Par Yana Grinshpun
Frédérique Vidal a convenu de l’existence d’un problème de militantisme activiste au sein de l’Université française. C’est d’ailleurs sur ce point que la tribune des 100 publiée par le Monde attirait l’attention, et c’est ce que L’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires observe aussi quotidiennement. L’intervention de Vidal à ce sujet et son inquiétude en tant que Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche montrent que les sciences humaines et sociales doivent occuper leur place dans le débat public. La vie universitaire n’est pas un monde clos réservé aux abonnés, les citoyens de la république doivent être avertis des tendances idéologiques mais aussi des dérives qui peuvent y avoir lieu.
Or, le décolonialisme en est une, il se propose comme une grille d’interprétation orientée politiquement qui subvertit les disciplines comme la sociologie, l’histoire et la philosophie. Le décolonialisme contrevient au principe de l’universalisme républicain en essayant de convaincre les jeunes que la société peut et doit être interprétée en fonctions de deux concepts clés : race et genre. Dans cette perspective, il n’existerait que le rapport de domination entre les « blancs » et les «non-blancs », entre les femmes et les hommes, entre les minorités opprimées et l’État systémiquement « raciste ». Les uns auraient des privilèges et les autres seront toujours discriminés, car assignés à leur couleur de la peau ou à leur sexe. Il existerait aussi une intersection entre les dominés, qui à ce titre peuvent se déclarer doublement discriminés : par exemple, en tant que femmes et en tant que femmes non-blanches. Ces grilles de lectures racistes et sexistes qui nous font revenir aux siècles passés prospèrent à l’Université en guise de « science ». Elles rappellent inexorablement l’idéologie communiste qui régnait dans les Universités soviétiques où la seule grille de l’analyse sociologique consistait à appeler à la lutte contre les dominants, à expliquer du matin au soir que le monde se divise en deux clans opposés : les dominés et les dominants et que le marxisme-léninisme est une nouvelle grille de lecture du monde qui propose l’explication totale.
On reconnaît la rhétorique de la « nouveauté épistémologique » institutionnalisée sous la plume du directeur du CNRS, Antoine Petit, quand il écrit dans la préface du livre de Pascal Blanchard et al., Sexualité, identité & corps colonisés, Éditions du CNRS, 2019. : « La « race » devient la nouvelle grille de lecture du monde sur laquelle s’intègre la grille du genre, et qui s’articule à la hiérarchie homme/femme : aux colonies, le plus petit des « Blancs », sur l’échelle sociale, sera toujours plus grand que n’importe quel colonisé, surtout s’il s’agit d’une femme ».
Un autre chercheur renchérit dans Cahiers du genre : « Loin de tomber dans le piège de l’essentialisation, le concept de blanchité ne renvoie toutefois ni à un type corporel, ni à une origine définie, mais à un construit social aux modalités dynamiques par lesquelles, en certains contextes sociohistoriques, certains individus ou groupes peuvent être assignés (selon un processus d’allo-identification) ou adhérer (selon un processus d’auto-identification) à une ‘identité blanche’ socialement gratifiante ».
De passé républicain faisant table rase, ces chercheurs proclament l’avènement du monde nouveau, qui ressemble fort au monde très ancien, divisé en fonction de la couleur de la peau et du sexe. Ces discours à prétention académique sont une goutte dans l’océan d’écrits qui mettent en scène le blanc, coupable de tous les crimes de lèse-humanité. Le concept de « blanchité », même si on essaie de le cacher par des pirouettes rhétoriques, renvoie au phénotype, à la couleur de la peau et a des relents de racisme primaire. Car c’est la blanchité qui donne des privilèges, selon les auteurs décoloniaux. Même s’il s’agit d’un SDF, d’un agriculteur du fond du Tarn ou d’un chômeur breton. Peut-on cesser d’être blanc ? Peut-on renoncer à sa peau ? Et surtout le doit-on au nom d’une nouvelle forme de racisme qui refait la surface dans le monde républicain où l’égalité des femmes et des hommes, des noirs et des blancs, des juifs et des arabes demeure un principe fondamental.
Cela ne peut qu’inspirer des développements contestables des universitaires qui présentent la France comme un État colonial despotique, raciste et islamophobe qui opprime ses citoyens, qui présentent les femmes comme systématiquement persécutées en raison de leur sexe. Les mots comme « blanchité », « racisme systémique », « domination hétéropatriarcale » ne sont pas des concepts, mais des dénonciations idéologiques et des accusations devenues rituelles contre la société occidentale qui ne sied pas à la nouvelle idéologie désireuse de tout déconstruire.
Islamogauchisme
Quelque critiquable que soit ce mot qui ne désigne pas un concept mais une tendance qu’on observe au sein de la société et au sein de l’université, il reflète une convergence d’objectifs entre des mouvances qui se disent antiracistes et des mouvements islamiques pour détruire les États-Nations démocratiques et culpabiliser l’Occident. Telle sociologue explique que les musulmans sont une minorité « opprimée », réprimée par le « racisme systémique » de l’État français et qu’ils doivent mener un combat contre les oppresseurs colonisateurs. Cet appel s’inspire de la rhétorique désireuse d’en finir avec la « domination » historique des « colons » du monde occidental. En témoignent de nombreux appels à « décoloniser » l’univers social dans lequel nous évoluons et qui serait trop centré sur la culture occidentale. Quant à l’idéologie et son rapport avec des actes terroristes, on sait bien qu’aucun idéologue ne prend la hache pour couper les têtes. Le pire parmi les idéologues islamistes aujourd’hui, l’imam Youssef Al-Qaradâwî, figure centrale de la confrérie Frères Musulmans, n’a jamais tué personne par lui-même, tout en soutenant les mouvements terroristes qui visent la destruction de l’Occident. Ce sont les discours qui produisent l’idéologie, qui légitiment les actes violents, qui proposent une vision révisionniste de l’histoire, culpabilisent l’Occident, dédouanent les meurtriers de leur responsabilité,en inversant les rôles. C’est cette idéologie victimaires qui prétend « libérer » les « racisés » des Blancs, les femmes de la « domination » masculine, les immigrés de la population française colonisatrice. Tous les universitaires connaissent la domination de ces discours qui ont envahi les Sciences Humaines et Sociales. La victimisation pratiquée par ces idéologies introduit dans les sciences sociales une cohorte de dichotomies simplistes qui plaisent tant au décolonialisme : hommes oppresseurs /femmes opprimées, occidentaux oppresseurs / musulmans opprimés, colonisateurs arrogants / indigènes humiliés.
La réponse de la Conférence des Présidents d’Université
Dans une réponse étonnante, les représentants du personnel universitaire que sont les présidents d’université font un procès à F. Vidal pour l’emploi du mot « islamogauchisme » qu’ils renvoient « aux propos de comptoir ». Ce déni de la réalité, que constatent de nombreux collègues, ne peut que surprendre de la part de ceux qui sont censés savoir ce qui se passe sur le terrain. Leur renvoi à « l’extrême droite » relève du même simplisme manichéen que la dichotomie décoloniale : tous ceux qui ne sont pas d’accord avec nous sont à l’extrême droite. C’est un procédé rhétorique éculé utilisé pour refuser tout débat n’est pas digne de la haute instance universitaire. On ne voit pas, d’ailleurs, en quoi le terme « extrême droite » serait plus scientifique que « islamogauchisme ».
De surcroît, il est étrange d’entendre parler de menace contre la liberté académique par la CPU alors que les courants décoloniaux sont justement ceux qui attaquent violemment des chercheurs qui ne partagent pas leurs grilles de lecture. Faut-il rappeler le nombre de colloques, de conférences ou de journées d’études annulés sous pression des militants?
Nommer le CNRS et l’Agence l’Alliance–Athena pour faire un rapport, une fausse bonne idée ?
Que les tutelles s’intéressent à ce qui se passe au sein de l’Université et que la ministre demande des comptes à cette institution, il n’y a rien d’étonnant. Les enseignants-chercheurs sont fonctionnaires de l’État, tout en étant supposés d’être autonomes dans leurs recherches, ils sont payés par l’État et, donc par le contribuable, qui a le droit de savoir ce qu’on y enseigne. Si les tutelles sont inquiétées, et pas seulement en France (voir le récent rapport du gouvernement britannique sur la liberté académique), c’est aussi parce que ceux qui sont formées à l’Université sont futurs maitres d’écoles, enseignants de la République, formateurs de nos enfants. La grande majorité ne voit pas les enfants de la République comme « racisés » ou « blancs », mais comme citoyens égaux dans une société démocratique et universaliste. Or, s’ils sont formés par les décoloniaux, cela sera la fin des acquis des Lumières, de l’universalisme, de la démocratie et le début d’une société en proie à la guerre raciale, religieuse et culturelle.
Que les rapports sur l’activité universitaires soient rendus, il n’y a donc rien d’étrange. Parler du flicage ou de la police de pensée est une manipulation rhétorique. L’Université n’est pas un monde clos, c’est un lieu d’évaluations permanentes. On peut se demander alors, pourquoi le CNRS, surtout à la lumière des positions racialistes du Président du CNRS et des thèses qui s’y soutiennent et s’y propagent. Pourquoi Alliance Athéna, quel est son rapport avec ce qui se passe sur le terrain, sinon qu’elle va être dirigée par le même Antoine Petit, nommé par Frédérique Vidal qui lui sait gré d’utiliser le mot race entre guillemets ?