Quand l’école invite à « déconstruire la parenté »

Quand l’école invite à « déconstruire la parenté »

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Quand l’école invite à « déconstruire la parenté »

Canopé, anciennement « Centre national de documentation pédagogique », est un établissement public à caractère administratif qui dépend du ministère de l’Éducation nationale et édite des ressources pédagogiques.

En septembre 2020, Canopé édite à l’intention des classes de Terminale un dossier d’Histoire des arts intitulé « Arts et émancipation » [téléchargeable ici: https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/arts_et_emancipation/ArtsEtEmancipation_gratuitImprimable_sept_2020.pdf], dont l’avant-propos est rédigé par un inspecteur général.

La première section, intitulée « Émancipation familiale » (p. 5-11), présente des « œuvres » qui visent à « déconstruire la parenté »: https://www.reseau-canope.fr/arts-et-emancipation/emancipation-familiale/presentation.html

Le rédacteur de cette section, attaché de conservation au Service Nouveaux Médias du MNAM/Centre Pompidou, a soutenu en 2018 une thèse sur la « Culture visuelle des musiques industrielles (1969-1995) » avant de poursuivre des recherches postdoctorales sur la « Culture matérielle contestataire: Performance et mail art activiste du groupe Les Petites Bonbons (années 1970) ». Dans son CV, il indique travailler sur « l’art expérimental: psychopathologie et études comportementales » (il est membre fondateur de l’association « Art et Antipsychiatrie »), ainsi que sur un axe de recherche consacré aux « politiques identitaires » qu’il définit ainsi:

Analyse d’une émancipation radicale du genre dans les performances multimédias d’artistes féministes pro-sexe. Les expérimentations de déconditionnement menées par ces artistes dans leurs performances engagent les limites biopolitiques du corps et du genre, en jouant sur les seuils psychologiques et physiologiques du sujet. Les activités de Cosey Fanni Tutti, Karen Finley, Kembra Pfahler et Annie Sprinkle aident à réfléchir à des questions identitaires destinées à renverser les valeurs patriarcales, quand le concept de « pandrogynie » pensé par Genesis et Lady Jaye Breyer P-Orridge explore les porosités du genre, en adaptant des théories contre-culturelles à une véritable expérience physique, proprement chirurgicale (pose d’implants mammaires et chirurgie faciale).

[Source: http://labexcap.fr/wp-content/uploads/2019/11/BALLET-Nicolas-CV-analytique.pdf]

C’est donc à un spécialiste de la transgression pornographique que Canopé fait appel pour rédiger un chapitre intitulé « Émancipation familiale ».

On découvre dans la présentation du sujet (p. 5) que si « la structure familiale affirme aujourd’hui sa pluralité », cela ne débouche pas sur une absence de norme ou sur la disparition des modèles: bien au contraire, la « famille recomposée constitue un nouveau modèle ». L’apparition d’un « nouveau modèle » n’est pas anodine, puisque l’inspecteur général qui ouvrait le dossier signalait à juste titre que l’impératif de « transgression » avait pour revers ce mouvement par lequel l’artiste doit « se “soumettre” à une nouvelle autorité morale, celle-là même qui dénonce et s’oppose » [au modèle ancien] (« Avant-propos », p. 3). Conformisme de l’anticonformisme: les artistes qui transgressent courageusement des modèles périmés mettent bien leur art au service de la défense d’une nouvelle norme et de l’illustration d’un nouvel ordre moral.

La première œuvre évoquée, dès la « présentation du sujet », est une photo de famille prise en 2001. Le rédacteur du chapitre cite l’interprétation par Chloé Maillet, transactiviste, de cette photo d’une famille dont les membres ne se ressemblent pas, ce qui permettrait de « remettre en question une forme de “conservatisme des représentations dans les images de la parenté” ». Un lien hypertexte invite à consulter l’article de Maillet, « La parenté comme méthode (des portraits de famille à la génération artistique) », où l’on peut lire par exemple, toujours au sujet de la même photo:

Or la ressemblance intrafamiliale semble aller de soi en Occident, tandis que dans certaines sociétés, par convention, on ressemble toujours au même parent de génération en génération. Et les enfants adoptés ressemblent aussi à ceux qui les ont élevés. Les images de la parenté restent presque toujours dépendantes de ce problème, qui découle de l’axiome chrétien « Dieu a créé l’homme à son image », ce qui a fait de tout humain son fils ou sa fille.

Voilà l’explication ultime: remonter à la Genèse pour déconstruire ce qui « semble aller de soi en Occident ». La ressemblance avec les parents n’existe pas: c’est une idéologie mythologique.

Dans une sous-partie intitulée « Déconstruire la parenté » (p. 5-6), l’élève de Terminale est appelé à « interroge[r] les déterminismes liés à la famille »: « certains artistes se consacrent pleinement à la déconstruction du rôle du père ou de la mère pour exprimer une émancipation du modèle familial. » Ainsi une installation d’art contemporain intitulée The Destruction of The Father, qui mêle fantasmes parricides et cannibales, est présentée aux élèves comme « un dispositif qui se transforme en un véritable outil d’émancipation ». Une autre œuvre, « The Bad Mother (1997), dessin dans lequel une mère laisse son lait couler, donne un exemple de ce type de réflexion autour de l’identité maternelle ». Ce type d’installations ou de performances n’interrogent ou ne dérangent plus rien ni personne depuis très longtemps, mais ils sont devenus le nouvel art pompier, le véritable art officiel qui sert à la propagation du politiquement correct. Pour preuve de l’absence de toute dimension transgressive dans ce type de représentation, on le retrouve jusque dans un roman de supermarché écrit par la directrice de la rédaction de Point de vue Images du monde:

[Esther, l’ex du narrateur, était performeuse.] « Elle détournait l’image maternelle, faisait ruisseler du lait sur ses petits seins tout en dévoilant son entrejambe.« 

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Les Jours heureux,
cité dans Le Matricule des anges, n°226, sept. 2021, p. 50.

Pourquoi entretenir auprès des élèves le mythe de la puissance transgressive de cet art pompier, si ce n’est pour les convaincre de la pertinence du discours déconstructeur lourdement illustré par ces œuvres?

Le dossier évoque ensuite le cinéma:

La déconstruction de la parenté apparaît également dans le domaine du cinéma lorsque la cinéaste française Anne Fontaine développe des anti-modèles familiaux dans ses films (Comment j’ai tué mon père, 2001) pour contrer les effets délétères de la famille traditionnelle. La cinéaste considère à ce titre la notion de famille « comme une menace, comme une entrave à la liberté: elle restreint l’espace mental de l’individu, l’oblige à se plier à des règles. Il faut s’en libérer » (Anne Fontaine citée par Nathalie Crom, Émilie Gavoille, Jacques Morice, Fabienne Pascaud, « La famille, inspiration d’artistes », Télérama, le 28 février 2014.)

(p. 6 https://www.reseau-canope.fr/arts-et-emancipation/emancipation-familiale/deconstruire-la-parente.html)

L’ « émancipation », c’est donc la déconstruction de la famille, et des parents. Certes, ce discours s’adresse à des élèves qui sont déjà grands, puisque le dossier est destiné à ceux qui suivent l’option « Histoire des arts » en Terminale. Mais, même en Terminale, l’élève mineur reste soumis à l’autorité parentale. La circulaire ministérielle du 29 septembre 2021 « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire » rappelle que « l’exercice de l’autorité parentale, qui recouvre un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, ne saurait être remis en cause ». La circulaire cite l’article 371-1 du Code civil:

L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques.
Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.

La circulaire invite également, « dans l’intérêt de l’élève et à son initiative, d’instaurer un dialogue avec sa famille », si « les parents de l’élève mineur s’opposent à l’utilisation d’un prénom d’usage demandé par leur enfant dans son cadre scolaire ».

Comment le lycée peut-il respecter l’autorité parentale sous laquelle est placée l’élève mineur, tout en l’invitant à « déconstruire la parenté »? Comment peut-il à la fois inviter les parents au dialogue et les dénigrer dans un cours d’Histoire des arts où la famille est présentée uniquement comme une « oppression » dont il faut « s’émanciper »?

Et si l’on se demande quels sont les moyens de cette prétendue émancipation, et vers quoi elle mène, il suffit de consulter la section « Interroger les usages faits du corps féminin » (p. 6-7) dans le chapitre « Émancipation familiale ». C’est la pornographie et la prostitution qui y sont présentées comme des outils permettant ­de « déconstruire [des fantasmes] par des tactiques de détournement pour renverser le male gaze (ou regard masculin) »:

« Prostitution », conçue avec COUM Transmissions (ICA, Londres, 19-26 octobre 1976), atteste de cette démarche dans le monde de l’art contemporain de l’époque. L’initiative radicale de Cosey Fanni Tutti propose ici une libération des corps, qui trouve son origine dans une relation parentale conflictuelle, source d’une émancipation familiale traversant diverses pratiques artistiques.

Il s’avère que COUM Transmissions était une troupe d’art performance incluant aussi bien des éléments intellectuels que criminels. L’organisation était notamment fascinée par le totalitarisme, la pornographie et les tueurs en série (Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/COUM_Transmissions). Voilà la « libération des corps » à laquelle Canopé invite les élèves de Terminale.

Cette étude de cas met en lumière la porosité de l’enseignement secondaire aux « studies » dont les universités sont les laboratoires idéologiques. En l’occurrence, ce dossier d’Histoire des arts diffuse auprès des élèves les doctrines et les représentations élaborées par les Post-Porn Studies. Est-ce bien raisonnable?

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