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De la désobéissance civile

Alternatiba à Poitiers 

Aux élections municipales de 2020, la liste conduite à Poitiers par Mme Moncond’huy a été élue au second tour avec 43 % des suffrages exprimés et 14 % des inscrits. La majorité municipale dispose de 38 sièges sur 53, soit 72 %. La liste élue est intitulée Poitiers Collectif, Écologie, Justice Sociale et Démocratie. Elle rassemble des personnalités locales proches de la NUPES. Mme Moncond’huy est membre d’Europe Écologie Les Verts.

Elle s’est fait connaître dès le début de son mandat par des déclarations provocantes, comme « l’aérien ne devrait plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui » pour justifier la réduction des subventions municipales aux aéroclubs de Poitiers. C’est cette même municipalité qui a fait pression en octobre dernier pour que soit annulée la conférence sur l’écriture inclusive de Nathalie Heinich, qui a été perturbée par des agitateurs au point de nécessiter l’intervention de la police (voir la Nouvelle République du 30/11/2022). 

Un autre conflit est né plus récemment, justement dans l’attribution de subventions aux associations, en particulier à l’association Alternatiba de Poitiers. La municipalité de Poitiers et l’intercommunalité de Grand-Poitiers lui ont accordé des subventions de 5 000 € et 10 000 € pour organiser des « ateliers de formation à la désobéissance civile ». Le préfet de la Vienne, considérant que ces ateliers ne respectent pas le contrat d’engagement républicain figurant dans la loi Séparatisme, a demandé à la ville et à l’intercommunalité de retirer ces subventions. Grand Poitiers et le conseil municipal de Poitiers ont voté leur maintien, et le tribunal administratif devrait statuer en juin 2024.

Le groupement Alternatiba se présente sur son site comme « un mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale […] Les Alternatiba travaillent à la construction d’un monde plus humain et plus solidaire. Cet objectif est bien évidemment totalement incompatible avec les idées et comportements xénophobes, racistes, sexistes, homophobes, excluants, discriminatoires, antidémocratiques ou violents. » Cette présentation est quasiment la même que celles des mouvements Extinction Rebellion, Greenpeace, etc. Toutes ces associations prétendent agir dans l’intérêt général conformément aux principes de la démocratie. On ne saurait s’opposer à de tels objectifs.

La confrontation de ces derniers avec leur pratique réelle donne cependant à réfléchir. Ces associations écologistes condamnent l’interdiction administrative des Soulèvements de la terre et participent activement aux manifestations interdites contre les investissements qu’ils jugent contraires à leurs idées : aérodrome de Notre Dame des Landes, barrage de Sivens, méga-bassines etc. Tout le monde a pu constater la violence de ces manifestations. Alternatiba, soutenue financièrement par la ville et l’intercommunalité de Poitiers, revendique sa liberté d’expression, mais empêche le déroulement du sommet du pétrole offshore MCEDD à Pau, c’est-à-dire l’exercice de celle des autres. L’obstruction passive nécessite, comme dans le cas de la conférence de Nathalie Heinrich, l’intervention de la police pour que la liberté d’expression de tous soit respectée et que les conférences puissent se dérouler normalement. La violence provoquée par ces agitateurs est toujours attribuée à la police. Les membres de ces associations, non élus par le peuple, prétendent savoir l’intérêt général et veulent l’imposer contre la majorité C’est complètement contradictoire avec les fondements de la démocratie : l’intérêt général est défini par la majorité issue du suffrage universel et mis en œuvre par les députés élus, avec des contrôles démocratiques (séparation des pouvoirs, Conseil constitutionnel, etc.) pour éviter des abus du pouvoir exécutif. 

La maire et la députée écologiste Lisa Belluco ont elles-mêmes participé à la manifestation contre la méga-bassine à Sainte Soline : ce refus de respecter la loi et la réglementation ne leur semble contradictoire ni avec la démocratie ni avec les statuts de maire et de député. Lisa Belluco, interrogée par France inter, déclare que « la désobéissance civile n’est pas un trouble à l’ordre public lorsqu’elle réclame la protection du peuple contre le dérèglement climatique ou sur des sujets d’intérêts généraux » (cité par La Nouvelle République du 14/09/2022). Autrement dit, pour ces deux écologistes, une petite minorité persuadée de détenir la vérité, se prétendant responsable de la « sécurité du peuple » et définissant elle-même des intérêts généraux, peut s’affranchir des lois et réglementations en vigueur votées par la majorité. 

Les autres élus de la majorité municipale, qui ont tous voté pour le maintien de ces subventions, ont la même opinion. C’est inquiétant, et offre à des groupes d’activistes de tous bords la possibilité d’en faire autant. On peut se demander aussi comment la mairie de Poitiers va lutter contre les graffitis et tags qui apparaissent après chaque manifestation : elle aura participé financièrement à la formation à la désobéissance civile de leurs auteurs. 

En ce qui concerne les subventions, l’argent public n’est pas plus destiné à financer des associations militantes que des partis politiques. Ces derniers risquent d’ailleurs des amendes très élevées s’ils ont bénéficié de subventions publiques (sauf en cas d’élection). Cette non-intervention de l’État dans les opinions politiques, comme dans les croyances religieuses, est indispensable pour assurer la démocratie. C’est le concept de laïcité étendue développé par Catherine Kintzler dans son essai Qu’est-ce que la laïcité ?, Vrin, 2008. 

La désobéissance civile a été inventée en fait pour lutter contre les totalitarismes et les dictatures qui ne sont pas contrôlés par la séparation des pouvoirs. Dans certains cas, elle a été positive, comme pour le droit à l’avortement (Gisèle Halimi), la lutte contre le racisme (Martin Luther King) ou le statut d’objecteur de conscience. Ces actions voulaient la reconnaissance d’un droit liberté, et non une limitation des libertés. Cela n’ouvre pas en grand le droit de ne pas appliquer la loi, surtout lorsqu’on est un élu de la République. Comme le dit Ogien 1 : « En démocratie, la validité de la désobéissance civile comme forme d’action politique reste contestée. C’est que l’on ne voit pas bien pourquoi l’expression d’un désaccord devrait prendre les allures d’un refus de se plier à la règle commune dans un régime où les libertés individuelles (de vote, d’opinion, de manifestation, de grève, de conscience et d’association, d’orientation sexuelle) sont garanties ; où des mécanismes de « dialogue social » ont été institués (dans le travail parlementaire, le paritarisme ou les négociations collectives) ; et où la défense des droits fondamentaux est une réalité juridique. De plus, un tel refus est un comportement qui contient une menace pour la démocratie, au sens où il remet en cause son principe même, à savoir le fait que la minorité s’engage à accepter les décisions prises par une majorité. » 

La liberté d’expression garantie par la démocratie ne permet pas de contester la démocratie.

Thierry Foucart

Thierry Foucart

Notes & références

  1. Ogien A. (2015), « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Droit et société, vol. 91, no. 3, 2015, pp. 579-592.