par Yana Grinshpun et Mikhail Kostylev
Dans notre (soviétique) jeunesse, on surnommait la France la « 16ème république de l’URSS ». L’émigration fut une cruelle désillusion : les Français ne lisent quasiment pas, boivent leur vodka sans grignoter (les sauvages !) et leurs chefs suprêmes n’essayent pas de calmer des crises internationales à grand coups de godasse sur la table.
Heureusement pour notre sensibilité culturelle, un petit coin d’URSS résiste encore et toujours à l’envahisseur capitaliste : la recherche française. Si les universitaires (massivement communistes dès les années 1945) n’ont pas réussi à transformer la France en démocratie populaire, on peut dire qu’avec leurs universités, ils ont fait un superbe travail !
Qui sait, par exemple, que le CNRS a été fondé sur le modèle… de l’Académie des Sciences soviétiques ? Les poussées militantes d’après 1945 et 1968 n’ont fait qu’encourager le phénomène.
Krouchtchev promettait un appartement à chaque Soviétique : les syndicats, eux, ont garanti à chaque chercheur français un écosystème fermé où ses convictions de gauche ne seraient jamais remises en question par l’épouvantable Réalité.
La France est donc parsemée d’amusants petits kolkhozes, avec chacun son nom ronflant, ses masses travailleuses harassées, son comité de direction somnolent… et son manque chronique de moyens
Bienvenue dans notre Laboratoire d’Excellence !
(la charrette sera bientôt supprimée, on a perdu les crédits)
Tel un kolkhozien, un chercheur (s’il est fonctionnaire) a un salaire assuré – mais parfaitement minable. Quant au matériel, il tombe littéralement en ruine (s’il existe !)
Et comme en Union Soviétique, il est usuel de faire passer les mauvaises conditions de travail par de grandes déclarations sur la noblesse de la cause enseignante. C’est ça, nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons la Sorbonne. Ça ne coûte qu’un peu de salive, et les protestations s’arrêtent devant tant de conviction…
… pour un moment, du moins. Et la frustration de tous se traduit, non par des revendications et des actions concrètes, mais par la formation d’une dynamique de groupe malsaine et intrusive, toujours à la recherche d’un bouc émissaire.
Le chercheur est en permanence travaillé par des obligations collectives non écrites et doit supporter la pression du collectif qui lui explique comment mieux se sacrifier. La collectivité dispose : par exemple, quand vous assistez à une soutenance d’un master que vous n’avez pas dirigé, vous n’avez rien (vous n’êtes pas payé). Vous avez assisté à 15 soutenances que vous n’avez pas dirigées, vous avez passé du temps à lire ces mémoires (quelques bonnes heures en général), à écouter les candidats et…. rien, vous n’avez rien. Il faut le faire au nom de la solidarité entre collègues, du « bon fonctionnement de l’établissement ». Et si vous dites non, gare à vous !
Corrige bénévolement ce mémoire, camarade, au nom de la collégialité !
Comme les kolkhoziens, chercheurs et étudiants sont censés être une avant-garde… dans les discours grandioses des officiels sur l’inclusivité (obligatoire), la lutte contre les discriminations (souvent imaginaires), la chasse à l’ennemi du peuple (ce bourgeois blanc dominateur comblé de nombreux privilèges… y compris ceux d’être enseignant). Et d’être le premier à tenir ce genre de discours pour assurer sa visibilité sur la scène médiatique.
Et du côté du réel ? C’est tout le contraire. L’esprit critique est systématiquement découragé. Les enseignants qui s’y essaient se heurtent vite aux réprimandes des collègues (vous êtes au choix : raciste, polémiste, fasciste, antiféministe, d’extrême-droite et évidemment réac, conservateur et ennemi du progrès, parfois nazi zemmourisé, bolsonarisé ou trumpisé ), au poids du politiquement correct (déconstruction et consensus, comme disait camarde Khrouchtchev) et à une administration aux lourdeurs toutes soviétiques.
Victoire sur l’affreuse cupidité capitaliste, cette dernière se soucie rarement de l’intérêt des résultats obtenus (sinon, les départements de gender studies fermeraient sur l’heure). On l’a remplacé par un critère beaucoup plus équitable : le respect des rites de la paperasse, des normes managériales absurdes et du reporting infini. Un bureaucrate soviétique s’y sentirait aussitôt chez lui !
Je vais maintenant lire la 302ème circulaire sur l’intégration de méthodes de déconstruction des dimensions genrées et hétéronormatives dans l’espace universitaire inclusif et bienveillant...
Cependant, ère du temps oblige, les kolkhozniki d’aujourd’hui sont beaucoup plus mous que ceux d’hier. L’idée est la même, en prétendant les protéger de l’ennemi extérieur, on les abrutit, abêtit et infantilise… enfin non, nos excuses ! On les déconstruit, décolonise et on leur apprend à être inclusifs. Ça sonne beaucoup mieux !
Cette « élite de la recherche de demain », nos étudiants… les idéologues nous demandent de leur épargner les « micro-agressions », de leur créer « un safe space » pour soigner leurs traumatismes émotionnels et phobie diverses, de prendre en compte leurs dys/praxie/orthographie/calculie etc.…
Bref, tout pour qu’ils ne regardent surtout pas la réalité en face.
Mieux ! Les apparatchiks universitaires, maintenant, ne les estiment pas suffisamment mûrs pour savoir prendre leurs précautions avant d’aller en cours ! On préconise donc officiellement de :
L’infantilisation des citoyens est une technique rodée de la fabrication d’une masse soumise et assistée. Les plus malléables d’entre-eux deviendront chercheurs… et le cycle se répète.
Enfin, pour ceux qui auront les moyens d’aller jusqu’au bout. Car, autre caractéristique très kolkhozienne, la recherche française repose sur le travail obligatoire et quasi-gratuit d’étudiants et de jeunes chercheurs non titulaires.
En été, l’Union soviétique envoyait ses enseignants dans les champs : l’Université française expédie ses stagiaires de M2 dans les labos… pour une rémunération inférieure au RSA. Réjouis-toi, moujik de la science !
Stagiaire de M2 réjouie après son dîner de pâtes aux pâtes
Comme tout bon kolkhoze, une université française peut manquer de tout… mais pas d’un « coin rouge », d’un centre d’endoctrinement politique. Et comme dans les kolkhozes, il est composé de gens qui ne font rien de productif, mais reçoivent les financements les plus copieux (IDEX, Institut du Genre et autres formations VSS …)
Y officient des gens incapables de travail utile, comme rentrer une motte de foin ou calculer une asymptote, mais qui toujours prêts à émettre un oukase en matière de comportement, de pensée, et maintenant de sexualité, bref tout un bric-à-brac illisible et incompréhensible. Mais très vertueux et moralisateur.
Seule différence : on les appelait « instructeurs politiques » : et maintenant, « responsables Egalité et Diversité ». Quel progrès !
En URSS, ils prétendaient aussi que leur idéologie était une science… et d’ailleurs, très souvent, ceux-là, (les nôtres ici) aussi sont des marxistes (ou « post-marxistes »). Mais il ne faut pas confondre : c’est un marxisme « différent » (sic!). Rien à voir avec les quelques 70 autres tentatives, qui ont toutes fini en dictature et en massacres…
Non, cette fois, « ça va enfin marcher » ! Il suffit juste de se débarrasser des brebis galeuses…
Il faut reconnaître qu’en URSS, les appels au lynchage avaient bien plus de gueule…
S’y ajoutent, comme dans un kolkhoze, des « syndicats » surtout préoccupés de garantir des prébendes à leurs amis, ou de s’aligner sur l’idéologie dominante. Et qui envoient volontiers des messages de solidarité au régime dictatorial à la mode : jadis Cuba ou la Chine des maos, aujourd’hui toutes les dérives autoritaires d’extrême-gauche (cancel culture, racialisme, antisionisme).
Y compris, au nom de la lutte contre « l’islamophobie », pour défendre d’aimables fondamentalistes religieux qui les égorgeraient dans la seconde une fois arrivés au pouvoir. Les barbus du Front de Populaire de Libération de Palestine viennent justement de s’assurer le soutien de… Sud Education.
Ce n’est étonnant qu’en apparence. Les premiers sont des marxistes déguisés en religieux (Amin Maalouf l’a magistralement démontré), les seconds des marxistes… déguisés en enseignants. Il y a quarante ans, ils se soutenaient déjà, avec de belles affiches barbouillées de rouge.
Antisémites de tous pays, unissez-vous !
En URSS, nous nous vantions de « rattraper et dépasser l’Occident ». On ignorait que quelques années plus tard, c’était l’Occident qui mettrait à nous courir après. Welcome to our past !