15 ans puisse comprendre les risques et les conséquences à long terme de la prise de médicaments bloqueurs de puberté. Mais leur jugement a été contredit par la Cour d’appel de Londres.L’établissement appliquait le « protocole néerlandais », selon lequel les enfants de 12 ans peuvent être mis sous bloqueurs de puberté s’ils souffrent de dysphorie de genre depuis l’enfance, s’ils sont psychologiquement stables et s’ils se trouvent dans un environnement favorable. « En Europe, la plupart des cliniques spécialisées dans les transitions de genre fondent leurs prescriptions sur ce protocole. Celui-ci est basé pourtant sur des études plutôt faibles, et ses critères sont très stricts », détaille Hannah Barnes. Or, en pratique, ces derniers ne peuvent pas toujours être respectés. Le rapport de l’Igas rappelle à ce sujet que « les personnes trans sont surexposées aux maladies infectieuses, aux cooccurrences psychiatriques, aux violences et aux pathologies liées à des conditions de vie précaires ». Selon les chiffres publiés par le US Transgender Survey, 40 % des personnes transgenres déclarent une tentative de suicide au cours de leur vie, dont un tiers avant 14 ans.Les demandes de prise en charge explosentLoin de résumer les dérives de la clinique Tavistock en opposant de façon binaire « praticiens consciencieux » à « mauvais médecins », Hannah Barnes met en avant le manque de moyens humains de l’établissement qui faisait face à un afflux croissant de patients. En 2009, le service de développement de l’identité de genre recevait 97 nouvelles demandes de prise en charge. En 2020, il y en avait 2500, avec 4600 autres sur liste d’attente. « Certains patients avaient des difficultés autres que la dysphorie de genre, comme l’autisme ou, dans des cas rares mais extrêmes, l’identification à une nationalité ou une ‘race’ différente… Au lieu de se concentrer sur leur situation individuelle, des cliniciens m’ont dit qu’ils en orientaient rapidement certains vers des bloqueurs de puberté parce que cela libérait de la place pour voir d’autres patients sur la liste d’attente », raconte la journaliste.Ce scénario catastrophe est loin de ne concerner que le Royaume-Uni. Si l’Igas se félicite dans son rapport du développement de consultations spécialisées en milieu hospitalier (en 2018, on en comptait neuf, dont trois à Paris), elle regrette que « toutes les régions ne [soient] pas couvertes et les services existants saturés, avec souvent des délais importants ». En dehors du milieu hospitalier, même constat : si des praticiens formés aux problématiques trans (en ville, dans les Maisons des adolescents) apportent des réponses en dehors des consultations spécialisées, celles-ci seraient encore « trop modestes ».En 2010, la France avait été le premier pays au monde à avoir retiré le « transsexualisme » et les « troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affections psychiatriques. Mais en creux de cette décision avant-gardiste est venue se cristalliser une défiance à l’égard du corps médical et a fortiori des psychiatres. Bien que l’implication de ces derniers ne soit plus exigée dans un parcours de transition, elle conditionne encore de façon tacite le démarrage d’une hormonothérapie pour bon nombre d’endocrinologues. « Un suivi psychiatrique n’est pas obligatoire pour tout le monde, mais nous devons rester modestes. Nous pouvons passer à côté d’autres pathologies qui pourraient interagir avec les médicaments que nous sommes susceptibles de prescrire », souligne ainsi le Dr Brigitte Anton-Kuchly, endocrinologue à Nantes. Il faut par exemple s’assurer, explique-t-elle, que les personnes ayant éventuellement des troubles psychotiques soient suivies, traitées ou en tout cas stabilisées avant d’envisager la mise en place d’un traitement hormonal. « Dans mon expérience, les refus définitifs de transition ont été très rares. Le plus souvent, nous demandons au patient de prendre le temps de réfléchir », explique Sophie Boulon, psychiatre ayant suivi des personnes trans pendant plus de dix ans en milieu hospitalier avant de reprendre une activité libérale. « C’est parfois compliqué à gérer. Certains, très en souffrance, menacent de se suicider si la réponse n’est pas immédiate. »Système D, cryptomonnaies et vrai dangerEt si d’aventure, le psychiatre ou l’endocrinologue se montre trop prudent, certains patients désemparés empruntent la voie de l’automédication. Quitte à faire fi des potentiels risques pour leur santé… Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les appels à la solidarité, faute d’ordonnance : « Si jamais quelqu’un a moyen de partager son ampoule [de testostérone], ou d’en décaler une. » Le problème, c’est que cette substance peut augmenter la viscosité sanguine et la tension, provoquer des anomalies au niveau du foie ou au niveau lipidique. « Cela doit être particulièrement surveillé pendant la première année de traitement, notamment parce que l’on va augmenter les dosages progressivement », alerte l’endocrinologue Brigitte Anton-Kuchly.De la même façon, quelques clics suffisent pour se procurer des hormones féminisantes. Le site OELabs, « projet porté par des personnes transidentitaires », impliquant « deux médecins et un pharmacien », propose des traitements hormonaux substitutifs féminins « de qualité pharmaceutique ». Leurs solutions d’œstrogène injectables (valérate et énanthate d’estradiol) coûtent de 45 à 69 euros, payables en cryptomonnaies. En prime, un dosage « conseill[é] » de façon arbitraire, le site précisant qu’il dépend notamment de « votre ressenti ». Si la dernière commande remonte, selon les avis clients, à septembre 2022, les ventes sont suspendues « jusqu’à nouvel ordre », et les produits en rupture de stock.Sollicitée au sujet de ces produits, Brigitte Anton-Kuchly est formelle : « Conseiller un dosage sans avoir vu le patient pour identifier d’éventuelles comorbidités ou facteurs de risque ni effectué un bilan hormonal complet peut être dangereux pour la santé ! De plus, prescrire des œstrogènes en injection comporte des risques de thrombose veineuse, voire d’embolie pulmonaire. Sans compter la possibilité que le produit soit frelaté. » Selon le site commerçant, ses fournisseurs de matières premières respectent bien « tous les réglementations de la pharmacopée européenne ». A un détail près : les molécules d’œstrogènes contenues dans les solutions, elles, proviennent de Chine et ne bénéficient pas d’un certificat fournisseur, mais d’une vérification faite par… un « laboratoire extérieur ».Zones d’ombreFace au fragile équilibre qu’autorités sanitaires, spécialistes et services spécialisés tentent de maintenir entre accompagnement et prévention, certaines problématiques nécessitant des réponses se multiplient. Notamment au sein du centre spécialisé dans l’autisme du CHU de Limoges. Son directeur, le psychiatre Eric Lemonnier, a en effet observé depuis plus d’un an une recrudescence des questionnements chez ses patients quant à leur identité de genre : « Les personnes autistes ayant des difficultés à intégrer les codes sociaux liés au genre peuvent avoir le sentiment que la définition de la transidentité leur correspond, et que changer de genre serait une solution magique. »Certes, il est bien sûr possible d’être à la fois atteint d’un trouble du spectre autistique et de dysphorie de genre, mais il est nécessaire, selon le spécialiste, de « s’assurer qu’il n’y a pas de confusion entre les deux pathologies, via un accompagnement psychologique ou psychiatrique. Sans quoi, certaines personnes autistes pourraient bien entamer des hormonothérapies, voire des chirurgies, dont elles n’ont pas besoin. » Et le regretter amèrement par la suite. 

Jamais la transidentité – ne pas s’identifier au genre attribué à la naissance – n’avait autant opposé. Par les questions déontologiques, éthiques et médicales qu’elle soulève. Mais aussi par la visibilité de ces minorités au sein de la société et les arguments souvent aux antipodes intellectuellement et politiquement qui radicalisent les positions. Même le terrain scientifique, que l’on aurait pu croire plus neutre, est miné. Chacun avance des études censées démontrer les bienfaits ou les risques des traitements. Nombre de chercheurs déclinent les demandes d’interviews, invoquant un climat peu propice à l’expression publique, ou plus simplement un manque de connaissances. Ainsi, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui a un rôle pilote dans la santé humaine en France, nous a poliment indiqué n’avoir « aucune équipe de recherche travaillant sur cette thématique ». A ce jour, seule la Haute autorité de santé (HAS) semble se mobiliser à l’échelle nationale en promettant un rapport sur la question d’ici à la fin de l’année 2023. Fermement attendu, il devrait se contenter d’actualiser les données et recommandations sur la prise en charge médicale datant de… 2009.

En attendant, les chiffres manquent. Ainsi le nombre de Français qui s’identifient au genre opposé à leur sexe biologique (l’incongruence de genre) ou qui en souffrent (la dysphorie de genre) et demandent des bloqueurs de puberté, un traitement hormonal ou une opération chirurgicale. Dans une note de cadrage de 2021, la HAS fait état d’une estimation d’environ 0,35 % de personnes transgenres, tout en reconnaissant la variabilité des méthodes de calcul des études utilisées. Une autre méta-analyse, publiée dans Sexual Health en 2017, indique que l’identité transgenre autodéclarée chez les enfants et les adolescents varie entre 0,5 et 1,3 %. « Ce diagnostic reste relativement rare, mais est en augmentation depuis quelques dizaines d’années », relèvent les auteurs. C’est l’une des seules certitudes. « Chacune d’entre nous constate une hausse des consultations pour la préservation de la fertilité [NDLR : les traitements hormonaux et chirurgicaux peuvent induire une perte de fertilité temporaire ou définitive] depuis quelques années », confirme le Dr Anne Mayeur, praticien hospitalier au service de biologie de la reproduction de l’hôpital Antoine Béclère (AP-HP), interrogée avec ses homologues Sophie Brouillet et Bérangère Ducrocq, des CHU de Montpellier et de Lille. Dans la capitale, le nombre de demandes de consultations pour transidentités en endocrinologie pédiatrique est passé de 13 par an en 2015 à 65 en 2021, selon une enquête de la revue Médecines/sciences.

La prise en charge des mineurs transgenres s’appuie sur des recommandations internationales basées sur des études scientifiques ayant démontré l’impact bénéfique des traitements, dont le guide de pratique clinique de l’Endocrine Society, une société savante américaine, ou encore les travaux de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH). Mais ces recommandations sont parfois contestées. La capacité de prendre la pleine mesure des enjeux et des effets secondaires en fonction de l’âge pose ainsi question. Les bloqueurs de puberté, proposés aux enfants les plus en détresse face aux transformations de leur corps, permettent de donner un temps de réflexion jusqu’à l’adolescence. « Des travaux internationaux vont dans le sens d’un bénéfice des traitements sur le bien-être des jeunes concernés, mais des questions mériteraient toutefois de plus amples études », souligne un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en 2022. Car des études suggèrent que ces molécules, qui retardent en effet la croissance osseuse, pourraient augmenter les risques d’ostéoporose potentiellement irréversible.

« Les mineurs qui sont mis sous bloqueurs vont récupérer une masse osseuse normale lors de la mise en place de leur traitement hormonal de transition, la polémique est donc à mon sens sans fondement dans la grande majorité des cas, balaie le Dr Nicolaï Johnson, endocrinologie à l’hôpital Tenon (AP-HP). En revanche, il est connu que les jeunes transgenres sont plus fréquemment atteintes d’ostéopénie [NDLR : fragilité de l’os] que la population générale de la même tranche d’âge, mais ceci serait lié à des facteurs nutritionnels et environnementaux, essentiellement l’absence d’activité physique en lien avec l’isolement socio-scolaire. »

Protocole néerlandais

Au Royaume-Uni, la prise en charge des transitions de genre au cas par cas, faute de consensus médical, a trouvé ses limites au sein de la clinique londonienne Tavistock. Son célèbre service, le Gender Identity Development Service, qui accueillait depuis 1994 les enfants « désorientés par leur identité de genre », devrait fermer ses portes ce printemps. La raison : un rapport accablant mené par Hilary Cass, une éminente pédiatre et ancienne présidente du Royal College of Pediatrics and Child Health. Il pointe un profond manque de preuves et de consensus médical sur la meilleure approche pour traiter la dysphorie de genre chez les enfants, et appelle à « un modèle de soins fondamentalement différent » afin de répondre à leurs besoins.

Ces enjeux éthiques ont été scrupuleusement étudiés par la journaliste de la BBC Hannah Barnes dans un livre enquête intitulé Time to Think qui vient de paraître outre-Manche. « Tous les médecins n’avaient pas la même vision de la question [des transitions de genre] et donc de la nécessité de prendre des précautions. Mais tous étaient convaincus qu’ils agissaient dans le meilleur intérêt du patient… D’où une grande hétérogénéité dans la qualité des évaluations fournies à ces jeunes », explique la journaliste interrogée par L’Express.

Certains patients ont en effet pu bénéficier d’un suivi médical approfondi quand d’autres se sont vus prescrire des bloqueurs de puberté après seulement deux ou trois rendez-vous, dans certains cas dès l’âge de 9 ans. La Britannique Keira Bell, à qui les équipes de la clinique Tavistock ont prescrit des bloqueurs de puberté à 14 ans à l’issue de trois séances d’une heure, a porté l’affaire en justice en 2020, accusant les médecins de ne pas avoir davantage remis en cause sa décision de « devenir un homme ». Les juges ont alors statué qu’il était peu probable que les moins de 13 ans puissent consentir à un traitement de ce type et qu’il était douteux qu’une personne âgée de 14 ou 15 ans puisse comprendre les risques et les conséquences à long terme de la prise de médicaments bloqueurs de puberté. Mais leur jugement a été contredit par la Cour d’appel de Londres.

L’établissement appliquait le « protocole néerlandais », selon lequel les enfants de 12 ans peuvent être mis sous bloqueurs de puberté s’ils souffrent de dysphorie de genre depuis l’enfance, s’ils sont psychologiquement stables et s’ils se trouvent dans un environnement favorable. « En Europe, la plupart des cliniques spécialisées dans les transitions de genre fondent leurs prescriptions sur ce protocole. Celui-ci est basé pourtant sur des études plutôt faibles, et ses critères sont très stricts », détaille Hannah Barnes. Or, en pratique, ces derniers ne peuvent pas toujours être respectés. Le rapport de l’Igas rappelle à ce sujet que « les personnes trans sont surexposées aux maladies infectieuses, aux cooccurrences psychiatriques, aux violences et aux pathologies liées à des conditions de vie précaires ». Selon les chiffres publiés par le US Transgender Survey, 40 % des personnes transgenres déclarent une tentative de suicide au cours de leur vie, dont un tiers avant 14 ans.

Les demandes de prise en charge explosent

Loin de résumer les dérives de la clinique Tavistock en opposant de façon binaire « praticiens consciencieux » à « mauvais médecins », Hannah Barnes met en avant le manque de moyens humains de l’établissement qui faisait face à un afflux croissant de patients. En 2009, le service de développement de l’identité de genre recevait 97 nouvelles demandes de prise en charge. En 2020, il y en avait 2500, avec 4600 autres sur liste d’attente. « Certains patients avaient des difficultés autres que la dysphorie de genre, comme l’autisme ou, dans des cas rares mais extrêmes, l’identification à une nationalité ou une ‘race’ différente… Au lieu de se concentrer sur leur situation individuelle, des cliniciens m’ont dit qu’ils en orientaient rapidement certains vers des bloqueurs de puberté parce que cela libérait de la place pour voir d’autres patients sur la liste d’attente », raconte la journaliste.

Ce scénario catastrophe est loin de ne concerner que le Royaume-Uni. Si l’Igas se félicite dans son rapport du développement de consultations spécialisées en milieu hospitalier (en 2018, on en comptait neuf, dont trois à Paris), elle regrette que « toutes les régions ne [soient] pas couvertes et les services existants saturés, avec souvent des […] délais importants ». En dehors du milieu hospitalier, même constat : si des praticiens formés aux problématiques trans (en ville, dans les Maisons des adolescents) apportent des réponses en dehors des consultations spécialisées, celles-ci seraient encore « trop modestes ».

En 2010, la France avait été le premier pays au monde à avoir retiré le « transsexualisme » et les « troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affections psychiatriques. Mais en creux de cette décision avant-gardiste est venue se cristalliser une défiance à l’égard du corps médical et a fortiori des psychiatres. Bien que l’implication de ces derniers ne soit plus exigée dans un parcours de transition, elle conditionne encore de façon tacite le démarrage d’une hormonothérapie pour bon nombre d’endocrinologues. « Un suivi psychiatrique n’est pas obligatoire pour tout le monde, mais nous devons rester modestes. Nous pouvons passer à côté d’autres pathologies qui pourraient interagir avec les médicaments que nous sommes susceptibles de prescrire », souligne ainsi le Dr Brigitte Anton-Kuchly, endocrinologue à Nantes. Il faut par exemple s’assurer, explique-t-elle, que les personnes ayant éventuellement des troubles psychotiques soient suivies, traitées ou en tout cas stabilisées avant d’envisager la mise en place d’un traitement hormonal. « Dans mon expérience, les refus définitifs de transition ont été très rares. Le plus souvent, nous demandons au patient de prendre le temps de réfléchir », explique Sophie Boulon, psychiatre ayant suivi des personnes trans pendant plus de dix ans en milieu hospitalier avant de reprendre une activité libérale. « C’est parfois compliqué à gérer. Certains, très en souffrance, menacent de se suicider si la réponse n’est pas immédiate. »

Système D, cryptomonnaies et vrai danger

Et si d’aventure, le psychiatre ou l’endocrinologue se montre trop prudent, certains patients désemparés empruntent la voie de l’automédication. Quitte à faire fi des potentiels risques pour leur santé… Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les appels à la solidarité, faute d’ordonnance : « Si jamais quelqu’un a moyen de partager son ampoule [de testostérone], ou d’en décaler une. » Le problème, c’est que cette substance peut augmenter la viscosité sanguine et la tension, provoquer des anomalies au niveau du foie ou au niveau lipidique. « Cela doit être particulièrement surveillé pendant la première année de traitement, notamment parce que l’on va augmenter les dosages progressivement », alerte l’endocrinologue Brigitte Anton-Kuchly.

De la même façon, quelques clics suffisent pour se procurer des hormones féminisantes. Le site OELabs, « projet porté par des personnes transidentitaires », impliquant « deux médecins et un pharmacien », propose des traitements hormonaux substitutifs féminins « de qualité pharmaceutique ». Leurs solutions d’œstrogène injectables (valérate et énanthate d’estradiol) coûtent de 45 à 69 euros, payables en cryptomonnaies. En prime, un dosage « conseill[é] » de façon arbitraire, le site précisant qu’il dépend notamment de « votre ressenti ». Si la dernière commande remonte, selon les avis clients, à septembre 2022, les ventes sont suspendues « jusqu’à nouvel ordre », et les produits en rupture de stock.

Sollicitée au sujet de ces produits, Brigitte Anton-Kuchly est formelle : « Conseiller un dosage sans avoir vu le patient pour identifier d’éventuelles comorbidités ou facteurs de risque ni effectué un bilan hormonal complet peut être dangereux pour la santé ! De plus, prescrire des œstrogènes en injection comporte des risques de thrombose veineuse, voire d’embolie pulmonaire. Sans compter la possibilité que le produit soit frelaté. » Selon le site commerçant, ses fournisseurs de matières premières respectent bien « tous les réglementations de la pharmacopée européenne ». A un détail près : les molécules d’œstrogènes contenues dans les solutions, elles, proviennent de Chine et ne bénéficient pas d’un certificat fournisseur, mais d’une vérification faite par… un « laboratoire extérieur ».

Zones d’ombre

Face au fragile équilibre qu’autorités sanitaires, spécialistes et services spécialisés tentent de maintenir entre accompagnement et prévention, certaines problématiques nécessitant des réponses se multiplient. Notamment au sein du centre spécialisé dans l’autisme du CHU de Limoges. Son directeur, le psychiatre Eric Lemonnier, a en effet observé depuis plus d’un an une recrudescence des questionnements chez ses patients quant à leur identité de genre : « Les personnes autistes ayant des difficultés à intégrer les codes sociaux liés au genre peuvent avoir le sentiment que la définition de la transidentité leur correspond, et que changer de genre serait une solution magique. »

Certes, il est bien sûr possible d’être à la fois atteint d’un trouble du spectre autistique et de dysphorie de genre, mais il est nécessaire, selon le spécialiste, de « s’assurer qu’il n’y a pas de confusion entre les deux pathologies, via un accompagnement psychologique ou psychiatrique. Sans quoi, certaines personnes autistes pourraient bien entamer des hormonothérapies, voire des chirurgies, dont elles n’ont pas besoin. » Et le regretter amèrement par la suite.

 

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