Féministe, j’ai été « cancellée »

Féministe, j’ai été « cancellée »

Marie-Jo Bonnet dénonce la censure dont elle est victime au sein des milieux militants féministes et LGBT pour avoir exprimé des positions critiques sur le mariage, la PMA médicalisée pour lesbiennes, et la transition de genre, qu'elle considère comme des réponses normatives à des malaises sociaux et identitaires. Les nouvelles normes progressistes deviennent des instruments d'exclusion, de censure et de falsification de l'histoire, sous couvert de défendre les minorités.

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Féministe, j’ai été « cancellée »

Je fais partie des nombreux écrivains féministes et militants de gauche (femmes et hommes) qui sont « cancellés » pour pensée non conforme aux diktats « woke ».

Mon péché est triple. M’être exprimée publiquement contre le mariage (qu’il soit hétéro ou homo) alors qu’il était devenu un indicateur de gauche. M’être opposée à la médicalisation de la PMA pour les lesbiennes non stériles parce que je pense qu’il n’est pas nécessaire d’aller en clinique pour se faire inséminer du sperme congelé quand on peut le faire à la maison. Et aujourd’hui parce que j’ai osé écrire un livre sur les filles qui deviennent des garçons en proposant à la transition de genre une alternative dite « butch », comme disent les Américaines. « Butch », désignant des filles « masculines » qui « passent » pour un homme », c’est-à-dire qui « passent » d’un sexe à l’autre en s’habillant en pantalon et en assumant ouvertement leurs désirs pour des femmes pour mener une vie libre et indépendante. Quand 75% des personnes qui « transitionnent » d’un sexe à un genre sont des filles, cela pose des questions sur le statut des filles dans notre société. Et quand on leur propose comme solution à leur malaise des hormones et de la chirurgie, cela mérite examen. Et cela devrait susciter des débats dans la gauche progressiste. Mais les wokes ne veulent pas en entendre parler. L’homosexualité n’est plus émancipatrice. C’est la transition de genre qui devient la solution aux amours non conformes aux stéréotypes hétérosexuels.

Alors, on boycotte les livres, on les cache dans les librairies, on fait pression sur les journalistes pour qu’ils ne les chroniquent pas, on sabote les lieux ouverts, comme à Rennes, le bar « La part des Anges » qui a dû fermer après une attaque néoféministe-trans. La violence du refus de toute parole critique a pris des proportions inimaginables dans notre démocratie, signe que notre société va vraiment mal.

Mais ce n’est pas tout. Aujourd’hui, on vole notre travail en toute impunité morale comme cela m’est arrivé récemment avec deux documentaires sur Violette Morris, alors que je suis sa biographe. J’ai été exclue du premier après avoir fait un entretien de trois heures avec la réalisatrice car l’équipe ne tolérait pas la présence d’une historienne auteur d’un livre prétendument anti-trans – qu’elles n’avaient pas lu, évidemment. L’autre documentariste m’a censurée car ma présence la gênait dans son projet de faire de Violette Morris une icône du transactivisme. Falsifier l’histoire en faisant taire toute argumentation contraire aux présupposés idéologiques est là-encore une pratique devenue convenable. Car l’idéologie a remplacé l’histoire. Et côté politique, l’idéologie a supplanté tout sens de la justice. Ainsi, les lesbiennes sont purement et simplement mises à la porte des Centres LGBT financés par les pouvoirs publics pour défendre les « droits LGBT ». Colonisés par les transactivistes, ces centres ne veulent plus des féministes universalistes dans leur territoire. L’idéologie trans fait la loi, parlant haut et fort à la place des femmes sous prétexte qu’ils se « sentent femme » et pour certaines trans, se « sentent lesbiennes », ce qui est un comble.

Mais peut-on vraiment qualifier de woke la cohorte des censeurs qui sévit un peu partout pour restaurer les normes et les interdits ? En fait, c’est tout un système idéologique de contrôle de la pensée, de révisionnisme de l’histoire et de la science qui s’est mis en place ces dernières années, s’inscrivant dans une longue histoire de la répression. Des inquisiteurs de la Renaissance pourchassant les sorcières aux censeurs royaux étouffant toute contestation de la monarchie absolue de Droit Divin, en passant par le stalinisme, le nazisme, et tous les pouvoirs dictatoriaux, les moyens de faire taire la critique n’ont pas manqué. La nouveauté aujourd’hui vient de ce que les censeurs se réclament de minorités opprimées. Ils exigent justice en s’appuyant sur la puissance de la technoscience, sur celle de l’industrie pharmaceutique et, last but not least, en actionnant le ressort tout aussi puissant de la culpabilisation de l’Occident face à l’esclavage et la colonisation.

C’est leur faire beaucoup d’honneur de les qualifier de woke. Qu’ont-ils d’éveillés, ces persécuteurs d’hérétiques qui ignorent la bisexualité psychique et croient que le sexe est « assigné » à la naissance, que l’Autre n’existe pas, que l’égalité est l’identité et que la restauration des stéréotypes de genre est une démarche identitaire.

La liberté de penser a été un long combat mené par de vrais éveillés qui avaient pris leurs distances avec le mainstream et les croyances dominantes.

Chez les bouddhistes, l’éveil spirituel est synonyme de réalisation de soi et de « libération ». Nos censeurs ressemblent plutôt à des illuminés aveuglés par la certitude d’avoir trouvé LA réponse à leurs problèmes existentiels. Le fait qu’ils cancellisent violemment ceux et celles qui ne rentrent pas le rang montre bien qu’au fond d’eux-mêmes gît le doute sur le bien-fondé de leurs croyances. N’est-ce pas le psychanalyste Jung qui disait : « Le fanatisme est la surcompensation du doute ».

***

Marie-Jo Bonnet est historienne, écrivaine et féministe. Derniers livres parus : Jean Cocteau “Je t’aime jusqu’à la mort”. Correspondance avec Jean Desbordes 1925-1938. Édition de Marie-Jo Bonnet, Albin Michel, 2023 et (avec Nicole Athea) Quand les filles deviennent des garçons, Odile Jacob, 2023.

On peut retrouver ce texte sur Causeur.

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