par FRERM
Le procès des assassins de Charlie Hebdo était encore en cours, et son ouverture avait été marquée par trois attentats. Pour ce qui concerne l’éducation, le principal fut la décapitation de Samuel Paty et son prodrome (l’attentat à la feuille de boucher devant les anciens locaux de Charlie Hebdo), puis sa séquelle (l’attentat de la cathédrale de Nice, dont une tentative inachevée de décapitation). Ces attentats étaient particulièrement embarrassants : Samuel Paty avait été désigné comme cible par Abdelhakim Sefrioui, cadre des Frères musulmans, préfacier de leur idéologue majeur Al-Qaradawi, et ancien membre du comité de candidature de Dieudonné aux présidentielles. En outre, aucun des trois terroristes n’était français de naissance, ni issu des quartiers « difficiles » ou territoires perdus, et aucune des explications sociologisantes habituelles ne tenait plus. Les baigneuses en burkini n’étaient plus de saison en automne ; les secourables « mamans-voilées » restaient chez elles, privées de sorties scolaires pendant le confinement ; on reprit donc la campagne pour autoriser les dynamiques footballeuses islamiques à porter le voile pendant les matches.
Les propos du Ministre de l’Éducation et son emploi du composé « islamo-gauchisme » allaient providentiellement permettre de transformer l’affaire Paty en affaire Blanquer.
La mention du gauchisme semble un peu restrictive, car la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, planifiée notamment pour occulter l’anniversaire des attentats massifs de novembre 2017, réunissait tous les acteurs de ce que Houria Bouteldja, porte-parole indigéniste, nommait pour l’occasion la « gauche blanche ». Aucune cause n’avait réussi cela depuis longtemps. Tous défilèrent au son de l’invocation Allahou Akbar, que faisait reprendre Marwan Muhammad, fondateur du CCIF aujourd’hui dissous. Les mots de cette formule dévotionnelle sont les derniers que Samuel Paty ait entendus.
L’affaire Blanquer allait à son tour devenir l’affaire des 100 par allusion au manifeste d’universitaires et de chercheurs qui partageaient ses inquiétudes et l’orientation générale de ses propos. Ainsi se vérifiait une fois de plus le « théorème de Pasqua » : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien ». Peu importe ici que cette citation soit sans doute apocryphe, cette pensée pasqualienne garde sa valeur déontique sinon théorétique. De fait les « affaires » se sont multipliées depuis, pour intimider les personnels de l’éducation, déplorer que les « enfants musulmans » soient contraints de fréquenter l’école laïque et de subir un « marquage informatique », et victimiser les censeurs menacés par « les forcenés de la République » 1. Accusé de discriminer les jeunes musulmans, Samuel Paty n’était-il pas un de ces forcenés ?
1 Formules de Sandra Laugier dans Libération, le 12 décembre : https://www.liberation.fr/debats/2020/12/08/les-forcenes-de-la-republique_1808050 . Issue de la complosphère islamiste, l’accusation de marquage informatique, popularisée par une ministre pakistanaise, a été dénoncé comme une fake news dès le 22 novembre.