Vouloir renouveler la démocratie est une dangereuse illusion, par Vincent Tournier

Vouloir renouveler la démocratie est une dangereuse illusion, par Vincent Tournier

Collectif

Tribune des observateurs

Table des matières

Vouloir renouveler la démocratie est une dangereuse illusion, par Vincent Tournier

Read More  Avec la contestation de la réforme des retraites, qui s’est accompagnée d’une critique des institutions, on a vu se multiplier les plaidoyers en faveur d’un « renouveau démocratique » dans le but d’assurer une meilleure participation des citoyens. Les appels de ce type ne sont pas nouveaux. Apparus depuis un quart de siècle, ils ont gagné en légitimité au point de prendre une dimension incantatoire. Il est désormais question « d’inventer » de nouvelles formes de démocratie, et ce vocable de l’innovation est complaisamment relayé par les discours officiels, que ce soit en France ou en Europe et plus généralement en Occident. De leur côté, les universitaires ont largement investi cette thématique à laquelle ils apportent leur soutien et leur caution.Pourtant, une question se pose : qu’est-ce qui est nouveau ? Que veut dire « réinventer » la démocratie ou instaurer de « nouvelles formes » de participation ? Peut-on vraiment innover en politique après 2000 ans d’histoire, surtout en France où tous les régimes politiques ont été expérimentés ?La vérité est moins enthousiasmante : il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Personne n’a jamais inventé quoi que ce soit au cours des dernières décennies. Les mécanismes fondamentaux de la démocratie ont été posés voici longtemps et ils n’ont guère bougé : l’élection libre des représentants, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice. Ces mécanismes ne sont certes pas parfaits, ni totalement figés car les curseurs peuvent bouger selon les époques et les pays, mais pour l’heure, aucun pays n’a fait la démonstration qu’il existait des mécanismes démocratiques plus satisfaisants. De ce point de vue, Francis Fukuyama, dont on s’est tant gaussé, avait raison.Idéologies de rupturePourtant, l’idée selon laquelle il est possible d’imaginer des alternatives à la démocratie classique n’a cessé de monter en force. Cette polarisation sur l’innovation a eu deux grands effets. Le premier est d’avoir laissé dans la plus grande indifférence le déclin de la participation électorale. La montée de l’abstention a été considérée comme une simple conséquence de la défiance envers la participation conventionnelle, voire comme la preuve d’une aspiration à un renouveau démocratique. De ce fait, personne n’a vraiment cherché à engager une réflexion sérieuse sur les causes réelles du malaise démocratique.Le second effet est d’avoir conforté ceux qui rêvent d’abattre les institutions démocratiques. Rien ne pouvait en effet leur faire plus plaisir que de proposer de remplacer les mécanismes les plus vitaux de la démocratie par des mécanismes censément plus démocratiques mais qui contribuent en réalité à la saborder. D’une certaine façon, les plaidoyers en faveur des « conférences de citoyens » accréditent l’idée que la démocratie est ailleurs. L’air de rien, ils réhabilitent l’imaginaire des « conseils d’ouvriers » et autres « comités de défense de la Révolution » où les activistes ont appris depuis longtemps à régner en maîtres.En temps ordinaire, ces propositions de démocratie alternative ne rencontrent qu’un faible écho dans la population. Du reste, les expériences de démocratie participative de ces dernières années n’ont guère fait la preuve de leur utilité et de leur performance, surtout lorsqu’on se moque ouvertement du public en prétendant y faire siéger des citoyens tirés au sort.Mais les conditions ont changé. L’Observatoire du décolonialisme ne cesse d’alerter sur le retour des idéologies de rupture, souvent fondées sur des logiques identitaires, donc hostiles par principe à la démocratie représentative et aux compromis politiques.Ces idéologies agressives rejettent par principe le jeu électoral et l’alternance au pouvoir. Le débat sur la réforme des retraites en donne un aperçu : pour les opposants, non seulement les mécanismes constitutionnels comme l’article 49.3 sont frappés d’illégitimité (malgré leur caractère légal et nettement plus démocratique que les conférences de citoyens) mais il ne vient visiblement pas à l’idée qu’il est possible d’attendre la prochaine échéance électorale pour présenter un contre-projet.En cette période troublée où le complotisme et la violence politique connaissent un regain de popularité, il serait peut-être temps de cesser de jouer avec le feu.*Vincent Tournier est maître de conférences à Sciences Po Grenoble et membre de l’Observatoire du décolonialisme. 

Avec la contestation de la réforme des retraites, qui s’est accompagnée d’une critique des institutions, on a vu se multiplier les plaidoyers en faveur d’un « renouveau démocratique » dans le but d’assurer une meilleure participation des citoyens. Les appels de ce type ne sont pas nouveaux. Apparus depuis un quart de siècle, ils ont gagné en légitimité au point de prendre une dimension incantatoire. Il est désormais question « d’inventer » de nouvelles formes de démocratie, et ce vocable de l’innovation est complaisamment relayé par les discours officiels, que ce soit en France ou en Europe et plus généralement en Occident. De leur côté, les universitaires ont largement investi cette thématique à laquelle ils apportent leur soutien et leur caution.

Pourtant, une question se pose : qu’est-ce qui est nouveau ? Que veut dire « réinventer » la démocratie ou instaurer de « nouvelles formes » de participation ? Peut-on vraiment innover en politique après 2000 ans d’histoire, surtout en France où tous les régimes politiques ont été expérimentés ?

La vérité est moins enthousiasmante : il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Personne n’a jamais inventé quoi que ce soit au cours des dernières décennies. Les mécanismes fondamentaux de la démocratie ont été posés voici longtemps et ils n’ont guère bougé : l’élection libre des représentants, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice. Ces mécanismes ne sont certes pas parfaits, ni totalement figés car les curseurs peuvent bouger selon les époques et les pays, mais pour l’heure, aucun pays n’a fait la démonstration qu’il existait des mécanismes démocratiques plus satisfaisants. De ce point de vue, Francis Fukuyama, dont on s’est tant gaussé, avait raison.

Idéologies de rupture

Pourtant, l’idée selon laquelle il est possible d’imaginer des alternatives à la démocratie classique n’a cessé de monter en force. Cette polarisation sur l’innovation a eu deux grands effets. Le premier est d’avoir laissé dans la plus grande indifférence le déclin de la participation électorale. La montée de l’abstention a été considérée comme une simple conséquence de la défiance envers la participation conventionnelle, voire comme la preuve d’une aspiration à un renouveau démocratique. De ce fait, personne n’a vraiment cherché à engager une réflexion sérieuse sur les causes réelles du malaise démocratique.

Le second effet est d’avoir conforté ceux qui rêvent d’abattre les institutions démocratiques. Rien ne pouvait en effet leur faire plus plaisir que de proposer de remplacer les mécanismes les plus vitaux de la démocratie par des mécanismes censément plus démocratiques mais qui contribuent en réalité à la saborder. D’une certaine façon, les plaidoyers en faveur des « conférences de citoyens » accréditent l’idée que la démocratie est ailleurs. L’air de rien, ils réhabilitent l’imaginaire des « conseils d’ouvriers » et autres « comités de défense de la Révolution » où les activistes ont appris depuis longtemps à régner en maîtres.

En temps ordinaire, ces propositions de démocratie alternative ne rencontrent qu’un faible écho dans la population. Du reste, les expériences de démocratie participative de ces dernières années n’ont guère fait la preuve de leur utilité et de leur performance, surtout lorsqu’on se moque ouvertement du public en prétendant y faire siéger des citoyens tirés au sort.

Mais les conditions ont changé. L’Observatoire du décolonialisme ne cesse d’alerter sur le retour des idéologies de rupture, souvent fondées sur des logiques identitaires, donc hostiles par principe à la démocratie représentative et aux compromis politiques.

Ces idéologies agressives rejettent par principe le jeu électoral et l’alternance au pouvoir. Le débat sur la réforme des retraites en donne un aperçu : pour les opposants, non seulement les mécanismes constitutionnels comme l’article 49.3 sont frappés d’illégitimité (malgré leur caractère légal et nettement plus démocratique que les conférences de citoyens) mais il ne vient visiblement pas à l’idée qu’il est possible d’attendre la prochaine échéance électorale pour présenter un contre-projet.

En cette période troublée où le complotisme et la violence politique connaissent un regain de popularité, il serait peut-être temps de cesser de jouer avec le feu.

*Vincent Tournier est maître de conférences à Sciences Po Grenoble et membre de l’Observatoire du décolonialisme.

 

« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »

Auteur

Ce qu'il vous reste à lire
0 %

Peut-être devriez-vous vous abonner ?

Sinon, ce n’est pas grave ! Vous pouvez fermer cette fenêtre et continuer votre lecture.

    S'enregistrer:

    Soutien à notre collègue Bergeaud-Blackler

    Florence Bergeaud-Blackler, chercheuse au CNRS, devait donner une conférence à l’Université de Lille sur un sujet brûlant : l’influence des Frères musulmans et l’entrisme islamiste dans certains syndicats et mouvements de gauche. Pourtant, sa conférence a été annulée. Cette décision, prise par le doyen, est un acte politique qui ne dit pas son nom. Une fois de plus, l’université cède aux pressions idéologiques et sacrifie le débat scientifique sur l’autel du conformisme militant.
     
    Cette annulation n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans un climat où toute critique de l’islamisme est immédiatement disqualifiée, où ceux qui osent poser des questions sont taxés de “racistes” ou d’“extrême droite”. Dans les sciences sociales, en particulier, la règle tacite est claire : on se soumet ou on dégage. Ceux qui refusent de plier sont mis à l’écart, leurs conférences interdites, leurs noms jetés en pâture à des étudiants dressés à confondre débat intellectuel et offense personnelle.
     
    Comment expliquer que des syndicats, censés défendre la liberté d’expression, se soient transformés en gardiens du dogme ? Pourquoi tant de collègues se taisent, sinon par peur ? Cette lâcheté collective est précisément ce qui permet aux censeurs d’imposer leur loi. Mais il faut le dire : l’Université ne peut pas devenir un espace clos où seuls certains discours sont autorisés.
     
    Face à cette censure, la chercheuse a décidé de maintenir sa conférence, ailleurs s’il le faut. Le débat aura lieu le 5 mars, avec le plus grand nombre possible de participants. Car la lutte contre l’islamisme et ses complicités idéologiques n’est pas une affaire de partis : c’est une question existentielle pour notre démocratie.
    L’Université doit rester un lieu de savoir et d’échange, pas un bastion du sectarisme.