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Au suivant!… «Blanchité universitaire» et «privilège citationnel» (article de Sara Ahmed dans Recherches féministes)

Au suivant!… «Blanchité universitaire» et «privilège citationnel» (article de Sara Ahmed dans Recherches féministes)

https://doi.org/10.7202/1085240ar

Sara Ahmed, « Des murs en brique »

Recherches féministes, volume 34, numéro 1, 2021, p. 25–45. Article mis en ligne en janvier 2022.

Résumé

Dans des extraits d’un chapitre de son ouvrage Living a Feminist Life (2017), l’auteure montre comment le corps est le lieu de rencontre des deux facettes du travail de diversité effectué dans un contexte institutionnel : le travail que nous faisons avec l’intention de transformer les normes d’une institution et celui que nous faisons quand nous n’incarnons pas pleinement ces normes. En relatant une série d’incidents survenus dans le milieu universitaire, l’auteure expose les différents « murs en brique » auxquels se heurtent sans cesse les personnes qui ne sont pas blanches, pas mâles, pas hétérosexuelles, pas cis, pas sans handicap, et à qui incombe le plus souvent le travail de diversité.

Mots-clés : diversité, corps, normes, milieu universitaire, racisme, sexisme

Extraits :

Si vous êtes une personne qui n’est pas blanche, pas mâle, pas hétérosexuelle, pas cis, pas sans handicap, vous êtes davantage susceptible de vous retrouver membre de comités de diversité ou d’égalité. Plus vous n’êtes « pas », plus nombreux sont les comités auxquels vous pourrez finir par siéger. Ne pas être « pas » peut vouloir dire être moins susceptible de faire ce type de travail. Étant donné que les organisations valorisent généralement moins le travail de diversité, ne pas être « pas » peut signifier avoir plus de temps pour accomplir le travail mieux valorisé. Et je crois que cela s’avère très important : une si grande partie de ce que nous devons faire, en raison de qui ou de ce que nous ne sommes pas, ne se trouve pas reconnue. Quand nous faisons le travail de diversité selon chacune de ces significations, ce fait est souvent occulté, comme si « faire la diversité » correspond tout simplement à « être la diversité », ou comme si tout ce qu’il y a à faire, c’est être. À vrai dire, pour les personnes qui « font le travail de diversité », être n’est jamais « tout simplement être ». Il y a tellement à faire pour être.

Privilège citationnel : quand il n’est pas nécessaire d’avoir l’intention d’effectuer votre propre reproduction. Une fois une chose reproduite, il n’est pas nécessaire d’avoir l’intention de la reproduire. Pour ne pas reproduire la blanchité, vous devez aller plus loin que ne pas avoir l’intention de reproduire la blanchité. Les choses ont tendance à tomber comme elles ont eu tendance à tomber, à moins que nous essayions d’arrêter les choses de tomber de cette manière. Une intention est requise, étant donné cette tendance, étant donné ces tendances.

[…]

À une autre occasion, on m’a demandé de parler dans un congrès sur la phénoménologie. On m’a envoyé l’appel à communications, qui faisait référence à douze hommes blancs et une femme blanche. J’ai pointé cette pratique citationnelle, et la personne m’ayant invitée s’est sincèrement excusée : il a dit que ma remarque suscitait chez lui un « certain sentiment de honte ». Peut-être apprenons-nous de cette réponse en quoi le féminisme peut être rejeté comme moralisateur : comme si le but de faire des remarques féministes était de faire honte aux autres, de les amener à se sentir mal. Le discours de la moralisation concerne la manière dont les idées féministes sont reçues, non pas la manière dont elles sont envoyées. Après tout, il est possible de se sentir mal comme façon de ne rien faire, et nous envoyons ces lettres parce que nous voulons que quelque chose se fasse.

Les histoires du racisme et du sexisme sont parsemées de bonnes intentions et de mauvais sentiments; elles semblent en quelque sorte s’unir, comme pour dire : « En me sentant mal, je veux bien faire ».

Cette invitation n’était pas un fait rare : j’ai reçu de nombreuses invitations à présenter une communication lors d’événements pour lesquels les appels à communications faisaient référence uniquement à des hommes blancs (ou à une exception près). On peut vous inviter à reproduire ce dont vous n’avez pas hérité. Ici, la personne briseuse de murs s’apprête à faire une autre apparence. La blanchité peut être reproduite par l’hypothèse selon laquelle vous inviter (une personne qui n’est pas blanche) permet d’y mettre fin. La blanchité : uniquement sur invitation. Nous n’y mettons pas fin. La généalogie demeure inchangée malgré une invitation envoyée à une personne qui ne fait pas partie de cette généalogie, ou peut-être même grâce à celle-ci. Le fait d’inviter des personnes qui ne sont pas blanches à s’insérer dans la blanchité peut constituer la réinsertion de la blanchité.

Si nous questionnons la généalogie, nous apprenons les techniques de sa reproduction. Dans sa réponse par courriel, la personne qui m’avait invitée a écrit qu’il était au courant que des féministes et des personnes de couleur travaillent dans ce domaine et a fourni une explication de ses raisons pour ne pas les citer : « Je crois que ma mention principalement d’hommes blancs et des lacunes dans leurs théorisations est – de façon irréfléchie – due au fait que j’essaie aussi d’accommoder mes collègues aux perspectives plus conservatrices qui, je pense, ont peut-être besoin d’une certaine rassurance, ce qui se fait par la citation de personnes déjà bien connues » (traduction libre). Le sexisme et le racisme comme pratiques citationnelles sont aussi un système d’accommodement, justifié comme forme de rassurance, comme manière de maintenir ce qui est familier pour les personnes qui veulent maintenir ce qui est familier. Il s’agit d’une manière de maintenir les connaissances, un réseau d’amitiés, un réseau d’affinités, ce que font les hommes blancs au nom d’autres hommes blancs, pour les rassurer que le système dans lequel ils se reproduisent sera reproduit.

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