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Étudier le porno « en observation participante »

Étudier le porno « en observation participante »

Thèse sur
LE TRAVAIL PORNOGRAPHIQUE GAY:
ALIÉNATION ET JOUISSANCE.
SOCIOLOGIE SITUÉE DU TRAVAIL (HOMO-)SEXUEL DES CORPS

Thèse dirigée par Patrick Rozenblatt, soutenue le 13 janvier 2021 à l’Université Lumière Lyon 2 devant le jury composé de Sébastien Chauvin, Christine Detrez, Samuel Julhe, Patrick Rozenblatt et Djaouidah Sehili: http://www.theses.fr/s205538

[Consulter le résumé illustré]

Extraits du Discours de soutenance de thèse

Le travail pornographique se situe, pour ainsi dire, à la marge de la marge. Il est une forme spécifique de travail sexuel que les représentations de sens commun réduisent à un rapport d’aliénation totale. Or, ce type de discours privent [sic] les personnes de leur parole en leur niant tout pouvoir d’agir. En raison de mon parcours personnel, c’est une idée à laquelle je présente [sic] quelques résistances. Il me semble, sur ce point, que les analyses qui sont produites au sein de ma thèse tendraient à justifier ces résistances. De plus, à la parole niée, s’ajoute une représentation d’un corps morcelé, voire disloqué. Pourtant, il ne me semble pas avoir vu, sur mon terrain, durant ma recherche, des morceaux de corps, mais bien des corps entiers qui s’articulaient subtilement en fonction des incorporations des techniques, des savoirs et des compétences pornographiques. Des corps entiers, donc, où s’agglomèrent et se composent différents niveaux de représentations allant du rapport à soi et à son intimité au symbolique. Le corps comme le travail sont toujours pris en tension entre « jouissance et aliénation ». C’est pourquoi j’ai formulé la problématique suivante: en quoi le travail pornographique gay est-il typique des rapports de travail en tant qu’il est aussi une configuration spécifique où s’imbriquent des processus contradictoires d’aliénation et de jouissance de soi?
(p. 3-4)

À la suite de Pierre Naville, je définis la jouissance comme la maitrise et la possession des outils de production. La jouissance est jouissance de son travail et de sa production. Dans le cas du sujet qui nous réunit aujourd’hui, la jouissance n’est évidemment pas la même selon le statut de la figure à laquelle nous nous intéressons. Les producteurs ont une plus grande maitrise des outils de production, mais aussi captent la plus grande part de la valeur produite. Dès lors, ils peuvent également exploiter, au sens de l’exploitation du travail, les acteurs. La jouissance se traduit donc par une possibilité accrue de choix et de marges de manœuvre. Pour les acteurs, cet espace est réduit, et je l’avais montré, dans le cadre du travail pornographique, ils sont relativement à la merci du bon vouloir des producteurs et des réalisateurs. Toutefois, le gain en expérience, l’acquisition de compétences corporelles passant par l’incorporation des techniques, des normes et des codes pornographiques, leur apporte une grande maitrise de leur corps, de leur image, mais aussi de leur homosexualité. Le travail pornographique participe pleinement à l’appropriation de cette identité. De plus, la précarisation de leur métier les amène à développer une série de compétences leur permettant d’investir d’autres configurations de travail où ils peuvent réinvestir leurs connaissances. Pour eux, particulièrement, les processus d’aliénation sont la condition de possibilité de la jouissance.
En miroir, je définis donc l’aliénation comme le processus de dépossession des outils de la production et de disqualification pouvant se traduire par une forme de précarité tant matérielle que temporelle.
(p. 4)

Le travail pornographique gay est une configuration qualifiante au sens où elle favorise le développement de techniques du corps qui, par l’expérience et les apprentissages, s’articulent pour devenir des compétences corporelles. De plus, le travail pornographique en mobilisant l’intime et les goûts des acteurs tend à troubler les frontières entre intimité et professionnalité, mais aussi à créer une véritable circulation entre ces configurations. Ces transformations des rapports à soi et au travail favorisants [sic] paradoxalement une jouissance de soi, de leur « identité sexuelle », et de l’affirmation de leur goût.
(p. 5)

Méthodologie et accès au terrain
Pour répondre à ces hypothèses, il me fallait accéder au terrain, mais avant établir un protocole méthodologique. Ce qui n’était peut-être pas une évidence, l’accès au terrain a été rendu possible par mon réseau de connaissance. Un ami qui fréquentait un salarié de PinkTV nous avait obtenus des passes VIP pour la soirée des Award Gay. Je raconte déjà tout cela dans ma thèse, je ne reviendrais donc pas en détail dessus. Mais cette soirée a joué un rôle clef dans la prise de contact avec les sociétés de production et les acteurs.
Ce moment de prise de contact a été difficile puisqu’il a fallu dépasser ma timidité qui a, toutefois, permis des écarts, sources de rire ou de gêne, favorisant la mise en place d’échange. Par exemple, quand, pour établir contact avec un acteur, je lui demande s’il est acteur. Cela l’a fait rire. C’était un jeu de dupe puisque nous étions à cette soirée. Certes, j’étais inconnu dans un monde de « personnalités connues » ou du moins qui se connaissaient entre elles et, disons-le, que je connaissais aussi. Ce sont ces maladresses qui participent aussi à la recherche sociologique qui se situe entre talent et technique et qui ne saurait parfaitement être intégrée à un protocole méthodologique.
Sans l’établissement de ces contacts, la mise en place d’observations « participantes » aurait été impossible. Je le raconte, cela m’a permis d’être caméraman sur une dizaine de tournages sur la vingtaine que j’ai observé sur Lyon, Paris, et Marseille. A priori, en me confiant la caméra le réalisateur ne pensait pas que je produirais de « belles images ». Ce que je ne dis pas dans ma thèse, c’est le rôle des formations doctorales dans mon apprentissage du métier de cameraman. En effet, j’étais déjà à l’aise avec ces outils pour avoir suivi une formation sur l’image en science humaine et sociale avec des temps de mise en pratique. La caméra, pour avoir des images stables, était un outil que j’avais déjà pris en main. D’ailleurs, pour cette raison, mon protocole méthodologique prévoyait également la mobilisation d’images fixes, c’est-à-dire de photos pour donner à voir le travail en train de se faire. Ces photos étant ensuite montrées aux acteurs pour échanger sur leur pratique.
(p. 6-7)

Une autre possibilité aurait été de flouter les visages et de laisser tout le reste apparent… une sorte de pudeur de sociologue. […] Mais, qu’est-ce que flouter veut dire?
D’abord, je suis sur un terrain où les différentes figures s’approprient leur identité et leur corps. Elles sont dans un mouvement d’affirmation d’elle-même. Flouter reviendrait alors à nier leur individualité, à nier ce processus de jouissance de soi.
(p. 7)

Pour conclure rapidement sur quelques perspectives […] il me semble nécessaire de développer l’approche intersectionnelle en rendant compte non seulement des masculinités, mais aussi de la construction de la blanchéité par le travail pornographique gay.
(p. 9)

[Source: Discours de soutenance de thèse]

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