Autocensure et idéologie : une menace pour la recherche scientifique
L’Observatoire d’Éthique universitaire a récemment publié un billet décrivant les méfaits de l’autocensure sur la qualité de la recherche. Non, les revues ne doivent pas donner de consignes idéologiques sur le contenu des articles qui leur sont soumis. Non, les chercheurs ne doivent pas renoncer à publier un travail de recherche dont les conclusions ne sont pas conformes à une certaine doxa. Non, nous ne devons pas abandonner les principes de l’evidence-based medicine pour complaire à une frange bien-pensante de la population. Rappelons-nous combien de philosophes et de savants ont dû ruser avec la crainte de la censure pour pouvoir publier leurs travaux et leurs réflexions. Galilée, Spinoza, Descartes sont les premiers noms qui me viennent à l’esprit mais il y en eut tant d’autres ! Qui aurait pu écrire et publier, jusqu’à l’émergence des Lumières, que Dieu n’existait pas ? Si le groupe Springer Nature avait existé aux xviie et xviiie siècles, il aurait sûrement publié « de nouvelles directives éthiques pour éliminer les préjudices potentiels pour les croyants qui ne participent pas à la recherche mais qui pourraient être blessés par sa publication ». Remplacez « croyants » par « groupes humains » et vous aurez verbatim ce qu’a publié Nature Human Behaviour.
Nous avons également dénoncé les abus du DEI (Diversity, Equity, Inclusion) dans les universités américaines, cache-misère des inégalités sociales, destiné principalement à donner bonne conscience à une certaine « élite » et à fournir des postes aux professionnels de la diversité titulaires de masters de toutes sortes d’« études » : études de « genre », études de « race1 », études de « gras2 » et autres. Marx a été relégué au magasin des Antiquités, on ne veut plus s’intéresser aux conditions de vie des plus démunis (ceux que l’on appelait « prolétaires » à l’époque) ou à la mise en place d’un « ascenseur social » qui ne soit pas toujours en panne, mais seulement à leur représentation équitable dans les bases de données génomiques. La recherche biomédicale doit être objective et ne pas se soucier de plaire… Va-t-on retirer l’obésité de la liste des maladies comme on l’a fait en remplaçant le « trouble d’identité de genre » par « dysphorie de genre3? L’obésité est un facteur de mort prématurée et requiert une prise en charge thérapeutique, la dysphorie de genre4est « soignée » par des mutilations et des médications à vie… Nous ne devons pas jouer avec la santé de ceux qui se confient à nous et leur complaire, le serment d’Hippocrate nous l’interdit.
Quand la politique s’invite dans la médecine
Et voilà qu’aux États-Unis de plus grandes insanités se mettent en place. Le nouveau président veut imposer dans une ordonnance une certaine forme de prise en charge des mineurs souffrant de cette angoisse de sexuation pubertaire. Ce n’est pas son rôle. Un responsable politique, que l’on soit ou non d’accord avec ses conceptions économiques ou sociales, n’a pas à donner des directives médicales sous prétexte de bon sens. C’est à partir de données scientifiques que l’on établit des protocoles thérapeutiques, pas à partir d’un « bon sens » trop souvent hypothétique. Le « bon sens » nous dit que la terre est plate, la science nous dit que c’est faux. Le « bon sens » nous dit qu’il y a deux sexes, la science nous dit que c’est vrai. On ne peut se fier à ses « sens » pour énoncer des faits scientifiques, mais à l’analyse de ses observations et expérimentations. Dans les problèmes que pose la dysphorie de genre que je suis d’assez près, il se trouve que l’organisation américaine produisant les normes de soins (standards of care) la plus influente mondialement, la WPATH (World Professional Association for Transgender Health), entre autres faits qui discréditent ses préconisations censées s’appuyer sur des preuves solides, a commis une fraude scientifique majeure, en demandant à des experts de l’université Johns Hopkins de lui fournir des conclusions avant d’avoir réalisé leur expertise. Que ce soit le président des États-Unis qui ait relevé cette fraude comme nous l’avions fait avant lui n’empêche absolument pas qu’elle ait été commise ! Et qu’elle enlève une large part de crédibilité à cet organisme.
Entre wokisme et trumpisme : la science en péril
Ne nous y trompons pas ! Trump a bien déclaré (comme s’il l’avait décidé) qu’il y a deux sexes, mâle et femelle, mais il n’a pas déclaré que la terre était ronde, autre évidence, tout simplement parce que les platistes votent pour lui5. Si ses adversaires n’avaient pas sombré dans le tissu d’imbécillités sur le nombre de sexes, que j’ai dénoncées dans un article6, peut-être se serait-il abstenu de ces rodomontades ! Mais voilà, sa concurrente à l’élection présidentielle, Kamala Harris, avait tenu un curieux langage, indiquant ses pronoms avant ses discours, disant dans une interview qu’on n’est jamais assez woke, demandant, lorsqu’elle était procureur la prise en charge des opérations « d’affirmation de genre » (en français : de changement de sexe) des détenus qui le désiraient, alors que tout accouchement est facturé au moins 12 000 dollars aux parturientes, etc. Elle a perdu six millions d’électeurs par rapport à l’élection de 2020 : trois sont allés vers Trump et trois se sont abstenus… Trump l’avait bien compris et si ses électeurs avaient majoritairement cru en l’existence de cinq sexes comme Fausto-Sterling, il aurait bien déclaré qu’il y a cinq sexes ! Il ne faut pas confondre une affirmation scientifique et une flatterie électoraliste…
Il semblerait donc que nous soyons coincés, scientifiques et médecins, dans la tenaille entre wokisme et trumpisme ! Du côté du wokisme, nous avons à nous battre contre les anti-vaxx, contre les croyances néfastes répandues comme à plaisir contre les évidences de la santé. Certains croient que l’on peut naître « dans le mauvais corps » et que le sexe est « assigné à la naissance » par une décision somme toute arbitraire7; d’autres sont convaincus des bienfaits des médecines prétendument « douces », naturopathie, étiopathie et autres fariboles ; d’autres que l’obésité résulte du regard des autres et que la « grossophobie » est un vilain péché ; d’autres que le véganisme est la solution à tous les déséquilibres alimentaires alors qu’il en est un majeur ; d’autres qui trouvent que la représentation classique des spermatozoïdes actifs et mobiles cherchant à pénétrer l’ovule passif et immobile est atrocement désobligeante pour les femmes. La raison de certains médecins et biologistes semble avoir déserté le monde de la science.
Du côté du trumpisme, pour une affirmation sensée, il y en a dix qui ne le sont pas. Je ne parlerai pas du mépris de la lutte contre le changement climatique, qui ne relève pas de la médecine, ni de l’incroyable grâce présidentielle accordée à des émeutiers alors que la protection du Dr Anthony Fauci est supprimée, mais je ne peux omettre de rappeler les élucubrations de Trump sur le traitement du Covid-19 (eau de javel, ingestion d’une lampe à UV, et même hydroxychloroquine !). Le recrutement d’un secrétaire d’État à la santé opposé aux vaccinations restera dans les mémoires comme une des plus graves atteintes à la santé publique jamais perpétrées dans un pays développé. Ne nous égarons pas en justifiant les âneries des uns par les oukases des autres ; les menaces contre la science peuvent venir de tous les côtés, et il ne faut pas avoir de scrupules à les dénoncer d’où qu’elles viennent. Que les plus puissants s’en prennent à d’autres, c’est inévitable, mais non réjouissant pour autant. Les ennemis de nos adversaires ne sont pas nos alliés : nous sommes les prochains sur leur liste de proscription8.
Je remercie François Rastier, Nathalie Heinich, Vincent Tournier et Caroline Eliacheff pour leurs remarques constructives.