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Musique et dérives identitaires: le cas McClary

par Julie Lafont

Ce texte est une présentation de l’application à la musique de l’idéologie post-moderniste. Il contextualise et critique l’idéologie identitaire néo-féministe de Susan McClary et, surtout, cite les passages clés de son ouvrage, lesquels permettent de comprendre les mécanismes argumentatifs de la sempiternelle dénonciation de la culture occidentale.

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La propagation des idéologies identitaires dans le domaine artistique et de la culture ne date pas d’aujourd’hui – c’est notamment le cas de la musique. La Philharmonie de Paris a ainsi publié en 2015 un « livre manifeste qui propose une méthode et un cadre de pensée (sic) pour aborder la question du genre et de la sexualité en musique ». Il s’agit de la traduction en français de l’essai Feminine Endings (Ouverture féministe) de la musicologue américaine Susan McClary, égérie de la New Musicology, publié par les presses de l’Université du Minnesota en 1991. La France est restée à l’écart des débats suscités par la parution de cet ouvrage, jusqu’à l’importation effrénée depuis l’autre côté de l’Atlantique, ces quinze dernières années, des approches postmodernes, à travers toute une cohorte de studies pseudo-scientifiques.

Que cette publication ait reçu la bénédiction de l’une des plus importantes institutions musicales de notre pays confirme le militantisme diversitaire des nouveaux managers de la culture, comme le montre le récent « rapport sur la diversité » à l’Opéra de Paris.

Le livre de McClary est un ouvrage stéréotypé (ô paradoxe!), un catéchisme militant qui prend la musique en otage pour ressasser inlassablement les obsessions des théories gender et intersectionnelles: la dénonciation de l’hétéro-patriarcat, la logique pénitentielle, la haine des Lumières, la déconstruction de l’universel, la vision binaire du monde en dominants et dominés, le racialisme, les idées décoloniales… tout y est.

On nous dira que nous sommes trop bêtes pour comprendre la mystérieuse notion de « technologie du genre » ou que nous n’adhérons pas aux thèses identitaires de McClary – qui se présente dans la préface de l’édition française comme une « renégate » incomprise, trop en avance sur son temps… – parce que nous sommes « les tenants d’une musicologie traditionnelle », comme on nous l’annonce dans l’avant-propos de la traduction française – méthode commode qui sert à discréditer d’avance tout détracteur.

Ces quelques extraits permettront au lecteur de juger par lui-même du sérieux et de la hauteur de vue de telles analyses; elles prêteraient à sourire si cette irrationalité ne colonisait pas de plus en plus les esprits avec la même musique identitaire:

« À n’en pas douter, ceux qui ont joui du privilège de s’identifier avec une musique longtemps considérée comme un universel s’offusqueront d’être délogés de leur position hégémonique. »

(p. 23)

« Conquérir l’ennemi, c’est “l’émasculer” […]. Il en va de même pour le chromatisme, qui s’assimile culturellement au féminin; il enrichit la musique tonale, mais doit finalement être résolu pour les besoins du dénouement. Dans ce contexte, le “féminin” n’a jamais le dernier mot. »

(p. 51-52)

« Les hommes musiciens ont riposté en définissant la musique comme le plus idéal des arts ; en insistant avec fermeté sur sa dimension “rationnelle” ; en revendiquant certaines vertus masculines comme l’objectivité, l’universalité et la transcendance ; en interdisant toute participation effective des femmes à la musique. »

(p. 53)

« La musique n’est pas le langage universel qu’on a parfois voulu voir en elle, elle change en fonction du genre, l’âge, l’identité ethnique […]. Une musicologie critique aurait comme projet d’analyser la façon dont les différentes musiques expriment les priorités et les valeurs des diverses communautés. »

(p. 67-68)

« La théorie musicale s’est souvent conduite comme la branche législative de la musique, cherchant à rationaliser et à prescrire les préférences de certains groupes dominants. »

(p. 70)

« La compositrice Janika Vandervelde a commencé à reconnaître les traits sexistes dans de nombreuses techniques qui lui avait été enseignées, ou qu’elle avait absorbées en étant exposée depuis toujours à la musique classique. »

(p. 80)

« Dans cette atmosphère paranoïaque [celle de l’Italie à l’époque de Monteverdi], les femmes servirent souvent de bouc émissaire pour compenser l’écroulement de l’ordre social, ces constructions de la “puissance” féminine furent peut-être utilisées pour justifier une violente régression patriarcale. »

(p. 111)

« L’opera seria plus tardif fut le retour vengeur du patriarcat et de la noblesse : les structures musicales devinrent de plus en plus stéréotypées ; la tonalité impulsive fut domestiquée et même “naturalisée” par la théorie musicale des Lumières ; de pauvres victimes féminines se mirent à chanter, encore et toujours, leurs hymnes de fidélité à l’autorité masculine. »

(p. 112)

« Mon objectif ici est de démontrer que la musique classique est étroitement liée à la construction du genre, [qu’elle] offre tout un éventail d’images et de modèles de sexualités. Certains d’entre eux reproduisent fidèlement les normes globalement patriarcales et homophobes, […], la culture patriarcale occidentale a fortement tendance à nier le corps et à s’identifier avec un pur esprit. »

(p. 119)

« La musique de Carmen est indéniablement conçue – par Bizet, rappelons-le, c’est-à-dire un homme – pour être plus puissante et plus attirante que celle de José, dont le discours poli se conforme à la musique classique européenne masculine. […] Carmen est dépeinte comme un monstre, et José comme un dangereux maillon faible dans la chaîne de commandement patriarcal (sic). […] En tant qu’auditeurs [concernant les chœurs des Bohémiens], nous sommes invités à adopter le point de vue privilégié des colonisateurs, qui restera le nôtre pendant toute la durée de l’opéra. »

(p. 128)

« Bizet a de toute évidence réuni dans Carmen la plupart des symptômes de paranoïa culturelle qui marquèrent la fin du XIXe siècle. Le genre n’est pas ici la seule problématique. Il en va de même pour la question de l’Autre racialisé et de la culture populaire, perçus comme autant de “menaces”. Car l’un des thèmes principaux de l’opéra repose sur la victoire absolue et sans appel des codes de conduite blancs et bourgeois (incarnés par Micaëla) sur les modes de vie prétendument permissifs et pernicieux des “races plus sombres”. […]. L’Autre racialisé devint une zone “féminine” de prédilection dans les récits de colonisateurs européens […]. Carmen participe pleinement de ce type d’exotisme, tout comme d’ailleurs bien d’autres compositions de Bizet. […]. C’est pourquoi divers types d’Autres racialisés sont allégrement mêlés tout au long de l’opéra, et les Gitans sont en partie caractérisés par de la musique cubaine. »

(p. 134)

« Si José est pris dans une lutte entre le corps et l’esprit, quelqu’un d’autre doit en payer le prix de sa vie (un colonisé, un non-blanc, non-chrétien, un personnage féminin des classes inférieures). À certains égards, les récits du XIXe siècle morcelés et rongés par les angoisses sont plus intéressants que ceux des Lumières, où les réconciliations à peu de frais et le chauvinisme des “Liberté, égalité, fraternité” font naître de faux espoirs. »

(p. 139)

« En réalité l’opéra [Carmen] préfigure par bien des aspects les crises du XXe siècle liées au genre, à la race ou à la classe. Il démontre aussi trop bien que les solutions proposées par Don José – celles de l’humanisme libéral et de la culture savante – sont inadaptées. »

(p. 140)

« De nombreuses symphonies de Beethoven trahissent une véritable crainte à l’encontre des moments féminins, auxquels elles répondent par une violence inouïe. » [C’est le cas par exemple, selon la musicologue, du premier mouvement de l’Eroica]

(p. 144)

« Dans le récit de la Quatrième Symphonie [de Tchaïkovski], le protagoniste apparaît comme la victime tant des attentes patriarcales que des pièges de la sensualité féminine : ces deux forces entravent activement les possibilités de son développement personnel (sic). Ce récit fait fortement écho à la propre histoire de Tchaïkovski. Homosexuel dans un univers patriarcal imposant l’hétérosexualité. »

(p. 156)

« Stephen Houtz, qui a initié une réflexion sur la musicologie critique gay (sic), a suggéré que le second thème [du premier mouvement de la Quatrième symphonie de Tchaïkovski] pourrait être non pas une femme, mais un homme féminisé – voire un travesti. »

(p. 156, note)

« Dans les cours d’histoire, de théorie et d’analyse musicale, sans surprise, la plupart des femmes et des hommes qui sortent des conservatoires ont tendance à ne pas être conscients de l’empreinte idéologique de cette éducation. »

(p. 224)

« Les méthodes de déconstruction postmodernes (la remise en question de l’universalité présumée des “canons narratifs” de la culture occidentale, révélant ainsi les intentions de procédés traditionnels “objectifs”) commencent à créer un espace où une voix féminine peut enfin se faire entendre en tant que telle. »

(p. 238)

« Le moment de la réexposition dans le premier mouvement de la Neuvième Symphonie de Beethoven, par exemple, est un épisode affreusement violent de l’histoire de la musique. […] : on assiste à l’émergence du thème initial et de sa tonalité depuis un vide utérin (sic) […]. Ce vide ne peut être tenu à distance que grâce à l’affirmation violente et constante du sujet. […]. Cette rage explosive alimente ensuite la majeure partie de la symphonie. »

(p. 245-248)

« La Neuvième Symphonie de Beethoven est probablement le meilleur exemple dans le domaine musical des pulsions contradictoires qui ont régi la culture patriarcale depuis les Lumières. »

(p. 248)

« De nombreux hommes ne reconnaissent pas la dimension phallique de leurs œuvres classiques favorites jusqu’à ce que les femmes, qui abordent cette expérience “universelle” sous un autre angle, la leur fassent remarquer. »

(p. 249-250)

« Sur scène, les femmes sont perçues comme des marchandises sexuelles, quels que soient leur apparence ou leur sérieux. Brahms implorait la vieillissante Clara Schumann d’abandonner ses immodestes compositions et sa carrière de musicienne. »

(p. 288-289)

L’un des aspects les plus comiques de ce livre et qui montre parfaitement l’inconsistance conceptuelle des approches intersectionnelles, faites de contradictions et de sophismes, est la récusation d’essentialisme. On nous jure dans l’avant-propos et dans la préface de ce livre qu’il n’y a rien d’essentialiste dans les analyses proposées, pour n’avancer ensuite que des propos issus des idéologies essentialistes et différentialistes comme nous pouvons le constater après la lecture de ces extraits édifiants.

À l’heure où les professeurs de musique ont le plus grand mal à transmettre les connaissances musicales élémentaires, à initier les élèves au répertoire classique, à leur inculquer un minimum de culture musicale, est-il pertinent de faire la promotion des lubies idéologiques que certains militants projettent sur leurs recherches afin de leur donner une apparence scientifique? Est-ce véritablement pédagogique de cautionner cet acharnement à rendre suspecte la musique classique? La victimisation revancharde et l’américanisation totale des esprits ont-elles vocation à devenir le nouveau paradigme de la musicologie? Ou servent-elles plutôt à acheter la bonne conscience et à renforcer l’entre-soi d’une élite de « studieux » du genre, arrogante et hors sol?

Non, le néo-féminisme n’est pas une discipline scientifique. Il nous faut continuer à démasquer rationnellement et minutieusement le conformisme et l’imposture qui se cachent derrière ces idéologies tyranniques, anti-humanistes et réactionnaires.

Collectif des Observateurs

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