L’école, la fac et l’avenir

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L’école, la fac et l’avenir

Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC

Table des matières

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L’école, la fac et l’avenir

[par Xavier-Laurent Salvador]

Puisse cet article participer au réarmement intellectuel des parents dont la progéniture, embarquée parfois malgré elle dans les sables mouvants des études en lettres, en histoire, en géographie ou en sociologie, se trouve confrontée à la déconstruction des savoirs mise en œuvre par des inconscients qui – déjà incapables de les former aux fondamentaux de la langue et de l’histoire – prétendent en plus en faire les soldats d’une cause plus noble: la rédemption du monde occidental. Jamais le clivage générationnel n’aura à ce point été exacerbé par une pseudo-pédagogie déconstructiviste qui désigne son ennemi: la pensée blanche des parents; à ses soldats: nos enfants. Or c’est bien d’eux, et de notre avenir, dont il est question ici. Mais pour le comprendre, encore faut-il comprendre la relation essentielle qui existe entre la formation de la jeunesse sur les bancs de l’université, et la démocratie. La nature de la personne en discours est construite entre le pathos, qui caractérise ce en quoi il croit et qui est du registre du sentiment, de l’affect et de la passion d’une part; et de l’autre, de l’ethos qui caractérise la construction rationnelle de sa personne. La controverse se distingue de la dispute parce que la controverse met en jeu les systèmes de pensée rationnel tandis que la dispute voit s’affronter des systèmes de croyance. On peut avoir tort et comprendre que l’on s’est trompé en science: cela remet en cause son propre ethos; mais pas sa personne. Il est toujours possible de se reconstruire à partir d’une démonstration juste de la vérité qui fait progresser les deux camps adversaires. Einstein pour vais admettre qu’une seule expérience remît en cause sa théorie: si tel avait été le cas, il serait sorti plus renseigné sur les défauts de son système… 

En revanche, lorsque le pathos est atteint: c’est toute la personne morale qui est bouleversée.

Imaginez maintenant que tout scientifique, au lieu d’engager son intelligence et son système dans la démonstration scientifique y engage non pas ce qu’il croit savoir, mais ce qu’il est. Ce qu’il est pour de vrai. Il déplacerait alors l’enjeu de ce qu’il pense à ce dont il est convaincu et qui régit son existence. Imaginez qu’il ait tort. Ce n’est plus sa pensée qui s’effondre, mais son être. Voilà qui résume le problème des théories du genre et de la race qui décentrent les enjeux de la pseudo-controverse scientifique (la race mentale existe-t-elle ? Le genre mental est-il une donnée objective ?) à la dispute: lorsque l’on s’affronte à un jeune étudiant qui croit au « réveil » des consciences, il se sent attaqué non pas sur une construction rationnelle, mais dans son intime conviction pour ne pas dire dans sa foi. C’est pour cela que bien souvent, les affrontements autour de ces questions les questions de genre et de race semblent relever d’une rhétorique de foi, voire de secte: elles mettent en jeu non pas l’éthique de l’individu, mais sa construction personnelle et ce sur quoi repose sa personne même. 

Dans de récents travaux universitaires, de jeunes doctorants mettent en avant leur rôle de « conscientisation »: la recherche consiste pour eux non plus à rendre compte avec plus ou moins d’ascèse d’un observable, mais à « faire prendre conscience » aux gens qu’ils interrogent des mécanismes sous-jacents dont ils seraient victimes sans le savoir: le racisme, le mépris de genre, l’hétéropatriarcat. En renonçant d’emblée à la neutralité axiologique si chère à Max Weber, ces « chercheurs » s’affranchissent en fait des règles déontologiques qui fondent l’éthique du chercheur. En ce sens, ils accentuent le brouillage en raison et sentiment: ce qui est le fait même des discours sectaires et dangereux.

La conséquence de leur implantation dans l’épistémê universitaire, c’est le bouleversement de la cartographie des savoirs ouvrant la porte à la pénétration de l’irrationalité dans le champ de la connaissance, et de son enseignement. Alors: pourquoi n’enseigne-t-on pas la magie à l’école ? Parce que si l’Université reconnaît la magie comme teknê, comme pratique: elle la refuse comme epistémê. L’Université maintient étanche la frontière entre la science et la magie… Mais si l’on bascule dans un univers fondé sur la quête du ressenti – c’est toute la cartographie des savoirs qui sera abolie.

Mais attention: le jargon scientifique est un outil rhétorique d’une force extrême qui connote le sérieux. Le décolonialisme part d’un aphorisme simple: toute affirmation « tu es » procède d’une grille de lecture culturelle liée à un « Je » qui reflète en miroir l’opinion de cette culture. Soit le « Je » y adhère, soit au contraire il s’y soumet. Ce mécanisme est – selon les adeptes – un « colonialisme » de l’esprit que l’on peut résumer ainsi :

Coloniser c’est mal; or éduquer: c’est coloniser les esprits; donc éduquer c’est mal. Ce colonialisme existe selon eux à tous les niveaux d’une société : au niveau micro-local où les rapports de force sont soutenus par une vision condescendante du colon pour le colonisé; au niveau démocratique où le colon impose sa grille politique; au niveau scolaire, où le colon impose sa vision de l’histoire; au niveau mondial, où le colon impose sa vision de l’économie. Le colon, en l’espèce, est porteur des germes d’une culture dominante à tous les niveaux: il est occidental et donc soumis à l’Empire américain, il est capitaliste, il est hétérosexuel: en un mot – il est blanc. Mais attention: pas « blanc » comme vous le pensez – c’est pour ça qu’on le dit plus souvent en anglais. Il est white, ça veut dire qu’il pense comme un occidental. Et sont donc non-white tous ceux qui revendiquent un autre observatoire sur leur propre identité que celui imposé par la société blanche. Étant entendu que dès qu’un « blanc » – entendu dans ce sens – assigne à un autre une identité, il est dans le colonialisme: il ne reste plus aux « blancs » qu’à se taire pour laisser s’exprimer la non-blanchité assumée des groupes minoritaires.

Tout cette déconstruction – pardon: ce déconstructivisme – serait sans conséquence si d’une telle affirmation ne procédait pas la nécessité impérieuse et revendiquée de déconstruire tous les « privilèges » de la culture blanche là où elle s’exprime dans la société: la République et toutes ses institutions, à commencer par l’école. Ainsi, tel chercheur s’intéresse à « l’examen des processus de racialisation en tant que rapport de pouvoir à l’œuvre dans les mondes éducatifs français, et la manière dont ils s’articulent avec les rapports sociaux de sexe et de classe, notamment ». De ce constat, qui pourrait être discuté découle l’idée que le colonialisme spirituel pollue les esprits, et que les esprits doivent donc être dépollués dans tous les « observatoires » scientifiques: la science est coloniale, la langue est coloniale, la littérature est coloniale, la culture est coloniale.

Or, ce qui compte à l’Université, ce n’est pas ce que je suis mais ce que je sais.

Les disciplines de Recherche (mathématique, physique, chimie…) font l’objet d’une description globale que les étudiants doivent apprendre à maîtriser par degrés avant d’apporter par eux-mêmes leur pierre à l’édifice. Cet étagement de la discipline correspond à quelque chose que tout le monde connaît: le diplôme. Le diplôme est la certification par des enseignants-chercheurs que le profil de l’étudiant correspond à certain grade d’élévation dans la connaissance à partir d’épreuves communes qui permettent de comparer les niveaux des étudiants entre eux, bien sûr, mais surtout: de les jauger par rapport au mètre-étalon de la quantité de savoirs acquis. Autrement dit, la distribution des diplômes en discipline dans l’Université repose sur une sorte de cartographie de la connaissance qui oriente la Recherche et l’innovation d’un côté et qui structure la formation des études de l’autre en imposant notamment un encadrement disciplinaire. Ces domaines de recherche sont présents au sein des Universités dans des composantes elles-mêmes liées à la Formation et à la Recherche et sont représentées au plan national par le Conseil National des Universités qui est lui-même divisé en sections, en académies par discipline où siègent des représentants élus ou nommés. Et toute la chaîne de la formation du secondaire est donc liée à cette cartographie de la connaissance et à sa structure.

L’ensemble du champ des connaissances au sein du CNRS est divisé en disciplines. Mais attention, ce découpage, fixé par arrêté ministériel, est régulièrement adapté à l’évolution de la science et des champs disciplinaires par un remaniement du nombre de sections, et de leurs intitulés. Cette organisation, apparemment très touffue, fixe notamment les attendus du premier diplôme marquant l’entrée dans le supérieur: le baccalauréat, dont les épreuves ont déjà une coloration disciplinaire. Le contenu des épreuves du baccalauréat est en quelque sorte lié à l’organisation de la Recherche, et toute la chaîne de la formation du secondaire est donc liée à cette cartographie de la connaissance et à sa structure. Ainsi, les disciplines fixent un seuil de connaissance par diplôme et l’État arbitre que le niveau de formation d’un enseignant dans chacune des disciplines se joue à un certain degré de l’élévation de l’étudiant dans son domaine. Les épreuves et leur contenu sont l’objet d’un consensus. Voilà qui explique en quoi l’irruption des studies dans le champ des sciences humaines pèse lourdement à court terme sur l’organisation de l’école. En effet, si les auto-proclamées « studies » se sont ainsi constituées, c’est avant tout parce qu’elles sont transversales aux disciplines: on peut être en porn studies et être enseignant de Lettres Modernes ou de civilisation américaine. Ce flou sciemment entretenu amène des enseignants chercheurs à être militants de leur studies d’un côté et de l’autre, à intervenir en tant qu’enseignant de littérature à différents degrés des diplômes, jusqu’à celui des Masters d’enseignement. Et c’est pourquoi on voit fleurir des intitulés de cours qui n’ont plus rien à voir avec la Littérature. Ainsi, dans certaines universités en Licence, on voit apparaître des domaines dont le but est nous explique la brochure: « de tirer les leçons pratiques des apports théoriques des gender, racial et de colonial studies dont les travaux ont montré la domination du champ épistémologique et artistique par les hommes blancs hétérosexuels »; ou un autre cours consacré à la littérature médiévale dans le même domaine s’attache à travers la lecture de Christine de Pizan à « interroger la notion de genre (gender) (sic).

A partir du moment où ces domaines s’institutionnalisent subrepticement par le militantisme des enseignants, il n’est pas impossible comme le font les Échos dans un article de mai 2019 d’affirmer qu’il existe de nombreux débouchés professionnels aux Masters de genre : 

« après l’adoption par les institutions internationales de cette nouvelle définition, la perspective genre et la question de l’égalité des sexes ont fait leur entrée dans l’“ingénierie bureaucratique” d’un grand nombre d’acteurs (organisations internationales, organismes nationaux en charge de la politique publique, ONG, entreprises) ». 

 https://start.lesechos.fr/apprendre/universites-ecoles/masters-en-gender-studies-la-ruee-des-etudiants-tres-diplomes-1175508

Peu à peu, la cartographie des domaines de compétences est bouleversée par cette irruption des studies sur le devant de la scène. Et c’est ainsi que l’on assiste progressivement à la revendication assumée de jeunes professeurs certifiés d’un enseignement inclusif, ou décolonial dans les classes du secondaire alors qu’il ne s’agit plus d’un savoir positif issu d’une discipline identifiable, mais d’un discours moralisateur. On note même un affaiblissement considérable des compétences formelles dans le domaine disciplinaire dont les jeunes diplômés sont censés relever. Nulle surprise si l’on trouve donc désormais des enseignants faisant des fautes de conjugaison mais qui pratiquent l’écriture inclusive. La société de demain se construit dans les classes des TD et les amphithéâtres d’aujourd’hui… Le danger existe de voir l’Université, puis l’école, basculer dans une forme de « soft-power » qui au prétexte fallacieux de prendre soin (« to care ») des individus finisse par institutionnaliser les pires dérives irrationnelles et par, au final, réintroduire la magie dans la cartographie des disciplines. Or qui dit « magie » de la nature qui parle implique « magiciens supérieurs » capables d’entendre son « vrai » discours universel. Il n’est donc pas anodin de voir introduits des masters en « linguistique des plantes » ou en « déconstruction du genre » dans les universités parisiennes: c’est l’indice du rétablissement de la pensée magique dans la cartographie des savoirs.

Il faut donc lutter contre la propagation de ce fléau, et le faire de manière franche et sereine. C’est l’ambition de notre ouvrage de présenter quelques réflexions, posées, sur les dérives dont nous sommes les témoins privilégiés et consternés.

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