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En finir avec le wokisme – Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne

En finir avec le wokisme – Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne

Sylvie Perez

Journaliste, Sylvie Perez a travaillé dans la presse écrite et à la radio. Elle a publié plusieurs essais, romans et livres d’entretiens, et traduit de l’anglais l’œuvre théâtrale d’Agatha Christie.

Le wokisme est né sur les campus américains. Il a gagné l’Angleterre et le continent européen. Son berceau deviendra-t-il son tombeau ? L’heure est à la contre-offensive. Et dans le monde anglo-saxon, la résistance s’organise. Ce livre en dresse la chronique.
Comment contrer la déferlante woke ? Comment répondre à ses dérives ? Théorie du genre, racialisme, décolonialisme, transactivisme : le système diversitaire s’impose partout. Le woke ne voit autour de lui que victimes et bourreaux et, pour réparer le monde, s’affaire à le pulvériser.
Alors des esprits forts refusent de céder aux pressions et défendent l’égalité des droits. Philosophes, universitaires, médecins, juristes ou simples citoyens s’attellent à déjouer l’avènement d’un monde orwellien. Face à la violence de leurs adversaires, ils risquent leur carrière et leur réputation, mais défendent leurs convictions au milieu du vacarme. Sylvie Perez est allée à leur rencontre.
Fruit d’un long travail d’enquête, ce livre documente les réponses émergeant de toutes les strates de la société. Par le contournement ou par le choc, par le sérieux ou par l’humour, le combat pour la liberté d’expression est engagé. Et la bataille culturelle fait rage.
Journaliste, Sylvie Perez a travaillé dans la presse écrite et à la radio. Elle a publié plusieurs essais, romans et livres d’entretiens, et traduit de l’anglais l’œuvre théâtrale d’Agatha Christie.

Voici quelques bonnes feuilles.


LE MONDE À L’ENDROIT

Le néo-progressisme anglo-saxon a un coup d’avance. Ses inventions arrivent chez nous avec un temps de retard. Ce qui se joue ici, le plus souvent, s’est joué là-bas un peu plus tôt. En sorte qu’observer l’évolution de cette mouvance dans l’anglosphère est un moyen de lire l’avenir. Or, là où il a été conçu et mis en œuvre, le wokisme est aujourd’hui la cible d’esprits critiques qui démasquent ses slogans et documentent ses impasses. Les avancées du laboratoire anti-woke sont ourdies par des esprits contrariants de tous horizons philosophiques, politiques, religieux ou ethniques. Ils se préoccupent de contenir cette idéologie brouillonne qui ébranle et fragilise jusqu’au socle des institutions ; ils n’ont en commun que le refus catégorique de la post-vérité et s’affairent à déjouer l’avènement d’un monde orwellien. La question transcende les familles politiques et mobilise une nouvelle catégorie de bretteurs, politiquement non-binaires. Le wokisme, instigateur de fluidité et de trans-identité, aura aussi engendré la trans-politique !

Depuis Londres, point d’étape du wokisme entre l’Amérique et la France, j’ai pu observer l’élaboration des stratégies de réponse et le sursaut en cours. Si le wokisme est un mouvement sismique initié dès les années 1980, ses effets les plus extravagants apparurent ces dix dernières années. Comme l’écrivait Simon Leys1 : « L’histoire a déjà montré à plusieurs reprises qu’il ne faut pas grand-chose pour faire basculer des millions d’hommes dans l’enfer de 1984 : il suffit pour cela d’une poignée de voyous organisés et déterminés. Ceux-ci tirent l’essentiel de leur force du silence et de l’aveuglement des honnêtes gens. » 

Optimistes et déterminés, les dissidents du wokisme ont élaboré les outils de la résistance. Parmi eux, quelques génies de la tech exaspérés par la bien-pensance de la Silicon Valley, quelques féministes qui aiment les hommes, quelques humoristes casse-cou qui se rient de tout, quelques juristes attachés aux principes fondamentaux du droit, quelques artistes qui se détournent du réalisme progressiste et s’occupent de créer plutôt que d’éduquer le peuple, quelques doctorants qui veulent sauver l’université, quelques acharnés qui décodent la novlangue politiquement correcte, quelques absolutistes de la liberté d’expression qui ne sont pas dupes des sermons contre les ‘discours de haine’, quelques représentants de la communauté noire peu disposés à servir de marionnettes aux associations antiracistes, quelques transgenres qui n’ont nul besoin de nier la biologie pour exister, tout un monde qui préfère rester vivant plutôt que gaspiller ses efforts à s’autocensurer et dénoncer le mal-pensant. 

Déjà, d’excellents ouvrages sont parus en France, qui documentent les effets du wokisme. Celui-ci en chronique la riposte, mise au point par les promoteurs d’une société qui réhabilite l’ironie et le mauvais esprit, valorise le génie humain, la diversité d’opinions, l’invention, la recherche, le savoir, le mérite, une société où l’on respire à nouveau. Une société, quoi. 

(…)

LE PASSÉ N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT

L’association History Reclaimed (L’histoire réhabilitée), se constitue en août 2021 pour contrebalancer l’instrumentalisation woke de l’histoire, qui réduit le passé occidental à trois sacrilèges : le colonialisme, l’impérialisme, le racisme. Constatant que cette vision manichéenne se mue en doxa, les historiens s’impliquent dans les guerres culturelles. Le site History Reclaimed leur est ouvert pour rétablir les vérités complexes, instaurer de la nuance, apporter une perspective historique au débat… historique. 

Le wokisme s’est focalisé sur l’histoire du commerce triangulaire et de l’épisode effroyable de la traite des Noirs. On voudrait réparer le passé sous la forme de compensations financières pour les descendants d’esclaves. Robert Tombs, professeur d’histoire à Cambridge et fondateur d’History Reclaimed, doute du bien-fondé de cette démarche. Selon lui, le projet de recherche financé par l’université de Cambridge quant à ses liens avec l’esclavage et la nécessité d’envisager des réparations, est une opération de relations publiques plutôt qu’un projet académique : « Si la question est : « l’université a-t-elle bénéficié de l’esclavage ? », la réponse est évidemment oui. Toutes les institutions européennes ont bénéficié, directement ou indirectement, des revenus d’industries esclavagistes (sucre, coton, tabac), me dit-il. Ce qui caractérise Cambridge ce sont ses actions contre l’esclavage. En 1785, le vice-chancelier de l’université a lancé ce sujet d’étude : « Peut-on réduire des hommes en esclavage contre leur volonté ? » L’étudiant Thomas Clarkson (1760-1846) a reçu un prix pour son essai, après quoi il n’a cessé de militer pour l’abolition de l’esclavage. En 1789, un jeune député Tory, William Wilberforce, également diplômé de Cambridge, a mené aux Communes une campagne contre la traite négrière qui a conduit à l’abolition. Donc, si l’université a reçu de l’argent d’industriels ayant bâti leur fortune sur le commerce des esclaves, elle a aussi été très active pour bannir l’esclavage. Seulement, ce programme de recherche étant diligenté dans le cadre « d’initiatives sur l’égalité des races », l’objectif est de s’auto-flageller pour pouvoir clamer : « regardez comme nous sommes vertueux ». Ce serait une bonne idée de proposer des bourses pour les étudiants africains, non par souci de réparations, mais parce que nous n’avons plus d’étudiants africains. C’est dommage.» 

Comprendre le présent à la lumière du passé plutôt que juger le passé à la lumière du présent. (…) L’association de Robert Tombs entreprend de désamorcer les mines woke sur le champ de bataille qu’est devenue l’histoire. Le site se présente comme un journal savant numérique, publie les contributions d’historiens, propose un podcast, l’accès à des sources historiques fiables, des listes de lectures, un prix du livre d’histoire et des débats sur les sujets qui font le buzz. 

(…)

SCANDALE SANITAIRE

Qu’allaient pouvoir faire deux modestes psychothérapeutes face à un mouvement de société aussi puissant ? J’ai rencontré Marcus et Sue Evans le 3 février 2020 pour parler des affaires qui les ont propulsés à la une de la presse britannique. Le couple Evans se trouve alors embarqué dans une audacieuse tourmente juridique. Marcus Evans a démissionné l’an dernier du directoire du Tavistock & Portman NHS Trust, à Londres, qui abrite le GIDS (Gender Identity Development Service), la plus grande clinique du genre pour mineurs au monde. Sue Evans, quant à elle, intente une action en justice contre le même Tavistock auquel elle reproche d’infliger aux enfants des traitements hormonaux expérimentaux. (…)

Comme aux Usa, la dysphorie de genre s’est propagée au Royaume-Uni. Le nombre d’enfants consultant au GIDS est passé de 77 en 2009 à 5000 en 2021, soit une augmentation de 6400%. Et le chiffre a doublé en deux ans seulement, entre 2019 (2500) et 2021 (5000). « La contagion sociale est préoccupante, parmi les filles notamment, qui représentent aujourd’hui 76% des patients, me dit Marcus Evans. Cette situation est inédite. Or aucune recherche sérieuse n’est entreprise sur ce sujet. » (…)

Sue Evans a travaillé au GIDS entre 2003 et 2014. S’apercevant que les enfants sont orientés hâtivement vers des traitements hormonaux, elle s’en inquiète auprès de la direction. Malgré une enquête interne, rien ne change. « On voyait des jeunes à qui on prescrivait des hormones, après seulement trois ou quatre sessions de psychothérapie, me dit Sue evans. Il m’était arrivé de suivre des patients pendant deux ans, pour des problèmes de désordres alimentaires. Jamais je n’aurais pu les guérir au bout de quatre consultations ! Le transgenrisme est comparable. Le patient est très déterminé dans son récit. Il a cerné le problème (je ne suis pas né dans le bon corps) et la solution (il faut que je change de sexe). Un patient souffrant d’anorexie est persuadé qu’il est trop gros. Abonder dans son sens ne l’aidera pas. L’approche affirmative préconisée par les associations transgenres consiste à souscrire d’emblée au récit du patient et l’envoyer chez l’endocrinologue. Ça n’a pas de sens. La psychothérapie aspire à adapter l’esprit au corps, et non à modifier le corps pour qu’il corresponde à l’idée que le patient s’en fait. Les militants transgenres veulent soustraire la dysphorie de genre du champ psychologique.» 

Pour soigner la dysphorie de genre, le couple Evans préconise une thérapie exploratoire, plutôt qu’affirmative. « On écoute le patient, on l’interroge sur son problème d’identification de genre, mais aussi sur son environnement familial, scolaire, on essaie de comprendre ensemble sa souffrance. Dans 90% des cas, sans traitement hormonal, le patient finit par se réconcilier avec son corps, m’explique Marcus Evans. La puberté est une étape complexe, anxiogène. Toute une palette de problèmes sont en jeu à l’adolescence, moment de métamorphose sociologique, psychologique, physiologique. Il faut laisser les jeunes traverser cette phase de la façon la plus naturelle possible au moins jusqu’à 25 ans, âge auquel ils deviennent plus apaisés, ils assument leur corps, leur sexualité. Les activistes disent que les bloqueurs de puberté sont « juste une pause ». Mais il n’y a pas de bouton « pause » dans le développement d’un enfant ! En interrompant son évolution, vous le soustrayez à son groupe d’âge. Pendant que ses camarades se transforment, l’enfant sous inhibiteurs d’hormones garde son allure enfantine. Vous le privez d’une vie sociale normale. Ça n’est en aucun cas un acte neutre. » 

Les inhibiteurs de puberté ne sont pas homologués pour soigner la dysphorie de genre, ni aux États-Unis dans le classement de la Food and Drug Administration, ni au Royaume-Uni où le National Institute for Care and Health Excellence (NICE), en 2020, après examen des études parues sur le sujet, concluait qu’il n’existait pas de preuves suffisantes en faveur d’un traitement hormonal de la dysphorie de genre. On manque de recul pour juger des bénéfices/risques de cet usage détourné2 des inhibiteurs de puberté sur des enfants transgenres. Et les effets secondaires observés jusqu’à présent sont alarmants : altération du développement cérébral et du quotient intellectuel, ostéoporose, chute de la libido, stérilité lorsque le traitement est initié très jeune. 

(…)

LOST IN TRANS-NATION

Il n’est pas jusqu’aux médecins du genre, parmi les plus renommés, qui ne s’inquiètent de l’intégrisme trans-affirmatif. Parmi eux, le Dr Marci Bowers, elle-même transfemme, gynécologue obstétricienne spécialiste de la vaginoplastie (elle en a pratiqué plus de deux-mille) et mondialement réputée. C’est elle qui opéra la célèbre Jazz Jennings (le petit garçon américain qui se sentait fille et dont la transition a été feuilletonnée en temps réel à la télévision). Le docteur Bowers n’a pas caché les complications auxquelles elle s’est trouvée confrontée lors de la construction du vagin de Jazz Jennings, du fait que sa patiente, mise sous bloqueurs de puberté à un jeune âge, était équipée d’organes génitaux succincts offrant peu de tissus. Le Dr Bowers recommande la prudence dans l’administration de bloqueurs de puberté du fait qu’ils hypothèquent plaisir sexuel et fertilité à l’âge adulte. 

Erica Anderson, elle aussi transfemme, est une célèbre psychologue californienne pro-affirmation de genre, et Laura Edwards-Leeper est la co-fondatrice de la première clinique du genre américaine à Boston (Usa). Fin novembre 2021, Anderson et Edwards-Leeper cosignaient un article dans le Washington Post. Elles exprimaient leur inquiétude devant le nombre exponentiel de jeunes filles orientées vers l’hormonothérapie avant même d’avoir eu accès à une prise en charge psychologique correcte. « L’afflux de patients auprès des psychologues et des cliniques du genre, combiné à un climat politique qui envisage les soins de chaque individu comme un test de la tolérance de la société, emmène les praticiens sur une pente glissante et dangereuse. (…) La pression des activistes au sein du personnel médical et des départements de psychologie qui, de conserve avec certaines organisations LGBT, réduisent au silence les détransitionneurs et sabotent toute discussion sur ce qui se joue dans ce domaine, est inadmissible. (…) cela sème le doute quant à l’honnêteté de notre profession et notre dévouement à aider les trans. » 

(…)

L’ÈRE POST-WOKE

Le wokisme est une idéologie conçue à gauche et combattue depuis tous les bords politiques. En France, la charge est portée, et par la gauche républicaine, universaliste et laïciste et, avec la même vigueur, par les conservateurs et par les tenants du libéralisme, tous attachés à un monde commun. Les anglo-saxons, forts de leur expérience du wokisme, ont élaboré un modus operandi pour juguler une influence néo-progressiste devenue folle. Chez eux, la contre-offensive aborde sa troisième phase. Après avoir identifié le phénomène en cours, il a fallu le comprendre, pour enfin le combattre. Ainsi apparaissent maintenant de véritables politiques anti-woke qui détricotent le système diversitaire avec ses commissions et entités de surveillance anti-démocratiques. Passée la séquence théorique, on aborde la pratique : résoudre le problème. 

Aucune des trois étapes -identifier, comprendre, élaborer les outils de la contre-offensive- ne fut une promenade de santé. Il était important de le rappeler. Car les mêmes qui hier assuraient que le wokisme n’existe pas, demain affirmeront qu’ils étaient les premiers à le combattre. C’est que s’esquisse un renversement de tendance. Le New York Times, géant médiatique américain, organe du wokisme, commence à douter, après avoir cloué au pilori ceux qui s’étaient interrogés avant lui. Oui, bien sûr, il faut en finir avec le wokisme, l’affaire est entendue, vous explique-t-on. Seulement il a bien fallu que certains crient au loup pour que cette affaire devienne audible. Ils sont sortis du bois au moment où ça bataillait rude, risquant leur réputation sinon leur situation. Selon un schéma éprouvé, l’opposition au wokisme, d’abord ridiculisée, puis violemment combattue, sera perçue comme une évidence… 

Si les contrariants tiennent bon, supportant d’être calomniés dans la grande presse, c’est qu’une fois la transgression commise, il n’y a pas de retour possible dans la bonne société. Le wokisme exige la pénitence mais n’accorde pas le pardon. Dès lors les dissidents, débarrassés de toute prudence (ils n’ont plus rien à perdre), n’écoutent que leur cœur et vont de l’avant, engrangeant du renfort, « tant à les voir marcher avec un tel visage, les plus épouvantés reprennent du courage »… Les rangs s’étoffent.

(…)

Préjugés inconscients, culpabilité blanche, safe spaces, trigger warnings, phobies en tous genre, le wokisme ne parle que de traumatismes. Le coaching diversitaire organise des thérapies de groupe où chacun est tenu de verbaliser ses mauvaises pensées. La culture de l’offense héroïse les susceptibles. Les descendants éprouvent par ricochet les brimades passées subies par leurs ancêtres du fait de leur race ou de leur appétence sexuelle. Tout est psychologie, tout est ressenti. C’est le règne des fous, l’empire du dolorisme. Dans un présentisme étrange, on renie le passé et renonce à tout héritage intellectuel, mais on tient nos ancêtres pour omni-responsables de tous les fléaux du moment. Sous prétexte de compassion, les grands émancipateurs ont laissé s’installer une atmosphère irrespirable. Il est grand temps de se défaire de cette gangue de ressentiment ; de jouir du monde qui nous a été légué. Les reconstructeurs sont à l’œuvre. L’ère post-woke est devant nous. Guerres des races, guerres des sexes et guerres des genres ne seront alors plus qu’un mauvais souvenir. 

En finir avec le wokisme
de Sylvie Perez
368 pages – oct. 2023
Editions du Cerf

En finir avec le wokisme
de Sylvie Perez
368 pages – oct. 2023
Editions du Cerf

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