Dans le mot CNRS, qu’est devenu le mot « science » ?

Dans le mot CNRS, qu’est devenu le mot « science » ?

Vincent Tournier

Maître de conférences en science politique à l'IEP de Grenoble.
On se souvient que le CNRS avait provoqué la stupeur générale à l’occasion de la polémique lancée par Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » à l’université lorsqu'il s’était empressé de publier un démenti aussi cinglant que sidérant : « l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique ». Le CNRS a donc pour mission de repérer les concepts scientifiques et ceux qui ne sont pas. Les mauvaises langues n’ont pas manqué de relever que plusieurs événements avaient fâcheusement tendance à invalider la doxa du CNRS, et ce jusqu’à aujourd’hui, avec par exemple le soutien de certains partis de gauche au CCIF ou à l’imam Iquioussen, ou plus récemment les attaques contre Florence Bergeaud-Blackler par des universitaires visiblement soucieux de protéger les Frères musulmans, sans parler du triomphe de Jean-Marc Rouillan auprès des camarades en lutte pour les retraites à l'université de Bordeaux.

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Dans le mot CNRS, qu’est devenu le mot « science » ?

On se souvient que le CNRS avait provoqué la stupeur générale à l’occasion de la polémique lancée par Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » à l’université lorsqu’il s’était empressé de publier un démenti aussi cinglant que sidérant : « l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique ».

Le CNRS a donc pour mission de repérer les concepts scientifiques et ceux qui ne sont pas. Les mauvaises langues n’ont pas manqué de relever que plusieurs événements avaient fâcheusement tendance à invalider la doxa du CNRS, et ce jusqu’à aujourd’hui, avec par exemple le soutien de certains partis de gauche au CCIF ou à l’imam Iquioussen, ou plus récemment les attaques contre Florence Bergeaud-Blackler par des universitaires visiblement soucieux de protéger les Frères musulmans, sans parler du triomphe de Jean-Marc Rouillan auprès des camarades en lutte pour les retraites à l’université de Bordeaux.

Mais rien de tout ceci ne semble avoir perturbé la certitude tranquille de notre CNRS. Aucun démenti n’a jamais été publié. On est tenté de faire un parallèle avec les théologiens qui ont condamné Galilée, mais ce serait une erreur : même le cardinal Bellarmin, membre du Saint-Office, avait su faire preuve d’une certaine souplesse en acceptant de considérer que l’héliocentrisme pouvait être une hypothèse recevable.

Toujours est-il que le CNRS est loin d’avoir la même intransigeance conceptuelle sur tous les sujets. Un article récemment publié dans son journal en donne un aperçu : « Rendre la ville aux femmes ».

Comment donc ? La ville serait interdite aux femmes ? Le lecteur avide de preuves ne peut que se précipiter : par quel cheminement tortueux aboutit-on à une telle conclusion ? La démonstration est effectivement implacable : pour le CNRS, tout indique qu’un plan global de domination et d’exclusion a été ourdi par les hommes pour chasser les femmes, un peu comme certains voudraient chasser aujourd’hui les voitures trop polluantes.

L’explication est limpide : les hommes ont confisqué le pouvoir. Dans la rue, ils harcèlent les femmes au point de les obliger à se cacher. D’ailleurs, regardez autour de vous : vous n’en verrez pas. Cette situation découle d’une culture patriarcale omniprésente, comme l’explique sans rire le géographe Yves Raibaud, caution scientifique de cette brillante théorie. L’exclusion des femmes, analyse notre expert, découle d’un « entre-soi masculin ». Les hommes ont conçu la ville en fonction de leurs besoins, à commencer par leurs besoins lubriques car, s’ils ont renoncé aux bordels d’antan, ils se sont empressés de mettre partout des salons de massage et des panneaux publicitaires qui exaltent outrageusement la nudité féminine (vade retro satanas !).

Dans la ville, donc, tout est fait pour les hommes, rien pour les femmes. Tous les équipements reposent « sur l’idéal-type d’un citoyen qui serait un homme blanc valide ». Les femmes et les minorités n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. L’article n’évoque pas les musulmans, mais il doit s’agir d’un oubli car on se doute bien que la ville des hommes blancs n’est pas faite pour eux. La preuve : on n’entend jamais l’appel du muezzin.

Cette théorie loufoque ajoute un argument qui vaut son pesant de cacahuètes. Car notre géographe a une autre thèse bien à lui : si les hommes ont développé les pistes cyclables, c’est parce que le vélo est une pratique essentiellement masculine. Vous n’y avez pas pensé, et pourtant c’est logique : le vélo, c’est un truc de mecs !

En découvrant cet ultime argument, on est quand même pris d’un doute : n’a-t-on pas longtemps prétendu que c’est au contraire la voiture qui incarnait le machisme, cette bonne vieille bagnole, excroissance supposément phallique de la virilité exacerbée ? On se perd en conjectures : si le vélo est machiste, la voiture serait-elle féminine ? Revient alors en mémoire la vieille thèse de Karl Popper : lorsqu’une théorie est capable d’expliquer tout et son contraire, c’est qu’elle n’a probablement aucune valeur scientifique. Mais serait-il possible que le CNRS, détenteur des Vérités passées et présentes, puisse se fourvoyer dans la promotion de théories non scientifiques ?

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