Tout le monde a en mémoire les événements du printemps à l’université Columbia, à New York. Les étudiants juifs harcelés, malmenés, conspués, terrorisés, souvent obligés de rentrer chez eux devant les menaces. Le Figaro parmi d’autres a rapporté en avril dernier le communiqué d’une association d’étudiants juifs : « Nous sommes horrifiés et inquiets pour la sécurité physique des étudiants juifs sur le campus », ajoutant que l’association avait embauché des gardes du corps armés pour raccompagner les étudiants à l’issue des réunions. Les étudiants pro-palestiniens ont fait régner la terreur, occupé les lieux, installé des campements, empêché les étudiants juifs d’aller et venir dans l’université.
On se souvient aussi que les présidentes de l’université Harvard, de celle de Pennsylvanie et du MIT, interrogées dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, ont affirmé que les appels au génocide des Juifs ne violaient pas vraiment le « code de conduite » de leur université tant qu’il n’y avait pas de passage à l’acte, au nom de la sacro-sainte liberté d’expression. Devant le tollé suscité par de telles réponses, deux d’entre elles ont quand même fini par démissionner.
À Columbia, la présidente, Nemat Shafik, dite Minouche, avait dû faire appel à la police sur le campus pour déloger les étudiants pro-palestiniens de leurs campements et des locaux universitaires où ils n’avaient rien à faire, Hamilton Hall en particulier. Une centaine d’entre eux avaient été arrêtés : cela les a quelque peu décontenancés, ayant été élevés dans l’absence de contradiction et ne pouvant admettre qu’on leur reproche de harceler ceux qu’ils croient responsables ou approbateurs de la guerre au Moyen-Orient et qui n’ont que le « tort » d’être Juifs.
Il fallait maintenant apaiser les esprits et tenter de réconcilier les activistes étudiants avec leur université, afin qu’ils comprennent que, pour faire partager leurs convictions, la discussion et l’argumentation sont des outils indispensables. Essayer de convaincre par la violence, l’exclusion et la terreur est inadmissible, surtout en terrain universitaire ; il est normal que l’on fasse régner l’ordre sur un campus investi par les activistes. Shafik n’est pas parvenue à ses fins et a fini par démissionner elle aussi en août, alors que le campus était en proie à de nouvelles violences. Elle n’est pas n’importe qui ! Économiste de renom international, directrice de la London School of Economics de 2017 à 2023, membre de la Chambre des Lords depuis 2020, elle n’était pas du style à s’en laisser conter. Elle n’était pas parvenue à ces responsabilités grâce à l’affirmative action comme Claudine Gay… Une présidente intérimaire, Katrina Armstrong, a été nommée et l’on espérait qu’elle aurait le charisme nécessaire pour y parvenir à imposer la paix.
Elle a donc pris la parole récemment lors d’une interview donnée aux étudiants responsables du journal de l’université, le Columbia Spectator, et c’est une grande revue consacrée à l’enseignement supérieur et à la vie universitaire américaine, Inside Higher Education, qui le raconte. Devant ces étudiants, Armstrong a donc présenté ses excuses (apologies). Devinez à qui ? Aux étudiants juifs harcelés, malmenés, conspués, terrorisés pendant des semaines sans que l’université les défende et les protège ? Certes pas ! C’est auprès de ceux qui ont été « blessés » par les opérations d’expulsion des manifestants pro-palestiniens du campus par la police de New York qu’elle s’est « excusée »… Il ne semble pas, pourtant, que la police ait commis des violences ou blessé physiquement les occupants des campements sauvages. Il semble plutôt que ces gentils occupants aient été blessés dans leur amour-propre et leurs convictions – ce qui valait bien des excuses de la part des autorités universitaires !
Cela dit, il est difficile de savoir exactement ce que pense Armstrong de ces événements. Le journal étudiant lui a demandé si elle était d’accord avec l’ancienne présidente, Nemat Shafik, dans sa décision d’appeler la police pour démanteler un campement de protestation récemment formé – conduisant à l’arrestation de plus de 100 étudiants – et, plus tard, d’appeler à nouveau la police pour expulser les occupants de Hamilton Hall. Sa réponse est un modèle à suivre pour tout responsable universitaire cherchant à noyer le poisson :
« Je sais que c’est difficile à dire pour moi, mais je comprends que j’occupe ce poste, n’est-ce pas ? Et si vous pouviez simplement dire à tous ceux qui ont été blessés, que je suis vraiment désolée », a répondu Armstrong. « Je sais que ce n’était pas moi, mais je suis vraiment désolée… Je l’ai vu, et je suis réellement désolée […] Je vois le mal qui s’est produit et je suis profondément déterminée à travailler avec vous tous, je travaille avec toute la communauté pour à la fois remédier à ce mal et comprendre »1.
Incredibly sorry, really sorry : trois fois sorry en deux lignes !
Interrogé par Inside Higher Education, un porte-parole de Columbia a déclaré :
« Le Dr Armstrong a accordé une interview de grande envergure au journal étudiant, qui portait en partie sur l’impact de l’année écoulée, et tout comme elle l’a fait lors de ses discours devant de nombreux groupes sur notre campus, elle a reconnu leur douleur et a réitéré à quel point elle était désolée pour tous les étudiants qui souffrent ».
On englobe tout dans ces excuses mielleuses, qui s’adressent « à tous les étudiants qui souffrent ».
Désolée, désolée, oui, mais finalement désolée pour qui, pour quoi ? En restant dans le vague, Armstrong ne sort pas de l’ambiguïté ! Sans doute a-t-elle lu le cardinal de Retz ? Un professeur de Columbia, Shai Davidai, ne s’est pas laissé prendre et a fort bien contrattaqué :
« A-t-elle présenté ses excuses aux étudiants juifs et israéliens qui ont été terrorisés pendant des mois sur le campus ? Non. Elle s’est excusée auprès des étudiants qui ont enfreint les règles et en ont subi les conséquences ». Et le représentant du Council of Trustees and Alumni de Columbia, Steven McGuire, a déclaré : « Cette faiblesse est vraiment incroyable. Les manifestants ont enfreint la loi. Ils ont occupé un bâtiment. L’antisémitisme s’est déchaîné. La cérémonie de remise des diplômes a dû être annulée. Le campus est toujours partiellement fermé. Il y a déjà eu d’autres actes de vandalisme ce semestre. Et elle s’excuse ? Elle devrait promettre de recommencer si nécessaire ».
Mais puisqu’on vous dit qu’elle s’est excusée tous azimuts, qu’allez-vous donc chercher ? Manifestement ces excuses n’ont pas suffi, puisque, alors qu’on ne voyait qu’eux en avril, ils se plaignent en octobre qu’on les ait privé de leur liberté d’expression… Bel exemple d’inversion victimaire ! N’ont-ils pas plutôt été privés de leur capacité de réflexion ?