Orthocuidance et pensée criminogène

Orthocuidance et pensée criminogène

Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC

Table des matières

Orthocuidance et pensée criminogène

[par XLS]


Plutôt que “bien-pensance” – expression galvaudée et sans fondement – je vous invite désormais à préférer le terme « orthopensée » qui partage le même préfixe que les mots « orthographe » ou « orthopédiste ». Celui-là présente l’avantage de souligner qu’il ne s’agit pas tant d’apprécier la rigueur d’une pensée que sa conformité à une règle, en l’occurrence morale. On pourra conjuguer : J’orthopens.e que… Tu orthopense.e.s… Ou bien amalgamer : « cesse de dysorthopenser » Ce à quoi on répondra: « je transorthopense, mince, quoi: respecte moi »


Laissez-moi vous présenter maintenant le verbe “orthopiner”, qui étymologiquement signifie: “opiner de manière conforme à la règle”, “avoir une juste opinion”. Il remplace avec élégance toutes les variantes de l’expression dacadente: “moi je pense que”. Dorénavant on ne dira donc plus “Moi je pense que Raoult c’est un fumiste” mais plutôt, de manière à afficher le conformisme de son opinion que gouvernent les meilleures intentions: “J’orthopine que Didier Raoult dysorthopense*”. Ou bien on ne dira plus: “C’est pas possible que l’écriture inclusive ne s’impose pas dans l’administrations” mais bien: “J’orthopin.e”. “L’orthopinion” permettra donc d’introduire les prémices d’une orthopensée constructive. On orthopinera autant que possible en commentaires des articles de BFM, si possible en groupe de manière à ce que l’orthopinion s’impose par la force tant que des dysorthopensifs continueront d’orthopiner à tort qu’ils pourraient orthopenser par eux-mêmes: ce qui serait paradoxal. On conjuguera le verbe sur le modèle de son proche cousin: “J’orthopin.e, tu orthopin.e.s…”; “que tu orthopinass.e.s, qu’il orthopînat.e” Ne me remerciez pas.


Nul n’est besoin de développer à outrance sur “orthocroire” et “orthocuider” qui, d’un emploi plus rare, sont en désuétude du fait de l’effondrement du système des religions dans l’Europe occidentale. Mais parions que l’émergence programmée d’une religion universelle de “l’Amour pour tous” rendra très vite utiles ces deux produits français à l’heure où l’on rallumera les premiers auto-da-fé si prompts à revivifier la foi des plus chancelants. Mais foin de bla-bla oiseux – je reviendrai plus tard sur ces notions. Pour l’heure, revenons au système de la négation dans l’univers des orthocuidances et sur leur lien avec la criminogénèse. Pour bien comprendre, il faut d’abord se représenter ce que nier veut dire en langue. En effet, en science logique, “nier” signifie “inverser la valeur de vérité d’un propos”. Par exemple, énoncer que “la terre est plate” (énoncé positif mais faux – oui, je sais, c’est crétin) c’est inverser la valeur de vérité du propos “la terre n’est pas plate” (qui lui quoique négatif est vrai). Affirmer que la “terre est plate” c’est donc en logique NIER la valeur de vérité d’un énoncé pourtant négatif – mais vrai: “la terre n’est pas plate, banane”. On pressent évidemment que la réalité de la langue ne recouvre pas le mécanisme logique: en langue, affirmer “l’écriture inclusive est une chance pour le monde” n’est pas perçu comme un élément d’assertion négativisant l’énoncé précédent: “l’écriture inclusive n’est pas qu’une ineptie, c’est aussi une aberration”. Dire: “Je ne bouffe que du curé” n’est pas l’inversion de la valeur de vérité de l’énoncé sous-jacent: “un curé n’est pas comestible” et l’on peine à se représenter encore les fonctions de la négation dans des syntagmes nominaux désignant les pauvres d’esprit tels que “C’est un [non] comprenant”. Bref, je m’arrête là – mais vous saisissez le problème: la négation en français (pour le système verbal comme pour le système lexical) ne repose sur aucun fondement logique: c’est une opération syntaxique complexe dans sa description – particulièrement en français à cause de la corrélation adverbiale du système bitensif (à l’écrit: oui, à l’écrit, le système bitense. Par à l’oral. Enfin, pas pour tout le monde).

Comment concilier un tel laxisme de la représentation de la négativité pourtant si essentiel pour tous les orthopensants qui adorent jeter des anathèmes de manière explicite de manière à ce que tout le monde orthopine ? Dire “bouh les vilains méchants” doit être compris par tout le monde comme une saine opération salutaire guidant le peuple sur les chemins de la liberté, et pas comme une vulgaire insulte… Surtout qu’en même temps, l’orthocroyant sait bien que dire du mal, c’est pas bien ! Et que du coup, dire que les personnes qui ne pensent pas comme elles sont “non orthocroyantes” ou “non orthopensantes” : c’est charger l’énoncé d’une négativité contrariante qui pourrait laisser penser que son énonciateur n’est pas dans le camp du bien et de la morale – faisant s’effondrer aussi sec le mythe de l’orthocuidance ! Horrible double bind ! Qui aboutit naturellement à l’élimination de la négation verbale du discours des orthocuidants.

D’abord c’est compliqué, et ensuite: c’est négatif, la négation.

Le système verbal de l’orthocuidance ne pouvant tolérer sa négativation par les adverbes traditionnellement dévolus à ce rôle dans le français d’avant, il s’agira alors de remplacer l’ancien système par un usage accru de la négativation sémantique portée par les préfixes qui présentent l’avantage 1- de montrer que l’énonciateur est ouvert d’esprit à toute forme de discours émanant d’autrui 2- que le “m.â/a.l.(e).orthopensant” est pourtant un ennemi à abattre. On proposera donc des énoncés toujours positifs et on ne dira jamais: “Cet imbécile n’orthopense pas”, ce qui serait trop agressif et engendrerait un ressenti chagrin chez l’interlocuteur, mais plutôt: “il m.â/a.l.(e).orthopense” ou “i.e.lle dysorthopense”.

En effet, par l’usage du préfixe on peut aisément introduire une gradation dans la négativation verbale : il est évident qu’un homme – au sens biologique, binaire, terf, cis et non racisé – qui n’orthopense pas est forcément dans la plus grande des erreurs et son ressenti étant de peu de valeur, on peut lui affecter le préfixe “m.a/â.l.e” qui serait l’acmé de la négativation: “il m.â/a.l.(e).orthopine, l’outrecuidant !” sera par exemple très convenable dans une soirée d’intégration universitaire en centre ville. Tandis qu’un.e citoyen.ne non binaire, non cis peut plus facilement “dysorthopenser”: c’est-à-dire déjà s’inscrire dans une démarche de repentance ou de rédemption vis-à-vis de l’orthopensance pardonnante. “I.e.l.le dysorthopense quand ielle dit que l’écriture inclusive est exclusive du handicap !”. Il reste désormais à faire admettre en droit la transposition de ces mécanismes afin que les crimes de m.â/a.l.(e).orthopensance ou de dysorthopinion soient admis au registre des incivilités dans un premier temps, car leur expression est offensante pour les minorités majoritaires du système de l’orthocroyance.

On verra plus tard pour une qualification criminelle de ces dyspensances, qui sont en fait des actions violentes pour la sensibilité de tous, c’est-à-dire des gestes violents en fait, c’est-à-dire des exactions: des crimes quoi. Des crimes qu’il faudra pouvoir punir à proportion de la mesure pourtant avec laquelle on les aura tolérés jusque là. On vous aura prévenus.

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