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Chronique d’une transition réussie

Jacques Robert

Professeur émérite de cancérologie, université de Bordeaux

Les organisateurs du Colloque organisé à l’Université Jean-Jaurès (Toulouse), mentionné dans un billet voisin, nous ont envoyé le résumé qu’a soumis le Pr Jacques Robert et que nous publions volontiers. Nous avons joint en annexe la lettre qu’ont reçue ultérieurement les organisateurs du colloque.

Je voudrais lors de ce colloque évoquer une transition personnelle pleinement réussie. Depuis 50 ans environ, je savais que je n’étais pas dans le bon corps : j’étais conscient, au plus profond de moi, que j’avais 25 ans, mais personne ne s’en rendait compte. Je voyais passer les années sans savoir comment transitionner vers un âge plus jeune, correspondant à ce que j’étais réellement. Je subissais chaque jour ces microagressions que subissent les personnes d’apparence âgée, et je supportais en silence que des jeunes de 20 ou 25 ans, parfois même des jeunes filles, se lèvent pour me laisser leur place dans le métro, alors que, dans ma tête, j’avais leur âge.

Et puis, j’ai pris mon courage à deux mains, j’ai subi un traitement hormonal, une thérapie génique et j’ai programmé un traitement chirurgical indispensable. J’ai pu réintégrer en tant que post-doc le laboratoire que j’avais longtemps dirigé et je travaille sous la direction ferme mais juste du chef d’équipe qui avait préparé sa thèse sous ma direction avant ma transition. Je suis heureux de pouvoir travailler à la paillasse que j’avais dû abandonner il y a bien longtemps, mais je dois faire très attention à ne pas casser de tubes à essais : mes mains tremblent encore un peu et certains doctorants intolérants prétendent que je sucre les fraises, manifestant ainsi leur gérontophobie, qui n’est autre qu’un racisme antivieux.

Mes enfants et mes petits-enfants ont du mal à comprendre ce que je suis devenu, mais c’est ma vie qui a changé : ce n’est pas la leur. Et si la transition m’apporte bonheur et équilibre, nul ne peut y trouver à redire. J’ai d’ailleurs donné à mes enfants, qui commencent à prendre de l’âge, toutes mes cravates et mes costumes pour ne porter désormais que des tee-shirts et des blue-jeans. J’ai retrouvé mes ardeurs juvéniles, ce que mon épouse apprécie, mais trouver une grand-mère dans le lit conjugal rend les choses quelque peu problématiques quand on a 25 ans.

Le traitement médical que j’ai reçu consiste en des hormones de réjuvénation, extraites du sôma, cette plante mystérieuse qui constituait l’ambroisie que les dieux de l’Antiquité devaient régulièrement consommer pour rester jeunes et même immortels1 et qui a été récemment identifiée2. Un traitement d’entretien à l’aide d’un cocktail de metformine, de NAD, de rapamycine, de fisétine et de sénolytiques divers3 et me permet de conserver cette apparence juvénile qui correspond à mon moi véritable.

La thérapie génique que j’ai subie a consisté en l’implantation orthotopique de cellules souches provenant de tous les tissus, dans lesquelles le gène codant la télomérase a été modifié par la technique CRISPR-Cas9. Elizabeth Parrish a validé sur elle-même cette technique de juventologie. Le biologiste moléculaire qui supervise ma transition hésite à instaurer une même thérapie génique avec le gène codant la protéine Klotho et quelques autres gènes, craignant que ma réjuvénation ne me conduise vingt ans de plus en arrière, jusqu’à l’âge de cinq ans : il lui faudrait pour cela l’accord de mes enfants qui ont déjà assez à faire avec leurs gamins. Il ne faudrait quand même pas jeter le pépé avec l’eau du bain ! Pourtant, je sens que retomber en enfance me ferait le plus grand bien.

Enfin, sur le plan chirurgical, les techniques sont au point et bien maîtrisées. Un ancien ministre, le docteur Olivier Véran, prendra en charge cette partie de ma transition et a déjà commandé le nombre nécessaire de kilogrammes de botox pour supprimer définitivement mes rides.

Je ne peux que conseiller les traitements que j’ai reçus à tous ceux qui, comme moi, souhaitent transitionner vers leur âge réel et je joins une photo toute récente montrant les prouesses de la thérapie génique réjuvénatoire.

Annexe

Lettre reçue par les organisateurs du colloque

Monsieur,

Nous vous informons que notre père, le Pr Robert, a demandé à sa petite-fille de l’initier à Tik-Tok ; elle lui a répondu qu’à vingt-cinq ans, il était trop vieux pour ça. Il semble qu’en conséquence il ait finalement décidé de recevoir la seconde thérapie génique expérimentale, d’après la photo ci-jointe. Nous nous opposons formellement à toute thérapie génique supplémentaire. S’il souhaite participer quand même au colloque, il va devoir y aller à cheval.

Bien cordialement

Auteur

  1. Dumézil G. Le festin d’immortalité. Étude de mythologie comparée indo-européenne. Librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1924

  2. Wasson RG. Soma, divine mushroom of immortality. Harcourt Brace Jovanovich, 1972.

  3. Robert J. Le mythe de la longévité. Du rêve à l’irréalité. Bull Cancer 2024, sous presse.