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Attention ! On double !

[par Yana Grinshpun]

  1. Dementiae symmetriarum ratiocinationes.

La nouvelle circulaire du ministre soucieux de l’avenir de nos enfants, et maintenant nos enfantes, préconise 

« Il est également demandé de recourir à des formulations telles que « le candidat ou la candidate » afin de ne pas marquer de préférence de genre, ou à des formules telles que « les inspecteurs et les inspectrices de l’éducation nationale » pour rappeler la place des femmes dans toutes les fonctions » (ici).

Avant l’entrée en lice de l’idéologie inclusive, dont le but est de détruire les fondements de la langue commune, aucun linguiste, ni aucun locuteur de la langue n’aurait pensé que l’utilisation de la forme du masculin neutre aurait un quelconque rapport avec « la place des femmes dans toutes les fonctions ». Aucune enseignante ne s’imaginait que la salle des enseignants lui était interdite et sa place volée par les prédateurs mâles. Aucune étudiante ne s’arrêtait net, le ventre serré, devant une cantine pour étudiants. Je n’ai pas reculé en 2006 devant un poste de Maître de Conférences en Sciences du Langage, arrêtée par la forme morphologique masculine de « maître », qui selon la circulaire, ne m’y laisserait pas accès. Mes amies étaient recrutées sur le poste de chef de service par les grands hôpitaux parisiens. Elles ont beau être nommées cheffes aujourd’hui, ce phénomène est postérieur à leur recrutement. Mon médecin est une dame très compétente, l’absence du doublon « médecine » ne l’empêche pas d’exercer son métier depuis 30 ans. 

Le mot « genre » en grammaire, ne correspond pas au sens que lui donnent certains courants féministes par contamination avec gender. « Genre » en linguistique renvoie à la manière dont s’organise le lexique des langues.

C’est donc une faute de raisonnement, ou carrément un mensonge idéologique, que de dire que  le titre au féminin ouvrirait des voies auparavant fermées aux pauvres victimes du monde cis-hétéropatriarcal. Mais le problème n’est pas uniquement dans les titre et leur féminisation qui a déjà eu lieu et qui ont servi de cheval de Troie;  il est surtout dans la préconisation de doublons, dans la recommandation de binarité qui relève d’un symptôme de dementiae symmetriarum ratiocinationes.

Cette préconisation du ministre, soucieux de sauver la langue, fait exactement le contraire de ce qu’il essaie de faire : elle la détruit. L’obsession de binarité va à l’encontre du fonctionnement normal du français et de la plupart des langues du monde, où la forme morphologique du masculin, qu’on appelle également « non-marquée » fonctionne comme une forme générique. 

  1. L’écriture inclusive -formule confuse

La confusion commence avec la définition, ou plus exactement la non-définition de ce qu’est «l’écriture inclusive ».

L’expression « écriture inclusive » ne renvoie pas seulement à un type d’écriture, mais à un ensemble de phénomènes d’ordres différents. L’ « écriture inclusive » est, de ce fait, un embrouillamini sémantique, car elle englobe le lexique (la féminisation des noms de métiers), l’orthographe (la préconisation d’utiliser des marques du féminin chaque fois qu’une forme de masculin est utilisée à l’écrit), le phénomène morpho-syntaxique des accords adjectivaux concernant des mots de genres différents au sein du même groupe nominal.

Si les auteurs de la circulaire pensent avoir interdit l’écriture inclusive, ils n’ont fait qu’entériner ce contre quoi ils prétendent lutter. Car l’écriture inclusive n’est pas que le point médian.

  1. Le masculin « s’invisibilise » dans le neutre

Imaginons un instant tout ce qu’il faudra réécrire à la lumière de ce texte ministériel. Si on le prend au pied de la lettre, l’énoncé L’homme est mortel est sexiste, car il suppose que la femme ne l’est pas. Je ne saurai dire contre qui est tourné ce sexisme : contre les femmes à qui l’on refuse le droit de mort, ou contre les mâles à qui l’on déclare leur triste destinée. Quel que soit le cas de figures, on sent que la Bible et les ouvrages d’anthropologie seront voués au passage sous les fourches caudines des inclusivistes.

Je laisse la parole à Eugenio Coseriu pour que personne ne pense qu’il s’agit de mes « opinions personnelles sur la langue ».

« Leur [ des signes] rapport correspond souvent à la formule : non-A/A, dans laquelle le terme A est caractérisé en tant que tel, tandis que le terme non-A n’est caractérisé que négativement par rapport au terme A, en tant que « ce qui n’est pas déterminé comme A », de sorte qu’il peut être le contraire proprement dit du terme A, mais il peut aussi englober ce terme […] Cela implique que le terme « négatif » (appelé aussi « neutre », « non-marqué », ou « extensif ») fonctionne concrètement comme deux signifiés de langue : un signifié qui est le contraire du terme « positif » (appelé aussi « marqué », ou « intensif ») et un autre qui correspond à la valeur de base  de l’opposition respective et qui englobe la zone de signifié correspondant au terme positif, l’opposition même entre les deux termes étant en ce cas suspendue […]. Femme est, dans l’opposition femme/homme, le terme positivement marqué, ne s’appliquant, sauf métaphore qu’aux êtres humains adultes de sexe féminin, tandis qu’homme y est le terme neutre ou extensif, pouvant s’appliquer aussi bien aux êtres humains de sexe masculin (hommes et femmes), qu’aux êtres humains en général. En grammaire, le singulier et souvent, dans nos langues, terme neutre par rapport au pluriel, pouvant s’appliquer aussi à la pluralité (Le Français est loyal, l’Espagnol est généreux), et, de la même façon le masculin est extensif par rapport au féminin : étudiante s’applique exclusivement à des personnes de sexe féminin, tandis que étudiant, et plus encore son pluriel étudiants, s’appliquent aussi bien aux étudiants de sexe masculin qu’aux étudiants en général ». 

Le féminin et le masculin se trouvent ici en rapport d’inclusivité. Si on suit une logique d’égalitarisme social, on peut remarquer que le féminin est un genre marqué et qu’il ne peut être qu’exclusivement féminin, sans possibilité d’inclure une autre référence. Or, le masculin, lorsqu’il se confond avec le neutre, perd ses traits sémantiques restrictifs et « s’invisibilise », comme ils disent,  dans les emplois indifférenciés. Ainsi, dans On cherche quelqu’un pour un poste de gardien, ni quelqu’un ni gardien ne renvoient à un sexe particulier. Remplacez gardien, par directeur, éboueur ou médecin l’effet, et le fonctionnement, sera le même. 

Si je dis : « Les auteurs de la circulaire de Blanquer concernant l’écriture inclusive n’ont pas consulté les linguistes. Ils ont donc écrit un texte fallacieux », il ne s’agit pas de « privilégier le masculin », mais de marquer par la fonction ceux qui ont écrit cette circulaire sans parler de leur sexe. Les auteurs et ils relèvent du générique. Et honni soit qui mâle y pense. 

C’est donc de la confusion entre le sexe biologique et le genre grammatical qu’il s’agit dans cette circulaire. Pour dire cela de manière plus claire, la circulaire prend les femmes pour des mots ou vice versa. Et pourtant, un grand nombre d’articles, que nous sommes désolés de réécrire maintes fois, rappellent inlassablement les bases du fonctionnement du français commun.  

Cependant, les problèmes, les incohérences et les contresens ne s’arrêtent pas là.

La nécessité de « marquer la place des femmes en langues » en redoublant les titres se heurte à un terrible problème d’épicènes (substantifs et adjectifs). 

  1. Le scandale des épicènes

Si je dis : « Les juges sont unanimes », je suis dans un grand embarras. Le scandale (sexuel) consiste à « invisibiliser » le sexe des juges et l’adjectif (épicène) ne sert pas à le dévoiler non plus. 

Et cela va loin :

« Les linguistes, les philosophes, les juristes et les journalistes sont au rendez-vous pour la conférence sur la discrimination sexuelle et raciale ». Pas d’adjectif pour indiquer les organes sexuels des référents. 

Allons encore plus loin, que devront faire les pauvres maîtresses (d’école), en disant aux enfants : 

« Les enfants, nous allons faire de vous les stars de la science française ». (Wishful thinking!)

Que faire avec le mot « enfants » et le déterminant « les » qui ne permettent pas de savoir s’il s’agit des enfants garçons ou enfants filles ? Je ne parle pas de l’insulte faite aux enfants de deux sexes avec le mot « star » qui, lui, est féminin et qu’on ne peut pas masculiniser ! 

Et si on imagine les ministres, les juristes, les juges et les politologues lors d’une même assemblée, écrirait-on dans un journal:

« Les ministres femmes et hommes, les juges femmes et hommes, les juristes femmes et hommes, les politologues femmes et hommes se sont rencontrés et rencontrées ? » 

En guise de conclusion

On voit ainsi que la circulaire ne tient pas compte du fonctionnement de la langue, elle contrevient au système morphologique et grammatical du français en déstructurant la langue commune. Toutes les circulaires portant sur l’orthographe visaient sa simplification, tenant compte des difficultés des usagers, or cette circulaire-ci est fondée sur des prémisses linguistiques fausses, incohérentes et fantasmatiques qui sont susceptibles de déstructurer l’enseignement de la langue commune.

Yana Grinshpuhn

Yana Grinshpuhn