Twitter : le tournant politique d’Elon Musk

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Twitter : le tournant politique d’Elon Musk

Read More  Un matin de décembre 2022, Musk pianote un tweet : « Mes pronoms sont Jugez/Fauci. » Attaque en règle contre la politique anti-Covid menée par l’ancien conseiller santé de la Maison-Blanche, Anthony Fauci. Et un dédain affiché pour les personnes transgenres qui précisent parfois dans leur profil à quels pronoms elles s’identifient. Ce persiflage à double lame récolte 1,2 million de « likes » et révulse un camp démocrate impuissant. Musk est le nouveau prince du royaume : quelques semaines plus tôt, l’homme de l’année 2021, selon Time, a mis sur la table 44 milliards de dollars pour s’offrir Twitter. Inscrit sur le réseau depuis une décennie, Musk en a toujours été un utilisateur assidu. C’est l’un des rares patrons à y partager sa vie entière, du matin au soir.Une bonne part de ses publications sont consacrées à ses affaires florissantes : Tesla, pionnier de l’automobile électrique, SpaceX aux visées martiennes, ou encore Neuralink, spécialisée dans les biotechnologies. Comme le racontent Béatrice Mathieu, de L’Express, et Emmanuel Botta dans l’excellent livre-enquête Elon Musk à paraître le 17 mai chez Robert Laffont dont nous publions ici des passages exclusifs, Musk aime flirter avec la ligne jaune. Une blague sur une possible sortie de la Bourse de Tesla, publié en 2018 sur Twitter, lui a ainsi coûté… 20 millions de dollars d’amende, infligée par le gendarme des marchés financiers, la SEC. Mais son fil est également peuplé de puissantes pensées domestiques. « Dimanche matin : faire ou ne pas faire des cookies… » : 12 000 likes, tout de même. Sa communauté compte 138 millions d’abonnés, record mondial. Cinq millions de plus qu’Obama. Davantage que Trump et Biden réunis. Une armée de fans aux yeux desquels il passe souvent pour un prophète, un héros inspirant. Un Iron Man échappé des comics. »Aucune légitimité diplomatique »Aux photos de fusées et plaisanteries potaches se sont ajoutés ces derniers mois des messages plus politiques. Le tweet sur Fauci n’est pas un cas isolé. Un jour, il relaie une théorie complotiste sur le mari de la cheffe des démocrates Nancy Pelosi, avant de supprimer sa publication. L’autre, il déclare sa flamme au candidat républicain, le (très) conservateur Ron DeSantis. En octobre, il publie également un ahurissant sondage invitant les internautes à voter pour ou contre un plan de paix entre Kiev et Moscou, reprenant certaines revendications poutiniennes. Fureur des Ukrainiens, stupéfaction des observateurs. « Elon Musk n’a aucune légitimité diplomatique », rappelle Charleyne Biondi, conseillère en politiques du numérique à l’Institut Montaigne.LIRE AUSSI >> Elon Musk, ses derniers projets pour l’humanitéCette sortie est toutefois révélatrice de l’influence qu’il a gagnée dans le champ géopolitique. Pendant longtemps, sa connexion satellitaire Starlink ne faisait rêver que les geeks peuplant les nombreuses zones blanches des Etats-Unis. La guerre en Ukraine a montré que cette constellation était bien davantage qu’un produit de substitution : un outil stratégique pour communiquer en zone de guerre. Quant aux lanceurs de SpaceX, ils ont permis aux Américains de ne plus dépendre des Russes pour les vols habités. L’US Air Force voit plus loin, qui espère un jour, grâce à eux, déplacer à grande vitesse matériels et soldats sur tous les points chauds du globe.Le dernier « joujou » de Musk n’est pas le moins chargé politiquement. « Twitter ne pèse que 5 % de l’activité des réseaux sociaux mondiaux mais il est particulièrement influent et connecté à l’actualité », pointe Bruno Breton, PDG de Bloom, qui scrute le babillage mondial. C’est en 2016, pendant la campagne opposant Donald Trump à Hillary Clinton, que l’oiseau bleu a fait son nid dans le débat d’idées. En juin 2022, d’après le Pew Research Center, 30 % des échanges sur Twitter portaient sur la politique. »Il ne s’agit pas seulement d’électeurs de l’extrême droite trumpiste et libertarienne. Twitter a d’abord été, et reste toujours, un relais essentiel pour les idées les plus à gauche du Parti démocrate », souligne Charleyne Biondi. Black Lives Matter, MeToo… C’est sur Twitter que ces mouvements ont émergé, avant d’être repris par les médias traditionnels. Aujourd’hui, « faire une annonce par un tweet plutôt que par voie de presse est devenu courant pour les personnalités publiques », relève Alban Saint-Joigny, manager de Backbone Consulting, un cabinet de conseil aux dirigeants. Les fonctions tag (@) et hashtag (#) permettent de s’interpeller directement et de s’inviter dans toutes les conversations.Dénoncer les failles du système, pour mieux les comblerL’achat de Twitter est sans nul doute un joli coup politique. Musk aurait-il des ambitions secrètes en ce domaine ? C’est peu probable. Né en Afrique du Sud, il ne peut prétendre à la présidence américaine. Sa ligne politique est, du reste, mouvante. En avril 2022, l’entrepreneur avait publié un schéma de son positionnement, se plaçant au centre gauche en 2008, au début de l’ère Obama, puis dérivant vers le centre droit, à mesure que les pôles de droite et de gauche s’éloignaient, y compris depuis l’élection de Trump en 2016. Après son récent soutien à Ron DeSantis, il a aussitôt ajouté être « ouvert à l’idée de revoter démocrate un jour ». Comprenne qui pourra…Plus que le choix d‘un camp, c’est son installation en Californie qui s’est d’abord révélée déterminante dans son parcours. « Intellectuellement, Musk doit beaucoup à la Silicon Valley », souligne le sociologue Olivier Alexandre, chargé de recherche au CNRS et auteur de La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde (Seuil). « Il se retrouve au bon endroit, au bon moment : au milieu des années 90 à l’université de Stanford, au cœur de cette région, juste avant la démocratisation d’Internet. Il gagne sa première fortune dans le logiciel avec cette idée que cette technologie serait une révolution. Il est alors loin d’être le seul dans ce cas. » Ce gimmick californien – l’entrepreneur star aux grandes ambitions – l’emporte alors sur le reste.Sa rencontre avec Peter Thiel, au tournant de l’an 2000, achève sa construction idéologique. En plus de fonder avec lui PayPal, qui l’emmène vers les hautes sphères de cette élite tech en pleine construction, Musk embrasse avec ce dernier les principes libertariens de la philosophe Ayn Rand. « Une sorte d’anarchisme de droite, de libéralisme extrême sur le plan social et d’opportunisme économique », décrypte Olivier Alexandre. Cette conception du monde est aujourd’hui poussée à l’extrême avec Twitter, où il défend une expression sans limites (sauf pour ceux qui le critiquent). »Ce qui anime Elon Musk par-dessus tout, c’est de pointer sans cesse les failles du système », décrypte Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po et spécialiste des Big Tech. Et, si possible, via ses différents business, de les combler. « Il remplit un vide politique généralisé sur la question du futur. Il donne un horizon, une finalité, un objectif », analyse l’experte, notamment sur la question de la survie de l’humanité avec SpaceX. Sur la lutte contre le réchauffement climatique avec Tesla. Et selon lui, sur le futur de la démocratie, avec Twitter. Au risque, cependant, de menacer ses propres affaires, notamment Tesla, par ses positions clivantes.Péril sur le business »Plus Elon Musk se politise sur Twitter, plus il aura de mal à vendre des voitures électriques à un large public », avertissait dans une note Daniel Ives, analyste de Wedbush Securities, en janvier. Passé l’engouement des débuts, l’arrivée de Musk à la tête du réseau a sérieusement refroidi une partie des annonceurs et des utilisateurs. Ces derniers sont inquiets de voir sa vision maximaliste de la liberté d’expression faire le lit des discours haineux, alors que 90 % des employés ont été remerciés.Le nouveau système de certification des comptes n’a rien pour les rassurer : l’identité du twitto n’est pas contrôlée, il suffit de payer pour bénéficier du badge « Vérifié ». Une aubaine pour les trolls et autres propagateurs d’intox, ou de simples inconnus qui peuvent désormais se rêver prescripteurs, grâce au gain de visibilité accordé par le macaron. « Avant l’arrivée de Musk, Twitter était le réseau social le plus avancé sur la collaboration avec les chercheurs, les partages de données, afin de mettre en place des dispositifs de modération efficaces, sauvegarder des espaces de discussion sains… Il a tout cassé », regrette Nikos Smyrnaios, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulouse. A l’heure, où l’ancien fondateur de Twitter, Jack Dorsey, lance Bluesky, une nouvelle plateforme très inspirée de l’oiseau bleu, le succès d’Elon Musk dans les réseaux sociaux se fait donc plus incertain. Conquérir les cœurs et les âmes est autrement plus complexe que d’envoyer des humains sur Mars. 

Un matin de décembre 2022, Musk pianote un tweet : « Mes pronoms sont Jugez/Fauci. » Attaque en règle contre la politique anti-Covid menée par l’ancien conseiller santé de la Maison-Blanche, Anthony Fauci. Et un dédain affiché pour les personnes transgenres qui précisent parfois dans leur profil à quels pronoms elles s’identifient. Ce persiflage à double lame récolte 1,2 million de « likes » et révulse un camp démocrate impuissant. Musk est le nouveau prince du royaume : quelques semaines plus tôt, l’homme de l’année 2021, selon Time, a mis sur la table 44 milliards de dollars pour s’offrir Twitter. Inscrit sur le réseau depuis une décennie, Musk en a toujours été un utilisateur assidu. C’est l’un des rares patrons à y partager sa vie entière, du matin au soir.

Une bonne part de ses publications sont consacrées à ses affaires florissantes : Tesla, pionnier de l’automobile électrique, SpaceX aux visées martiennes, ou encore Neuralink, spécialisée dans les biotechnologies. Comme le racontent Béatrice Mathieu, de L’Express, et Emmanuel Botta dans l’excellent livre-enquête Elon Musk à paraître le 17 mai chez Robert Laffont dont nous publions ici des passages exclusifs, Musk aime flirter avec la ligne jaune. Une blague sur une possible sortie de la Bourse de Tesla, publié en 2018 sur Twitter, lui a ainsi coûté… 20 millions de dollars d’amende, infligée par le gendarme des marchés financiers, la SEC. Mais son fil est également peuplé de puissantes pensées domestiques. « Dimanche matin : faire ou ne pas faire des cookies… » : 12 000 likes, tout de même. Sa communauté compte 138 millions d’abonnés, record mondial. Cinq millions de plus qu’Obama. Davantage que Trump et Biden réunis. Une armée de fans aux yeux desquels il passe souvent pour un prophète, un héros inspirant. Un Iron Man échappé des comics.

« Aucune légitimité diplomatique »

Aux photos de fusées et plaisanteries potaches se sont ajoutés ces derniers mois des messages plus politiques. Le tweet sur Fauci n’est pas un cas isolé. Un jour, il relaie une théorie complotiste sur le mari de la cheffe des démocrates Nancy Pelosi, avant de supprimer sa publication. L’autre, il déclare sa flamme au candidat républicain, le (très) conservateur Ron DeSantis. En octobre, il publie également un ahurissant sondage invitant les internautes à voter pour ou contre un plan de paix entre Kiev et Moscou, reprenant certaines revendications poutiniennes. Fureur des Ukrainiens, stupéfaction des observateurs. « Elon Musk n’a aucune légitimité diplomatique », rappelle Charleyne Biondi, conseillère en politiques du numérique à l’Institut Montaigne.

Cette sortie est toutefois révélatrice de l’influence qu’il a gagnée dans le champ géopolitique. Pendant longtemps, sa connexion satellitaire Starlink ne faisait rêver que les geeks peuplant les nombreuses zones blanches des Etats-Unis. La guerre en Ukraine a montré que cette constellation était bien davantage qu’un produit de substitution : un outil stratégique pour communiquer en zone de guerre. Quant aux lanceurs de SpaceX, ils ont permis aux Américains de ne plus dépendre des Russes pour les vols habités. L’US Air Force voit plus loin, qui espère un jour, grâce à eux, déplacer à grande vitesse matériels et soldats sur tous les points chauds du globe.

Le dernier « joujou » de Musk n’est pas le moins chargé politiquement. « Twitter ne pèse que 5 % de l’activité des réseaux sociaux mondiaux mais il est particulièrement influent et connecté à l’actualité », pointe Bruno Breton, PDG de Bloom, qui scrute le babillage mondial. C’est en 2016, pendant la campagne opposant Donald Trump à Hillary Clinton, que l’oiseau bleu a fait son nid dans le débat d’idées. En juin 2022, d’après le Pew Research Center, 30 % des échanges sur Twitter portaient sur la politique.

« Il ne s’agit pas seulement d’électeurs de l’extrême droite trumpiste et libertarienne. Twitter a d’abord été, et reste toujours, un relais essentiel pour les idées les plus à gauche du Parti démocrate », souligne Charleyne Biondi. Black Lives Matter, MeToo… C’est sur Twitter que ces mouvements ont émergé, avant d’être repris par les médias traditionnels. Aujourd’hui, « faire une annonce par un tweet plutôt que par voie de presse est devenu courant pour les personnalités publiques », relève Alban Saint-Joigny, manager de Backbone Consulting, un cabinet de conseil aux dirigeants. Les fonctions tag (@) et hashtag (#) permettent de s’interpeller directement et de s’inviter dans toutes les conversations.

Dénoncer les failles du système, pour mieux les combler

L’achat de Twitter est sans nul doute un joli coup politique. Musk aurait-il des ambitions secrètes en ce domaine ? C’est peu probable. Né en Afrique du Sud, il ne peut prétendre à la présidence américaine. Sa ligne politique est, du reste, mouvante. En avril 2022, l’entrepreneur avait publié un schéma de son positionnement, se plaçant au centre gauche en 2008, au début de l’ère Obama, puis dérivant vers le centre droit, à mesure que les pôles de droite et de gauche s’éloignaient, y compris depuis l’élection de Trump en 2016. Après son récent soutien à Ron DeSantis, il a aussitôt ajouté être « ouvert à l’idée de revoter démocrate un jour ». Comprenne qui pourra…

Plus que le choix d‘un camp, c’est son installation en Californie qui s’est d’abord révélée déterminante dans son parcours. « Intellectuellement, Musk doit beaucoup à la Silicon Valley », souligne le sociologue Olivier Alexandre, chargé de recherche au CNRS et auteur de La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde (Seuil). « Il se retrouve au bon endroit, au bon moment : au milieu des années 90 à l’université de Stanford, au cœur de cette région, juste avant la démocratisation d’Internet. Il gagne sa première fortune dans le logiciel avec cette idée que cette technologie serait une révolution. Il est alors loin d’être le seul dans ce cas. » Ce gimmick californien – l’entrepreneur star aux grandes ambitions – l’emporte alors sur le reste.

Sa rencontre avec Peter Thiel, au tournant de l’an 2000, achève sa construction idéologique. En plus de fonder avec lui PayPal, qui l’emmène vers les hautes sphères de cette élite tech en pleine construction, Musk embrasse avec ce dernier les principes libertariens de la philosophe Ayn Rand. « Une sorte d’anarchisme de droite, de libéralisme extrême sur le plan social et d’opportunisme économique », décrypte Olivier Alexandre. Cette conception du monde est aujourd’hui poussée à l’extrême avec Twitter, où il défend une expression sans limites (sauf pour ceux qui le critiquent).

« Ce qui anime Elon Musk par-dessus tout, c’est de pointer sans cesse les failles du système », décrypte Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po et spécialiste des Big Tech. Et, si possible, via ses différents business, de les combler. « Il remplit un vide politique généralisé sur la question du futur. Il donne un horizon, une finalité, un objectif », analyse l’experte, notamment sur la question de la survie de l’humanité avec SpaceX. Sur la lutte contre le réchauffement climatique avec Tesla. Et selon lui, sur le futur de la démocratie, avec Twitter. Au risque, cependant, de menacer ses propres affaires, notamment Tesla, par ses positions clivantes.

Péril sur le business

« Plus Elon Musk se politise sur Twitter, plus il aura de mal à vendre des voitures électriques à un large public », avertissait dans une note Daniel Ives, analyste de Wedbush Securities, en janvier. Passé l’engouement des débuts, l’arrivée de Musk à la tête du réseau a sérieusement refroidi une partie des annonceurs et des utilisateurs. Ces derniers sont inquiets de voir sa vision maximaliste de la liberté d’expression faire le lit des discours haineux, alors que 90 % des employés ont été remerciés.

Le nouveau système de certification des comptes n’a rien pour les rassurer : l’identité du twitto n’est pas contrôlée, il suffit de payer pour bénéficier du badge « Vérifié ». Une aubaine pour les trolls et autres propagateurs d’intox, ou de simples inconnus qui peuvent désormais se rêver prescripteurs, grâce au gain de visibilité accordé par le macaron. « Avant l’arrivée de Musk, Twitter était le réseau social le plus avancé sur la collaboration avec les chercheurs, les partages de données, afin de mettre en place des dispositifs de modération efficaces, sauvegarder des espaces de discussion sains… Il a tout cassé », regrette Nikos Smyrnaios, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulouse. A l’heure, où l’ancien fondateur de Twitter, Jack Dorsey, lance Bluesky, une nouvelle plateforme très inspirée de l’oiseau bleu, le succès d’Elon Musk dans les réseaux sociaux se fait donc plus incertain. Conquérir les cœurs et les âmes est autrement plus complexe que d’envoyer des humains sur Mars.

 

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