[par Rémi Pellet, Professeur en droit public des universités]
Comme chacun sait le Collège de France a été créé par François Ier pour contrecarrer la Sorbonne. Depuis lors, la science a fait de grands progrès. Pour en rester aux années récentes, rappelons que Roland Barthes en 1977, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, apprenait au peuple tout ébaudi que la langue « est tout simplement fasciste ». Ce n’était pas rien quand même. En 1979, c’est le philosophe Michel Foucault qui du haut de sa chaire sur l’Histoire des systèmes de pensée nous appelait à soutenir la révolution iranienne, l’ayatollah Khomeyni et l’instauration d’un gouvernement de mollahs. Il voyait loin. En 2012, le juriste Alain Supiot fut élu pour occuper la chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités. C’était une récompense bien méritée : au moment où les dépenses publiques sociales des États européens étaient les plus élevées de leur histoire, Supiot publiait un brillant essai qui expliquait que l’Union européenne organisait la « privatisation des États providence ». Il fallait oser. Mieux : Supiot vantait les mérites des mutuelles, ces organismes privés qui financent opportunément quelques instituts d’études en sciences sociales, mais ont aussi pour pratique de fixer leurs tarifs en fonction de l’âge des personnes. C’était courageux. Les vieux pauvres auraient pu mal le prendre. En 2015 ce fut l’élection du médiéviste Patrick Boucheron qui publia alors une très modeste Histoire mondiale de la France. Certes la compilation oubliait quelques figures marginales de la littérature française – Rabelais, Ronsard, La Fontaine, Racine, Molière, Baudelaire, Verlaine et Proust, notamment -, mais elle rendait enfin justice à Lilian Thuram, Marcel Desailly et Zinédine Zidane. C’était vraiment audacieux. Et puis vint François Héran, élu en 2017 sur une chaire intitulée Migrations et société : la relation avec les qualifications universitaires d’Héran, agrégé et docteur en philosophie, n’était pas évidente. Mais l’heureux élu avait longtemps fait carrière à l’INED et à l’INSEE où il avait pu fréquenter des matheux. C’est donc fort de cette science acquise sur le tas et par compagnonnage qu’Héran publie aujourd’hui, du haut de sa chaire de migratologue, une Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression. Naturellement, ce n’est pas une lettre aux « collègues ». Il y a quand même professeurs et professeurs. Au vrai, ce n’est pas non plus une lettre. C’est bien plutôt « une leçon », mais pas au sens universitaire du terme, bien sûr. C’est une leçon comme un adulte en fait aux enfants qui se comportent mal. Et pour ceux qui n’auraient pas les moyens de s’offrir le livre, Le Monde, premier journal lycéen de France, en a publié un résumé, sous forme d’une interview de deux pages. Lisons-la et commentons-la point par point.
François Héran : « La liberté d’expression tend aujourd’hui à étouffer la liberté de croyance »:
Héran : « La liberté d’expression tend aujourd’hui à étouffer ou absorber la liberté de croyance alors que, historiquement, ce sont des tours jumelles. »
Évidemment, on ne voit pas trop comment une tour peut en étouffer ou en absorber une autre, mais même en admettant l’image, le processus réel est l’inverse de celui qui est dénoncé : ce sont les militants « intersectionnels » qui, au nom de leur liberté de croire que l’homme blanc est criminel, veulent le priver de sa liberté d’expression : pour preuve les multiples interventions de l’Unef et ses consorts qui ont empêché que se tiennent des manifestations culturelles et des débats politiques qui n’avaient pas l’heur de leur plaire. La liste est malheureusement longue : « Blocage des « Suppliantes » : pour l’UNEF, « il existe un racisme institutionnel » ; « Lille : Des manifestants pénètrent dans la faculté de droit, la conférence de Hollande annulée » ; Blocage de la conférence de Sylviane Agacinski à l’université de Bordeaux , « Des militants «antiracistes» tentent d’empêcher une conférence de Finkielkraut à Sciences Po » etc. De plus, l’Unef condamne à la mort « sociale », et parfois met en danger leur vie, ceux qu’elle accuse d’ « islamophobie », comme ce fut le cas à Sciences Po Grenoble.
Héran : « Rien n’est sacré pour la caricature : c’est dans notre tradition. Mais, depuis les attentats djihadistes, on sacralise la désacralisation en paralysant toute critique des caricatures. »
Le droit de faire des caricatures obscènes et de les proposer à des adultes est imprescriptible. En revanche, un professeur n’a pas à les montrer à des élèves mineurs, même pour une cause juste, alors qu’il peut trouver dans les « lettres » françaises et européennes mille façons de dénoncer l’obscurantisme et le colonialisme, spécialement celui de l’islamisme. Par exemple, dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand évoque les humiliations et l’exploitation que les Ottomans firent subir aux Grecs pendant près de quatre siècles. Le choix d’un dessin « obscène » pour dénoncer l’obscurantisme islamiste était une maladresse de Samuel Paty mais, naturellement, le reconnaître, ce n’est en aucun cas laisser entendre que son assassinat pourrait être « compréhensible ».
Héran : « Nombre d’enquêtes et de testings attestent l’ampleur des discriminations ethno-raciales en France. »
C’est vrai mais cela s’explique facilement : comme le souligne le très bien-pensant « Washington Post », il existe une « surreprésentation des musulmans dans les prisons françaises, « 60 % à 70 % » des détenus français étant musulmans » ; les employeurs et les bailleurs craignent donc de passer contrat avec des personnes de cette confession. Cet état de faits est bien regrettable mais certaines figures de cette communauté affirment publiquement qu’elles haïssent la France et ses valeurs et qu’elles veulent lui imposer leurs moeurs, en particulier les règles de la Charia, en refusant de s’intégrer à notre pays et de respecter son identité. Même le journal Libération s’en est aperçu… Et l’état des sociétés musulmanes renforce les préjugés, compte tenu que « le printemps arabe s’est transformé en hiver islamique », comme cela s’est produit ces derniers siècles chaque fois qu’un régime dans ces pays a essayé d’appliquer une forme d’islam plus respectueuse des droits humains que celle prescrite dans de nombreuses sourates du Coran, celles qui ont précisément abrogé les sourates plus « libérales » que les islamistes utilisent pour faire croire à une religion d’amour et de paix…
Héran : « On leur dénie le droit de dénoncer l’islamophobie, pourtant attestée par les données, et l’on décrète que ce mot doit être banni, parce qu’on y voit une offense à l’universalisme républicain. Or l’objectif est tout autre : il s’agit d’identifier les mécanismes qui empêchent la République de tenir ses promesses. Déni des réalités, convictions offensées, recours à la police des mots : on est dans une forme de “cancel culture’’ »
La défiance à l’égard de l’Islam est le résultat des horreurs commises sur le sol français par des terroristes qui se réclament de cette religion, sachant que des sourates du Coran justifient de tels crimes. Jamais les juifs n’ont commis de tels crimes. Il est donc abusif d’assimiler le refus de l’islamisation du pays et l’anti-sémitisme. Concernant les chrétiens « quand ils agissaient par la violence et convertissaient par force, ils allaient à l’inverse de toute la Bible, et particulièrement des Évangiles. Ils faisaient le contraire des commandements de Jésus, alors que lorsque les musulmans conquièrent par la guerre des peuples qu’ils contraignent à l’Islam sous peine de mort, ils obéissent à l’ordre de Mahomet » , comme le soulignait dès 1989 le Professeur d’histoire du droit Jacques Ellul. Or, malgré les atrocités commises par des groupes islamistes en France et dans plusieurs autres pays européens, 74% des jeunes musulmans de France affirment faire prévaloir la Charia sur les principes républicains. Il est donc logique que les « Français de souche » refusent cette attitude et ce n’est pas une preuve d’islamophobie mais d’attachement aux droits de l’homme et du citoyen que la civilisation européenne a inventés et que dans leur majorité, selon les sondages, les jeunes musulmans déclarent refuser.
Héran : « L’affaire des réunions non mixtes a pris des proportions démesurées »
Ces réunions non mixtes entre « racisé-e-s » excluent « les blancs » au motif qu’ils font partie du groupe des coupables. C’est une sorte de racisme qui impute à tout un groupe, encore majoritaire dans ce pays, les crimes de certains de ses membres. Imaginons ce que serait la réaction de toutes les associations de défense des droits de l’homme si des personnes victimes de violences commises par des noirs ou des arabes, ce qui doit arriver parfois, refusaient la présence de noirs ou d’arabes dans une réunion au motif que des noirs ou des arabes appartiennent à la même « race » que les agresseurs.
Héran : « taxer de racisme ceux qui s’intéressent de trop près aux discriminations raciales, c’est aussi absurde que d’accuser les criminologistes d’être des criminels. »
Les criminologues ne revendiquent pas le droit à des réunions fermées avec les criminels, en excluant les spécialistes d’autres disciplines susceptibles de comprendre les crimes (comme les juristes pénalistes par exemple) ou tout simplement les personnes qui n’ont pas commis de crimes et veulent comprendre les motivations des criminels.
Héran : « À quand la « nuit du 4 août » qui donnerait au Défenseur des droits les moyens de mettre sur pied un observatoire national des discriminations digne de ce nom »
« Le défendeur des droits » n’a aucune légitimité démocratique pour faire une révolution ! C’est du léninisme de salon. On se souvient que l’actuelle titulaire du poste avait proposé d’expérimenter l’arrêt des contrôles d’identité dans les « zones sensibles », lesquelles seraient devenues ainsi des zones de « non-droit ».
Héran : « Rien ne justifie que des ministres interfèrent dans ces débats : ils sortent alors de leur ordre, comme disait Pascal. N’ont-ils pas d’autres affaires à régler ? »
La ministre a une légitimité démocratique, en tant que membre d’un gouvernement qui est responsable devant le parlement ; les universitaires jouissent d’une garantie d’indépendance mais elle ne signifie pas qu’ils ont le droit d’échapper à la critique quand ils s’expriment sur les questions politiques, alors surtout qu’ils n’ont, eux, aucune légitimité démocratique ; la ministre a donné son opinion sur un phénomène qui lui paraît inquiétant et dont s’alarme une partie importante du milieu universitaire ; nul n’est tenu de partager l’avis de la ministre ; tous les jours des universitaires critiquent des ministres, pourquoi l’inverse ne serait-il pas possible ? Au demeurant la ministre a été très maladroite car elle a donné un excellent prétexte aux censeurs pour jouer aux avocats de la liberté.