Les soumissions d’une secte

Les soumissions d’une secte

Les journalistes auteurs de "La Meute" dénoncent une dérive idéologique de LFI vers l’indigénisme et l’antisémitisme, un culte du chef et une hypocrisie concernant les questions de violences sexuelles. Une stratégie de conquête politique fondée sur la division sociale et la radicalité militante. Un compte rendu d'Ivan Burel.

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Les soumissions d’une secte

Recension de La Meute, d’Olivier Pérou et Charlotte Belaïch, Flammarion, 2025.

Un destin semblable à celui d’une tragédie grecque, à l’hubris d’un personnage emporté par ses contradictions et ses errements, si bien sûr le tragique n’était pas surpassé par le ridicule inhérent à la France insoumise. On pourrait se croire à plusieurs occasions dans quelque farce, entre les capacités des plus limitées de Sébastien Delogu, la jalousie maladive de Sophia Chikirou, ou les purges permanentes qui feraient pâlir d’envie un cadre maoïste de la Révolution culturelle. Toutefois, si La Meute a ses moments comiques, découvrir cet ouvrage laisse avant tout un malaise, une inquiétude face à ce qui apparaît bien, non pas comme un parti, mais comme une secte.

Comment un parti se transforme en secte : ainsi pourrait se résumer l’entreprise des journalistes Olivier Pérou et Charlotte Belaïch. Employés respectivement au Monde et à Libération, ils arborent les signes de la respectabilité journalistique progressiste. Pourtant, au vu des vagues d’insultes, menaces et imprécations numériques déversées contre eux depuis la sortie de leur livre, ils sembleraient être les affidés d’Elon Musk, ou encore une « agente du Likoud » concernant Charlotte Belaïch, dixit Jean-Luc Mélenchon. Cette journaliste, du fait de son patronyme, est devenue la cible privilégiée des attaques des cybermilitants LFI. Toute similitude avec les accusations de complot juif – très à la mode outre-Rhin dans les années 1930 – est bien évidemment le produit d’une imagination réactionnaire et d’une volonté de salir LFI, le seul véritable mouvement révolutionnaire.

Le titre de l’œuvre était parfaitement trouvé : une meute chasse en groupe, en suivant le mâle dominant, pour fondre sur la proie à la moindre faiblesse, que celle-ci fasse partie du monde extérieur ou bien soit issue de ses propres rangs. Il n’y a rien bien sûr de paradoxal pour un parti qui est le premier à dénoncer le « patriarcat ».

Car la France insoumise est une cristallisation de l’hypocrisie.

LFI clame son amour pour la démocratie directe, participative, dans une organisation « gazeuse », permettant l’autonomie des militants, dans un mouvement dont les militants officiellement enregistrés se comptent par ailleurs sur les doigts d’une main. Derrière la façade, c’est une organisation concentrée autour d’un homme, Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci n’a jamais abandonné ses conceptions du pouvoir et du jeu politique forgées dans ses jeunes années trotskystes : infiltrer, noyauter le parti et le cadenasser en constituant un bloc de fidèles pour, au final, prendre le pouvoir en écrasant toute voix dissidente.

Le courage ne s’affirme ici que lorsqu’il est collectif : à la moindre attaque portée contre l’un des leurs, c’est le moment de faire bloc : l’affaire Quatennens, l’affaire Bouhafs… Une déviation de la parole du chef ou bien le refus de soutenir un des siens attaqués et c’est l’excommunication. LFI monopolise le pouvoir autour d’une jeune garde enrégimentée, entièrement loyale au chef, aboyant de concert pour défendre ou attaquer la cible désignée. Les sympathies affirmées du chef de meute pour la Chine maoïste sont révélatrices et il est troublant d’observer les similitudes qu’il a avec le Grand Timonier. Tous deux sont aussi enclins aux purges régulières et suscitent le culte de jeunes gens dont la conscience politique se limite à régurgiter les dernières maximes militantes ; simplement, les boucles WhatsApp et les posts sur X ont remplacé les manifestations de rue. Et comme le président Mao avait sa compagne Jiang Qing, le président Mélenchon a Sophia Chikirou, qui régente les nominations et les carrières du parti.

Cependant, que le chef soit d’un caractère tout droit sorti de La Vie des Douze Césars est une chose, que ses manières d’Artaban masquent une piteuse lâcheté physique (bien qu’il soit le premier à vanter le combat face aux « fachos »), ou encore qu’il incarne tout ce que ses adeptes ne cessent de condamner dans le « mâle blanc cisgenre dominant patriarcal phallocrate écocidaire », soit…

Mais, il n’est pas tant question d’une personnalité – nous ne sommes pas dans une étude de mœurs – que de la façon dont Mélenchon s’emploie à construire un parti qui a pour but assumé de fracturer la société, pour dominer des partis de gauche abasourdis par la violence militante sans filtre et sans pause. Que cet ouvrage soit le fait de journalistes se réclamant des valeurs de gauche et dont le travail d’investigation montre les réseaux et contacts dans les rangs du Nouveau Front Populaire, illustre toute l’aigreur que LFI suscite, et ce même au sein de ses « alliés ».

Comment définir ce mouvement ? Le basculement vers la cause indigéniste et décoloniale ne s’est fait que sur le tard, principalement après la présidentielle de 2017. Influencés par les thèses woke nord-américaines, les militants indigénistes infiltrent alors le parti et remplacent l’ancienne garde militante : Bouhafs déclare « Nous les avons mangés ». Une transition incarnée, parmi d’autres, par l’influence grandissante d’Elias Imzalène, fiché S, et proche de nombreuses figures du mouvement. Rima Hassan n’est que la dernière, et médiatique, incarnation de l’indigénisme assumé par le chef comme une nouvelle doxa. Selon les auteurs, il s’agirait d’une « dérive », d’une mutation survenue, et le parti des auteurs de se concentrer sur les pratiques du chef et de ses errements ne s’étend pas d’ailleurs sur les rouages de l’entrisme. Car cet entrisme permet à l’antisémitisme clairement assumé par de nombreux militants de s’exprimer.

L’antisémitisme est devenu un lieu commun, ne serait-ce que par une logique électoraliste : l’espoir de gagner le vote des banlieues en jouant sur un électorat musulman hostile à Israël, l’éclosion de Rima Hassan comme figure de proue révélant les nouvelles prédilections de LFI. Mais au-delà, c’est bien une valeur partagée de façon croissante, en évoquant un lobby « sioniste » ou « juif » dont les termes sont concrètement interchangeables. En témoignent les intimidations récentes de Jérôme Guedj, dont Jean-Luc Mélenchon était pourtant l’un des premiers mentors. Car si 12 % des Français, selon un sondage paru en 2024, veulent le départ des juifs de France, le score atteint… 20 % chez les sympathisants LFI. David Guiraud ou encore Éric Coquerel sont des proches de Bouhafs et versent volontiers dans les propos des plus ambigus, quand la justification ouverte du 7 octobre par Mathilde Panot a clairement montré leur positionnement envers le Hamas. Et que dire de la défense des Frères Musulmans par le parti, au nom de la lutte contre l’ « islamophobie » (islamophobie si répandue que même l’Arabie Saoudite s’y est adonnée en interdisant les Frères Musulmans sur son territoire).

Doit-on cependant y voir une dérive ou plutôt la suite logique d’un parti dont le cadre idéologique est celui de son chef et de ses conceptions idéologiques changeantes ? Le logiciel de LFI s’inspire d’influences décoloniales, indigénistes, sympathisantes envers les Frères Musulmans qui pénètrent le chef et son premier cercle, avant d’être redirigées vers la base militante, où aucune dissidence n’est tolérée, et ce même envers des compagnons de route historiques, comme Alexis Corbière. Pour autant, la violence verbale a toujours été explicitement assumée, et la loyauté absolue une constante depuis les premières années. D’ailleurs, les thèses décoloniales sont autant d’arguments pour éliminer tel cadre trop indépendant d’esprit : il serait trop « blanc », trop « sioniste », trop « patriarcal »… Accusations que le chef et son clan peuvent appuyer à loisir – il n’est jamais trop tard pour défendre la révolution permanente – ou bien complètement ignorer…

En effet, à l’heure de « MeToo », LFI adopte une position des plus intransigeantes dans la lutte contre les violences sexuelles…sauf quand elles concernent son propre camp ! La mise à l’écart de Taha Bouhafs résulte pour une large part de la défiance de Chikirou envers lui, et sa non-investiture ne signifie pas la fin des relations avec lui. À commencer par Jean-Luc Mélenchon qui, la larme à l’œil, n’a cessé pendant des mois de le conforter et de s’excuser de sa faiblesse passagère, face à de vulgaires accusations de violences sexuelles. Car en effet, comme le chef l’annonce déjà en 2022, « il y a des femmes érotomanes ». C’était pour défendre son ami Éric Coquerel, alors accusé par une militante d’actions similaires. L’exclusion concerne bien certains membres, tel le député Hugo Prevost en 2024, mais parce que celui-ci avait le fâcheux défaut de ne pas appartenir au clan. Il a fallu des mois pour se séparer d’Adrien Quatennens, intouchable, alors que le cas d’Ugo Bernalicis, autre député du Nord, semble avoir « disparu » de la commission interne à LFI sur la question des violences sexuelles. Sans oublier le député Thomas Portes, à la réputation déjà solidement établie dans les précédents partis où il militait et qui se voit pourtant entouré d’une sainte aura de protection de la garde rouge mélenchoniste.

Les combats ont-ils donc vraiment changé pour Jean-Luc Mélenchon et LFI ? Les auteurs parlent d’une « dérive » mais dans ce cénacle trotskyste dopé à l’agit-prop, l’objectif a toujours été de déstabiliser la société française en vue de s’en emparer ou du moins de régenter ses fiefs électoraux. L’idéologie a beau avoir pris une couleur nord-américaine et indigéniste, son chef est bien resté cet ancien apparatchik socialiste se complaisant dans l’adulation d’une garde militante. Et peu importe que les Frères Musulmans aient à présent un parti leur témoignant les plus vives sympathies, le chef a conservé ses troupes. Son objectif est accompli.

Nove sed non nova.

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