Le Collège de France et la liberté académique

Le Collège de France et la liberté académique

Jacques Robert

Professeur émérite de cancérologie, université de Bordeaux
Jacques Robert dénonce la dérive de certaines institutions académiques tel le Collège de France qui accepte de se soumettre à des clauses léonines en signant un contrat avec une entreprise multinationale : la liberté académique est ainsi mise à mal ainsi que le droit imprescriptible à la critique.

Table des matières

Le Collège de France et la liberté académique

Le Collège de France nous avait surpris il y a quelques mois lorsqu’un de ses éminents professeurs avait tempêté contre la publication par les Presses Universitaires de France (PUF) d’un ouvrage1 qui dénonçait les excès de l’idéologie woke. Fort heureusement, les PUF étant une entreprise privée, ont maintenu (après réflexion) la publication du livre, et les gesticulations de ce professeur n’auront servi à rien, sinon à faire vendre le livre en question. Je me suis demandé : et si les PUF étaient comme autrefois liées au monde académique, serait-il parvenu à interdire la publication de ce livre, comme les censeurs au bon vieux temps de l’imprimatur ?

Le Collège de France nous surprend à nouveau aujourd’hui, d’abord par l’intitulé d’une ses chaires : « Avenir Commun Durable ». Certes, le développement durable est un objectif capital pour les décennies à venir, mais j’aimerais bien qu’on me dise comment s’enseigne l’avenir commun, qu’il soit ou non durable ! J’attends avec impatience la création de chaires d’Études de genre, d’Études de race, d’Études de corpulence et autres fantaisies passagères d’universitaires en mal de post-postmodernité. Une deuxième surprise vient du fait que le Collège de France a signé, il y a quelques années déjà, un contrat avec une multinationale de l’énergie, TotalEnergies, dont certains objectifs sont effectivement le développement de sources d’énergie moins polluantes que le charbon ou le pétrole, mais dont d’autres objectifs sont de produire (et surtout de vendre) d’autres ressources énergétiques moins « écologiques ».

L’École Polytechnique a, elle aussi, signé un contrat avec TotalEnergies, dans la plus grande opacité. Libération a raconté le combat que mène une association d’étudiants contre la direction de l’École pour obtenir communication de ces contrats2 ; ils ont gagné devant le tribunal administratif mais la direction a porté l’affaire devant le Conseil d’État… Y aurait-il quelque chose à cacher ? Et c’est là qu’apparaît la troisième surprise : il existe dans ce type de partenariat une clause (secrète) de non-dénigrement. Cette clause stipule que le Collège de France « doit s’abstenir de toute communication susceptible de “porter atteinte à l’image ou à la notoriété” de TotalEnergies » en échange d’une subvention de deux millions d’euros3. Il y a là d’une part une atteinte à la liberté académique de l’ensemble des enseignants du Collège de France4, et d’autre part une corruption institutionnelle inacceptable. Je reproduis ci-après les propos d’une collègue : « La subordination de l’enseignement supérieur aux intérêts d’entreprises pratiquant le “mécénat” peut avoir des répercussions idéologiques, autour d’enjeux très divers – par l’intermédiaire des clauses de non-dénigrement des entreprises mécènes ».

Il est donc interdit à tous les enseignants du Collège de France et à leurs collaborateurs (cela s’applique-t-il aussi aux étudiants ?) de dire par exemple qu’ils soupçonnent fortement d’hypocrisie TotalEnergies, dont la main droite semble ignorer ce que fait la main gauche ? En effet, lors de l’Assemblée générale de la multinationale, en mai, ses dirigeants expliquaient « assumer » d’augmenter leur production d’hydrocarbures de 3 % [en 2025] 5. Ce qui va à l’encontre des recommandations scientifiques du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). François-Marie Bréon, titulaire de cette chaire, a noblement déclaré qu’il peut « dire tout le mal [qu’il] souhaite de Total », avant de préciser « ne pas avoir l’intention de le faire, parce [qu’il n’a] pas de raison de [s]’exprimer là-dessus » alors qu’il est un des piliers du GIEC. Il a le droit de le faire, mais il ne veut pas l’exercer, en somme… Il faudrait peut-être lui rappeler que la liberté académique ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !

Auteur

Notes de Bas de page

  1. Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador, Pierre Vermeren. Face à l’obscurantisme woke. Paris : PUF, 2025.

  2. Que le titulaire de cette chaire s’engage personnellement à ne pas dénigrer cette entreprise est un droit que je ne lui conteste pas, mais qu’il engage l’ensemble de l’institution est inadmissible.

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