[par Guylain Chevrier1]
On ne peut que s’interroger sur une situation de contestation du principe de laïcité qui s’aggrave, comme certains témoignages en font part, dans tous les secteurs d’activité dont, à l’Université. Des actes de prosélytisme ont été condamnés par le juge administratif du fait « d’inciter par diverses formes de pression à arborer des signes d’appartenance religieuse (…) de perturber les enseignements par des mouvements de protestation au nom des convictions religieuses (…) de multiplier les actes de provocation, de prosélytisme, de propagande empêchant le fonctionnement ordinaire des cours et du service public » rapporte le Guide de la CPU 2. Mais le point le plus épineux apparait lorsqu’une personne intervenant dans le cadre de l’université manifeste ostensiblement son appartenance religieuse, amenant à la question de savoir si cela est bien conforme avec la loi, accompagnée de l’inquiétude de savoir si on ne commettrait pas là une discrimination. Le Code de l’éducation paraît sans appel à ce sujet : « le service public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique… » Si l’on est censé ici pouvoir se référer à un cadre de droit solide, il existe néanmoins des zones grises. On comprendra l’importance de les désamorcer au regard d’individus ou groupes prosélytes susceptibles de les exploiter.
Le principe de laïcité s’applique aux personnels selon la nature de la tâche à accomplir
Le Guide de la laïcité de la CPU, dans un encadré concernant l’application du principe de laïcité à l’Université, nous offre matière à réflexion. On y rappelle que:
« Les personnels enseignants, administratifs ou de service, statutaires ou liés par un contrat de droit public, en contact ou pas avec les usagers, sont tenus au respect du principe de neutralité » et que « Les usagers que sont les étudiants des établissements d’enseignement supérieur ne sont pas astreints à la neutralité, et peuvent donc arborer des éléments et tenues vestimentaires liés à leur confession religieuse » La chose se corse plus loin lorsqu’est affirmé que « Les employés de sociétés privées prestataires de l’Université exerçant une fonction ponctuelle (dépannage, réparation, restauration…) ne sont pas soumis au principe. » Que faut-il comprendre ?Que le caractère privé du contrat de travail et ponctuel de leur intervention pourrait justifier le non-respect du principe ?On y trouve encore une formule approximative : « Les salariés intervenant dans le cadre de prestations externalisées dans la durée (nettoyage, maintenance informatique, sécurité…) se doivent a priori de respecter ce principe de neutralité. »
L’invocation de la durée, avançant qu’il pourrait en aller du caractère ponctuel ou continue de l’action pour savoir si le principe s’applique à ces situations, doublée d’un « a priori » pouvant offrir une marge d’incertitude, n’aide pas à définir son champ d’application. Il y a là nécessité de sécuriser la chose, tant on sait qu’elle est l’objet de revendications contraires. On évoque aussi « Les personnes invitées à effectuer une prestation ponctuelle de type conférence ou communication par exemple, échappent au principe de neutralité ». Une règle à tempérer, qui pourrait être interrogée par le juge dans le cas, par exemple, où ces « prestations » ou « communications » se font au nom de l’Université, sous forme de représentation auprès d’un partenaire par exemple. Il ne s’agit pas ici de « pinailler », mais d’établir le périmètre d’application d’un principe républicain on ne peut plus fondamental, qui garantit la liberté de tous.
La Circulaire du 15 mars 2017 relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique NOR : RDFF1708728C est claire :
« Il convient de souligner enfin que la circonstance qu’une personne soit employée par une personne publique selon les dispositions du code du travail, y compris en contrat aidé, ou qu’un service public soit confié à une personne privée ne change pas la nature des obligations inhérentes à l’exécution du service public. Il en va de même des apprentis, des stagiaires et des volontaires du service civique accueillis dans les administrations. La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi rappelé que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents [qu’ils emploient], ces derniers sont soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires » (Cass. Soc., 19 mars 2013, n° 12-11690, publié au bulletin). »
Ce n’est pas le statut de salarié d’un prestataire privé, ou le caractère ponctuel ou pas de l’intervention de celui-ci, qui définissent la possibilité ou non de manifester ses convictions religieuses dans le service public, mais la fonction occupée. De la même manière que pour bien des métiers, c’est la fonction qui définit le secret professionnel (Educateur spécialisé, secrétaire médicale…). C’est la nature de la tâche à accomplir qui importe ici. L’exigence du respect du principe de laïcité est étroitement liée à toute action se prévalant des prérogatives de la puissance publique. C’est cela qu’il faut marteler pour éviter toute confusion.
Dans un article publié sur le site de L’étudiant/l’EducPro, de novembre 2020 sur le sujet 3 on affirme que « Le guide, actualisé en 2015, vise à répondre aux différents cas de figure et à émettre des avis. Par exemple, le voile, dont le port est autorisé à l’université aux non-fonctionnaires comme n’importe quel signe religieux. » On voit combien cette affirmation participe de la confusion ambiante, puisque bien des non-fonctionnaires employés sur un contrat de droit privé, comme certains enseignants d’ailleurs, sont astreints aux principes du service public de l’enseignement supérieur, dont le principe de laïcité est partie intégrante. On ne voit pas comment il en irait autrement que dans tout service public. D’ailleurs, même un bénévole qui, dans un centre social municipal, prend la place d’un animateur à l’accueil, est censé devoir respecter une neutralité convictionnelle du fait de la fonction qu’il occupe.
Du côté des droits de l’usager du service public, on peut le vérifier, dont l’égalité de traitement en est l’une des trois dimensions essentielles (Egalité, continuité et mutabilité), garantie par la neutralité de l’agent public ou de toute personne employée s’y substituant pour agir à sa place. Le service public est l’expression d’un État impartial, car neutre religieusement, neutralité qui s’applique ainsi à toute personne agissant en son nom, fonctionnaire ou non. Un principe d’égalité qui trône à l’Article premier de notre Constitution.
Ces approximations laissent comme un flottement. On pourrait ici distinguer plus précisément, l’intervention du dépanneur de machine à café d’une société privée qui n’est pas astreint au principe, puisqu’il exécute une tâche propre à l’entretien d’un bien de nature privé fussent dans l’université, du remplacement d’un personnel de restauration universitaire (CROUS), qui lui l’est, pour montrer que la clarification s’impose pour éviter les risques de contournements.
Le besoin d’un état des lieux sur le respect du principe de laïcité à l’Université
Ce Guide, qui a été réalisé pour la première fois en 2004, a été actualisé en 2015, avec pour vocation d’être une aide à la décision. Contexte dans lequel l’Observatoire de la laïcité auprès du premier ministre d’alors 4, communiquait sur « une situation globale respectueuse de la laïcité », avec seulement 130 cas de « désaccords ou conflits ponctuels » pour raisons religieuses ces dernières années. Pour d’autres 5, on soulignait que cet Observatoire avait sans doute consulté « le Président des Universités » mais pas « les professeurs » et d’autres personnels qui auraient pu, le cas échéant, « témoigner de situations dégradées dans les établissements où ils travaillent ». L’Observatoire de la laïcité a préconisé l’instauration d’un « référent laïcité dans chaque université » ayant pour mission de « dresser un état des lieux objectifs de la situation au sein de son établissement » et de participer « à la résolution des éventuels conflits ».
L’existence des référents laïcité ne semble pas avoir fait progresser significativement la mesure des choses. Le « rapport d’étonnement » du Cycle annuel des auditeurs de l’IH2EF 2021-2022, portant sur « La laïcité et les valeurs de la République de l’école à l’université », remis au Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Monsieur Pap Ndiaye, en juillet dernier, ne voit rien de nouveau. Si des notes officielles récentes, rendues publiques, font état de faits récurrents et multiformes de refus du respect du principe de laïcité dans le service public de l’école, l’Université quant à elle serait épargnée. En 2003, 24% des femmes françaises se déclarant musulmanes disaient porter le voile, elles étaient 31% en septembre 2019 (Ifop), indicateur d’affirmations identitaires indissociables d’une montée en puissance du séparatisme. Les rapports annuels de l’Observatoire du fait religieux en entreprise montrent qu’entre 2013 et 2021, on est passé concernant les cas bloquants pour motif religieux, de 2 % à 16 % 6. Mais à l’Université, rien ! L’article de L’étudiant/l’EducPro déjà cité, titrait sur le sujet : « Laïcité : face aux demandes religieuses, la diplomatie est de mise dans les universités », « Diplomatie » ? Un terme qui révèle déjà qu’il s’agit d’éviter surtout les problèmes, mais jusqu’où ?
« La liberté d’expression sur les campus charrie le meilleur comme le pire » constate, dans l’article précité, Isabelle de Mecquenem, professeure de philosophie et référente laïcité de l’université Reims Champagne-Ardenne, se disant « désarçonnée » par « le dévoiement d’une liberté démocratique fondamentale ». La philosophe, qui est également membre du conseil des Sages de la laïcité, s’inquiétait notamment des contestations des enseignements. « Il serait utile de déterminer par une enquête si le phénomène s’aggrave ou pas. », conclut-elle. Il manque indéniablement un véritable audit sur le sujet, car on sait que rien de sérieux ne peut être réellement entrepris sans un diagnostic préalable digne de ce nom. Une exigence qui reste à faire entendre.