L’affiche verte : quand l’Association française de sociologie expose son utopie bio-palestinienne

L’affiche verte : quand l’Association française de sociologie expose son utopie bio-palestinienne

Vincent Tournier

Maître de conférences en science politique à l'IEP de Grenoble.
L’affiche du Congrès de l’AFS révèle un utopisme militant d’une partie de la sociologie contemporaine. Vincent Tournier dénonce l’usage des sciences sociales comme outil idéologique au service du wokisme.

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L’affiche verte : quand l’Association française de sociologie expose son utopie bio-palestinienne

C’est par un dessin que l’Association française de sociologie (AFS) a choisi d’annoncer son prochain Congrès annuel sur le thème « Environnement(s) et inégalités ».

Ce congrès s’annonce fort intéressant et il va certainement donner lieu à des communications riches et variées.

Arrêtons-nous néanmoins sur l’affiche du Congrès tant elle en dit long sur l’idéologie qui habite désormais une grande partie de la sociologie.

Qu’y voit-on en effet ? En arrière-plan se trouvent les ruines de bâtiments et de ce qui ressemble à une centrale nucléaire. On comprend qu’il s’agit des restes du vieux monde en décomposition : adieu donc béton et nucléaire.

Au premier plan apparaît le nouveau monde tel qu’il est rêvé par les sociologues. Ici, la nature a repris ses droits. Le mode de vie et l’habitat sont sobres. On vit dans une sorte de camping composé de yourtes, implantées au milieu d’une nature paisible et verdoyante. Il n’y a aucun équipement collectif, et encore moins des usines : il va de soi que le paradis terrestre ne peut être qu’anticapitaliste et écolo.

Les gens sont heureux et parfaitement égaux. Ils sont en bonne santé et se déplacent à vélo, ce qui va de soi (on se demande cependant comment les sociologues vont se rendre à leur congrès).

Devenus auto-suffisants, les habitants se chauffent au bois et s’alimentent grâce à un jardin bien fourni, certainement bio, qui ne nécessite visiblement pas beaucoup d’efforts puisque personne ne travaille. Tous les signes du luxe ont disparu. Un vieil homme apprend à coudre aux enfants. Les vêtements sont rudimentaires, presqu’à la mode paysanne de jadis. La peur et la violence ont disparu, de même que l’exploitation et les hiérarchies.

La culture n’est pas oubliée : il y a plusieurs livres sous un abri. Les gens lisent et rigolent de bon cœur, sans que l’on comprenne la raison de cette hilarité (lisent-ils le dernier manuel de sociologie ? le programme du Congrès des sociologues ?).

Dans ce monde idyllique, un symbole interpelle car il est bien visible au premier plan : un keffieh, ce bon vieux keffieh, emblème de la cause palestinienne. La présence du keffieh indique que, dans ce monde féérique où tous les maux de l’humanité auront été réglés, le problème israélien sera toujours là. Ou alors on doit comprendre que le Hamas est parvenu à libérer le monde de toutes les oppressions patriarcales et occidentales.

Une telle affiche laisse évidemment pantois. On croirait un dessin d’élèves de CM2 à qui la maîtresse aurait demandé d’imaginer un monde idéal. Est-ce donc tout ce que peuvent faire nos sociologues, eux qui ne cessent de plaider leur cause en sommant les responsables politiques de s’inspirer de leurs « travaux » et de leurs « recherches » pour penser la complexité du monde ?



L’Association française de sociologie s’était déjà fait remarquer en juillet 2023 au moment des émeutes qui avaient suivi la mort de Nahel. Dans un communiqué, elle avait alors parlé d’une « colère légitime » et dénoncé les « violences policières systémiques », appelant à soutenir les « révoltes dans les milieux populaires ». Cette prise de position avait entraîné la réponse salutaire d’une poignée de sociologues.

On est tenté de faire un lien entre l’affiche du congrès de l’AFS et une autre affiche plus ancienne, diffusée en 2018 par l’Association des sociologues de l’enseignement supérieur (ASES). Cette association a beaucoup de points communs avec l’AFS, à commencer par le recours à l’écriture inclusive. Dans son affiche de 2018, les sociologues de l’AESE entendaient s’opposer à la réforme de l’orientation des lycéens après le bac. Pourquoi pas, mais le texte qui accompagnait cette affiche, inspiré des célèbres Shadocks, était particulièrement troublant. Voici ce qu’il disait : « il vaut mieux lutter même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne luttant pas ». Autrement dit, pour ces sociologues, la lutte est une sorte d’impératif, et même une fin en soi : luttons camarades, on verra bien pourquoi ensuite.



Récemment, cette même AESE s’est fendue d’un communiqué qui reprend le thème de la lutte en concevant les sciences sociales comme une arme au service d’un projet politique. Le communiqué se termine par un plaidoyer en faveur du développement des sciences sociales au lycée : « Plus de sciences sociales à l’Ecole pour produire des citoyennes et citoyens éclairé•es ». « Eclairés », dans l’esprit de nos sociologues, cela veut dire militants.

Bref, ces deux affiches en disent long sur les mentalités d’une grande partie de la sociologie contemporaine. Elles devraient faire réfléchir tous ceux qui doutent de la diffusion du wokisme à grande échelle, tout en interrogeant aussi sur les effets qu’a pu produire l’introduction des sciences sociales dans les cursus du lycée. S’il existe une génération woke, la sociologie n’y est assurément pas pour rien.

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