Au sujet de cette émission de France-Inter – « Zoom-zoom-zen » n’est pas le bruit d’un insecte qui vous fonce dessus mais le titre d’une émission du service public. Sa moraline persifleuse agace autant que le bruyant diptère. Son objet est de « zoomer sur un mot pour vraiment le comprendre (et) faire le tour de la question avec un spécialiste, guide de survie, pour rester en phase avec notre époque »1. Vaste programme ! L’auditeur ne mourra pas idiot. Il « comprendra » le wokisme grâce au kit de survie (boules puantes et coup de poing américain), destiné à corriger ceux qui ont le culot de contester les prodigieuses avancées sociétales du Camp du Bien. L’« éveil citoyen », promu totem du jour, serait l’invention d’une clique de Don Quichotte crypto-fascistes qu’une panique morale lance à l’assaut de cette chimère. Ils ont organisé, début 2022 à la Sorbonne, un colloque dans le seul but de discréditer la noble lutte contre les injustices et les inégalités dont la fine équipe est le porte-étendard. L’animateur le qualifie de « bluff » et son invitée, prof à Sciences-Po, d’ «écran de fumée ». Notre guide de survie à cette entourloupe se nomme « Réjane Sénac, Directrice de recherche au CNRS, enseignante à Sciences Po au centre de recherches politiques (Cevipof), autrice de « Radicales et fluides : les mobilisations contemporaines » (Presses de Sciences Po, octobre 2021) ».
Deux barbarismes valant mieux qu’un pour enfoncer le clou, elle est aussi « politologue, spécialiste de l’égalité, de la discrimination et de la diversité, directrice du département de sciences politiques de Sciences Po, auteure de L’égalité sans conditions. » (nous soulignons). Cette sommité universitaire relègue au rang d’« anecdote » le limogeage de ses collègues qui dénoncent un wokisme soi-disant ectoplasmique et salue l’objectivité de France Culture qui autorise Finkielkraut à poursuivre une émission, qu’il faut bien-sûr écouter avec des pincettes sur le nez.
« Blanquer, renchérit le journaliste, est tombé dans le panneau pour discréditer certains enseignements », ceux du genre notamment, dont la fluidité intersectionnelle est indispensable à l’épanouissement intellectuel des étudiants. La suite de l’émission est de la même farine jubilatoire. Les Torquemada et Savonarole du XXIe s. associent l’Inquisition et l’imprécation pour condamner au bûcher les ennemis de la liberté, de la démocratie et de la République, bref les « conservateurs », terme plus chic que fasciste.
Le mois dernier, Mathias Vicherat, patron de Madame Sénac, affirmait devant Laurence Ferrari : « il n’y a pas de wokisme à Sciences-Po ». Il ajouta dans le même souffle : « il est interdit pour les profs de Sc-Po de valoriser l’écriture inclusive ». La formule floue trahit un certain embarras mais sous-entend un lien entre deux dérives militantes que Vicherat réprouve aussi énergiquement qu’il nie leur présence dans son établissement. Réjane Sénac « valorise » pourtant l’effet niveleur d’une graphie crétinisante dont une instruction ministérielle bannit formellement l’emploi et elle défend ce wokisme, que ses ennemis n’invoquent que pour couvrir d’opprobre tant d’indispensables recherches scientifiques. Elle enfreint ainsi impunément les interdits de son directeur, de leur ministre et de l’Académie française. Le premier semble ignorer ce qui se trame dans sa boutique, à moins qu’il ne mente, délibérément. Ulcéré par ces « paranoïaques qui voient du wokisme partout », il n’explique pas pourquoi le virus qui gangrène la plupart des universités occidentales épargnerait miraculeusement Sc.-Po. Depuis la disparition de Richard Descoings, l’institution n’a visiblement toujours pas retrouvé sa boussole.
Les régimes totalitaires n’ont plus le monopole du mensonge institutionnalisé. Les ilotes de la secte woke érigent la manipulation sémantique en système, convaincus de la valeur prescriptive des mots que leur inspire leur crédo égalitariste, à l’instar des croisés qui féminisent à la hussarde titres et fonctions. Zoom-zoom-zen entérine cette méthode Coué que pratique aussi la militante inclusiviste, néanmoins prof à Sc-Po, qui reformule fièrement la trilogie républicaine en substituant la solidarité à la fraternité. Le mot, issu du latin frater, est « connoté », traduire : il exclut la sœur. Horresco referens. Il est condamné à mort pour excès de testostérone sexiste et macho-patriarcale.
Tous ces arbitres de la bienpensance aseptisent le wokisme avec une promptitude qui n’a d’égale que la ferveur qu’ils attribuent à leurs contradicteurs pour attaquer leurs moulins fantasmagoriques. À l’unisson des Sénac, Vicherat and Co, Le Monde du 9 janvier en offre un autre exemple2. Avec sa rigueur et sa finesse coutumières, il nous avertit que l’heure est grave. « La charge contre les études sur le genre et le racisme menace la liberté académique ». Les adversaires de la doxa inclusiviste font souffler un vent de panique sur la société et c’est ce que postule l’ouvrage d’un Franco-Canadien, Francis Dupuis-Déri, dont l’argumentaire est aux antipodes de son compatriote Bock-Côté, auquel il taille de belles croupières: « Panique à l’Université : Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires »3. Selon ce Québécois, « l’Université ressemble bien peu à ce que ces discours affolés laissent croire ». (p. 27) (…) « L’amplification médiatique correspond exactement à la fabrication d’une “panique morale” » (p. 54). Plus loin, des pages émouvantes plaident en faveur des Black Blocks, ces paisibles réformistes encagoulés, que de vilains « polémistes réactionnaires » calomnient et diabolisent pour des broutilles, pour « quelques poubelles renversées, vitrines éclatées et projectiles lancés vers des policiers lourdement armés » (p. 136-137.).
Qu’il émane de France-Inter, de Sciences-Po, du Monde ou du Québec, ce galimatias d’incantations incohérentes et racoleuses, maquillé en progressisme, est une charge contre le bon sens. Il confirme cependant une vérité criante : l’heure est grave. Elle nous incite à refuser la soumission aux oukases égalitaro-diversitaires pour avoir ce « Courage de la dissidence civilisationnelle » auquel nous appelle Bérénice Levet4.