Édito

[par Xavier-Laurent Salvador]

Le caractère fondamental de l’évaluation en aveugle par les pairs dans le domaine académique est un argument sans cesse rappelé dans les débats. C’est le joker absolu opposé à la critique de toute dérive idéologique des discours scientifiques: d’un côté, le statut administratif des chercheurs est exceptionnel par la Liberté qui lui est garantie; de l’autre, il est soumis en permanence à la critique de ses collègues. Ses collègues en effet critiquent sa recherche, le cooptent, l’élisent, le relisent; et réciproquement: tuent ses projets, le blacklistent et le harcèlent, le marginalisent et refusent de le lire.

Expertise et objectivité des jugements commandant l’accès à la publication sont des exigences sans lesquelles aucune production scientifique ne pourrait exister. Or la fraude scientifique est estimée aujourd’hui à environ 2% de l’édition [source: A. Fagot-Largeault, A., « Petites et grandes fraudes scientifiques », Fussman G (dir.), La Mondialisation de la recherche, Paris : Collège de France.] et l’on peut estimer que depuis la publication-canular d’Alain Sokal en 1996 [source: Social Text 46/47, prin-temps/ été 1996, p. 217-252.], le nombre de publications travesties va croissant [source: J.-A. Lindsay, P. Boghossian, & H. Pluckrose, Academic Grievance Studies and the Corruption of Scholarship, Areo, 2018].

Si la qualité des revues était autrefois justifiée par la constitution de comités d’évaluation réunissant les meilleurs chercheurs d’une discipline, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Trois raisons à cela: la démultiplication du nombre de supports rend le nombre d’évaluateurs ingérable. La démultiplication des disciplines ouvre la porte à de multiples publications. Enfin, la logique quantitative pousse à diluer linnovation. Un chercheur stratège publie dix fois une même analyse sur plusieurs années plutôt qu’une fois: c’est plus rentable pour sa carrière.

A cela s’ajoute que les mécanismes de recrutements des universités poussent les comités de recrutement de jeunes chercheurs à privilégier les publications re-connues localement. Ici il faudrait peut-être souligner la spécificité des SHS, à savoir l’importance de la publication d’ouvrages et pas seulement d’articles. Or il n’existe pas de système de hiérarchisation formalisée des collections de livres en SHS, contrairement aux revues: tout repose sur le prestige des collections. Il faut noter aussi que la pratique de plus en plus répandue consistant à payer l’éditeur pour publier contrevient par definition au principe de la selection par la qualité scientifique, l’expertise devenant secondaire par rapport à l’apport financier. Une solution simple consisterait peut-être à imposer la mention des aides reçues pour la publication s’agissant de livres en SHS. A cela s’ajoute un paradoxe: la publication est un gigantesque enjeu financier … qui ne rapporte rien ni au chercheur, ni à l’Institution, ni à l’expert sans qui rien ne fonctionnerait. C’est une logique malsaine, qui décentre le poids de la recherche du laboratoire à l!imprimeur. Elle aboutit à des drames comme le suicide dAaron Swartz et à la création de circuits de contournement institutionnels comme des dépôts d’archives ouvertes de textes scientifiques « publiés ou non » qui rendent gratuit ce que les éditeurs font payer – l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est par exemple destinée au dépôt et à la diffusion d’articles scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, et de thèses, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des labora-toires publics ou privés. Cette possibilité de dépôt dans HAL institutionnalise le court-circuit de l’expertise par les pairs, qui devient facultative. 

Cette situation aboutit à la balkanisation de la Recherche, dont une des conséquences est la constitution de clans autour de bastions éditoriaux.

Le péché impardonnable imputé aux « anti-wokes » est d’avoir organisé puis publié un colloque, "Après la déconstruction", qui critique les dérives des courants inspirés des cultural studies, et d’avoir
Alexandre Portier, député LR du Rhône et membre du Conseil supérieur des programmes, réagit à l'emploi du terme « ségrégation scolaire » par le ministre de l'Éducation nationale.
C’est à redonner à cette notion de « color blindness », de « daltonisme » racial, toute sa noblesse et sa portée humaniste que je voudrais ici m’atteler.
Les textes tels que la Déclaration des droits de l'homme de l'ONU, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'homme du Conseil