Read More Publié le 5 mai 2023 à 7:54Mis à jour le 5 mai 2023 à 8:58La guerre fait rage. Celle-là ne se déroule pas sur les frontières de l’Ukraine mais plus douillettement sur les bancs des universités occidentales. On censure, on exclut, on casse le matériel en tentant de briser les esprits. Caroline Eliacheff et Sylviane Agacinski en ont fait l’expérience. La représentation d’une pièce d’Eschyle a été empêchée à la Sorbonne pour crime d’« ethnohiérarchie ». Cette guerre-là est celle qui oppose les « wokes » et les « réacs », le camp des réacs se définissant à peu près comme LFI définit l’extrême droite : tout ce qui ne pense pas comme elle.Cette expression de woke et de réacs est utilisée par les auteurs de « L’entreprise face aux revendications identitaires ». Brice Couturier et Erell Thevenon s’intéressent en effet à l’entreprise comme nouveau territoire d’extension du « wokisme ». Outre un point passionnant sur la façon dont ce mouvement est né aux Etats-Unis et s’étend de ce côté de l’Atlantique, il a l’intérêt d’essayer d’aider l’entreprise à y apporter des réponses.Des exercices de mise en situationAu-delà d’un radicalisme prosélyte, il reste un espace pour pratiquer une politique « sereine » de diversité et d’intégration. Le livre se conclut même par une sorte de vade-mecum, des « exercices de mise en situation ». Comment réagir à telle situation, par exemple, que faire, à part s’arracher les cheveux, si un petit groupe de salariées se réclamant d’un féminisme radical pose un interdit sur la notion de méritocratie, ou si face à une sanction, l’accusation de racisme ou de discrimination est brandie. Les exemples cités sont légion, puisés aux sources d’une enquête menée auprès de dirigeants et de DRH de grands groupes comme de PME.Génération offensée, cette génération que l’on n’avait pas vu venirCorps social par excellence, il eut été anormal que l’entreprise ne soit pas confrontée à ce phénomène dit « woke ». Rappelons que l’idéologie radicale « woke », critiquée par les auteurs, « réduit toute relation sociale à un rapport de force entre oppresseurs et opprimés et assigne les individus à des catégories de victimes définies selon des critères identitaires (couleur de peau, genre, orientation sexuelle) et exigeant à ce titre des avantages particuliers ». Au panier, les notions réactionnaires d’universalisme et d’intérêt général ou collectif ! « L’entreprise universaliste est celle dans laquelle les personnes sont appréciées en fonction de ce qu’elles font et non de ce qu’elles sont. »Pour l’entreprise, le danger se dessine de perdre de vue ses objectifs économiques et de mettre la folie furieuse au programme : « Aux Etats-Unis, on en est quand même à prétendre que l’assiduité au travail relève de la culture blanche ! N’est-ce pas une position raciste qui sous-entend que les Noirs ont l’habitude d’arriver en retard ? »Patrons ou directeurs de conscienceDans leur revue des entreprises « woke » aux Etats-Unis, les auteurs assistent étonnés à la mue de certains patrons en « directeurs de conscience », voire en militants politiques. C’est le « virtue signaling » (vertu ostentatoire) : « Il est plus facile de se poser en défenseur des minorités que d’augmenter les salaires. » Le livre cite un éditorialiste du « New York Times » à propos de la menace lancée par le patron d’Apple de boycotter l’Indiana, qui venait d’autoriser les restaurants à refuser d’accueillir les repas de noces de mariages homos : « Plus facile que de recourir à une main-d’oeuvre sous-payée dans des pays du monde beaucoup moins tolérants que l’Indiana. » Ah, que c’est dur d’être vertueux ! De son côté, Gillette entend « défier la masculinité toxique », on aura tout vu.Capitalisme woke : quand l’entreprise fait de la politiqueLes auteurs soulignent d’ailleurs le risque de voir les filiales françaises de groupes américains devenir un « cheval de Troie » du wokisme américain. On ne pourra pas toujours se rassurer d’un « ce n’est pas notre culture », même si notre laïcité nous protège des croyances, et que l’antiracisme à l’américaine est beaucoup moins enraciné qu’en France. N’empêche, l’écriture inclusive est de plus en plus utilisée, les pronoms him/iel/her font leur apparition dans les signatures de mails. On abat des statues.Bref, on s’y met, même si la journaliste Valérie Toranian rappelle utilement : « L’entreprise n’est pas la République. Elle a pour but de faire du commerce. » Le problème est qu’elle a un talon d’Achille, son image de marque. Un « shitstorm » est vite arrivé. Alors on veut donner des gages, c’est le wokisme, non pas, dans l’entreprise, mais de l’entreprise, tel Louboutin exposant Assa Traoré. Des banques proposent à leurs clients de supprimer la civilité sur leur carte bancaire, une micro-agression est vite arrivée.Réunions en non-mixitéL’entreprise doit quand même veiller à ne pas se couper de ses collaborateurs et clients. La voie est étroite : « Le wokisme de surface est un art à manier avec finesse. Le malaise de ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’idéologie ou se sentent attaqués peut conduire à leur démobilisation. » Les réunions de salariées en « non-mixité » ne sont pas forcément populaires. Le président d’un groupe international tente de remettre les pendules à l’heure : « L’entreprise est au service de ses clients, ses actionnaires, ses collaborateurs, elle n’est pas au service de communautés. » « La ligne est fine entre sincérité et mascarade », renchérit Pascal Bruckner. Très fine en effet.PUF, 212 pages, 15 euros.Comment réagir face aux défis de la transition énergétique ? Comment se positionner dans un environnement économique et politique instable ? Comment exploiter au mieux les opportunités d’innovation dans chaque secteur ? Au quotidien, à travers nos décryptages, enquêtes, chroniques, revues de presses internationales et éditos, nous accompagnons nos abonnés en leur donnant les clés pour s’adapter à un environnement complexe.Je découvre les offres
Publié le 5 mai 2023 à 7:54Mis à jour le 5 mai 2023 à 8:58
La guerre fait rage. Celle-là ne se déroule pas sur les frontières de l’Ukraine mais plus douillettement sur les bancs des universités occidentales. On censure, on exclut, on casse le matériel en tentant de briser les esprits. Caroline Eliacheff et Sylviane Agacinski en ont fait l’expérience. La représentation d’une pièce d’Eschyle a été empêchée à la Sorbonne pour crime d’« ethnohiérarchie ». Cette guerre-là est celle qui oppose les « wokes » et les « réacs », le camp des réacs se définissant à peu près comme LFI définit l’extrême droite : tout ce qui ne pense pas comme elle.
Cette expression de woke et de réacs est utilisée par les auteurs de « L’entreprise face aux revendications identitaires ». Brice Couturier et Erell Thevenon s’intéressent en effet à l’entreprise comme nouveau territoire d’extension du « wokisme ». Outre un point passionnant sur la façon dont ce mouvement est né aux Etats-Unis et s’étend de ce côté de l’Atlantique, il a l’intérêt d’essayer d’aider l’entreprise à y apporter des réponses.
Des exercices de mise en situation
Au-delà d’un radicalisme prosélyte, il reste un espace pour pratiquer une politique « sereine » de diversité et d’intégration. Le livre se conclut même par une sorte de vade-mecum, des « exercices de mise en situation ». Comment réagir à telle situation, par exemple, que faire, à part s’arracher les cheveux, si un petit groupe de salariées se réclamant d’un féminisme radical pose un interdit sur la notion de méritocratie, ou si face à une sanction, l’accusation de racisme ou de discrimination est brandie. Les exemples cités sont légion, puisés aux sources d’une enquête menée auprès de dirigeants et de DRH de grands groupes comme de PME.
Corps social par excellence, il eut été anormal que l’entreprise ne soit pas confrontée à ce phénomène dit « woke ». Rappelons que l’idéologie radicale « woke », critiquée par les auteurs, « réduit toute relation sociale à un rapport de force entre oppresseurs et opprimés et assigne les individus à des catégories de victimes définies selon des critères identitaires (couleur de peau, genre, orientation sexuelle) et exigeant à ce titre des avantages particuliers ». Au panier, les notions réactionnaires d’universalisme et d’intérêt général ou collectif ! « L’entreprise universaliste est celle dans laquelle les personnes sont appréciées en fonction de ce qu’elles font et non de ce qu’elles sont. »
Pour l’entreprise, le danger se dessine de perdre de vue ses objectifs économiques et de mettre la folie furieuse au programme : « Aux Etats-Unis, on en est quand même à prétendre que l’assiduité au travail relève de la culture blanche ! N’est-ce pas une position raciste qui sous-entend que les Noirs ont l’habitude d’arriver en retard ? »
Patrons ou directeurs de conscience
Dans leur revue des entreprises « woke » aux Etats-Unis, les auteurs assistent étonnés à la mue de certains patrons en « directeurs de conscience », voire en militants politiques. C’est le « virtue signaling » (vertu ostentatoire) : « Il est plus facile de se poser en défenseur des minorités que d’augmenter les salaires. » Le livre cite un éditorialiste du « New York Times » à propos de la menace lancée par le patron d’Apple de boycotter l’Indiana, qui venait d’autoriser les restaurants à refuser d’accueillir les repas de noces de mariages homos : « Plus facile que de recourir à une main-d’oeuvre sous-payée dans des pays du monde beaucoup moins tolérants que l’Indiana. » Ah, que c’est dur d’être vertueux ! De son côté, Gillette entend « défier la masculinité toxique », on aura tout vu.
Les auteurs soulignent d’ailleurs le risque de voir les filiales françaises de groupes américains devenir un « cheval de Troie » du wokisme américain. On ne pourra pas toujours se rassurer d’un « ce n’est pas notre culture », même si notre laïcité nous protège des croyances, et que l’antiracisme à l’américaine est beaucoup moins enraciné qu’en France. N’empêche, l’écriture inclusive est de plus en plus utilisée, les pronoms him/iel/her font leur apparition dans les signatures de mails. On abat des statues.
Bref, on s’y met, même si la journaliste Valérie Toranian rappelle utilement : « L’entreprise n’est pas la République. Elle a pour but de faire du commerce. » Le problème est qu’elle a un talon d’Achille, son image de marque. Un « shitstorm » est vite arrivé. Alors on veut donner des gages, c’est le wokisme, non pas, dans l’entreprise, mais de l’entreprise, tel Louboutin exposant Assa Traoré. Des banques proposent à leurs clients de supprimer la civilité sur leur carte bancaire, une micro-agression est vite arrivée.
Réunions en non-mixité
L’entreprise doit quand même veiller à ne pas se couper de ses collaborateurs et clients. La voie est étroite : « Le wokisme de surface est un art à manier avec finesse. Le malaise de ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’idéologie ou se sentent attaqués peut conduire à leur démobilisation. »
Les réunions de salariées en « non-mixité » ne sont pas forcément populaires. Le président d’un groupe international tente de remettre les pendules à l’heure : « L’entreprise est au service de ses clients, ses actionnaires, ses collaborateurs, elle n’est pas au service de communautés. » « La ligne est fine entre sincérité et mascarade », renchérit Pascal Bruckner. Très fine en effet.
PUF, 212 pages, 15 euros.
Comment réagir face aux défis de la transition énergétique ? Comment se positionner dans un environnement économique et politique instable ? Comment exploiter au mieux les opportunités d’innovation dans chaque secteur ? Au quotidien, à travers nos décryptages, enquêtes, chroniques, revues de presses internationales et éditos, nous accompagnons nos abonnés en leur donnant les clés pour s’adapter à un environnement complexe.
« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »